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tome 1, Chapitre 10 tome 1, Chapitre 10

Les larmes amères roulèrent jusqu’à ses lèvres. L’une après l’autre, elles creusèrent un chemin invisible sur ses joues. Elles étaient salées. Ce n’était pas comme boire un verre d’eau salé, mais c’était suffisant pour qu’un haut-le-cœur le prenne. Simon se rua vers les toilettes pour y vomir de la bile mêlée aux divers liquides qui tapissaient encore son estomac.

Après avoir rendu son écœurement, il s’avança vers le lavabo pour s’y laver les dents. Dans le miroir, il vit une face cadavérique. Décidément, depuis des semaines, la mort rôdait, sous toutes ses formes. Il avait passablement maigri. Ses traits étaient tirés et ses cheveux en bataille. Simon prit ses affaires de toilette, sortit sur le palier et entreprit de se doucher.

L’eau lui lava l’esprit autant que le corps. La chaleur ravivait quelques couleurs sur son visage émacié. D’ordinaire, les locataires ne restaient pas longtemps sous la douche. Les sanitaires étaient communs au palier. Si l’un d’eux tardait, le ballon d’eau chaude mettait un temps fou à se régénérer. C’était un accord tacite. Mais ce matin-là, Simon prit tout son temps. Il se cala sur la carrée de douche, les genoux repliés sous le menton. Il n’en sortit qu’avec les premières fraîcheurs d’une eau qui se refroidissait à grande vitesse.

Ainsi revigoré, Simon s’enferma dans sa piaule pour réfléchir. Pour commencer, il lui fallait mettre de l’ordre dans ses pensées. D’une part, on lui léguait une maison dont il n’avait que faire et qui ne ferait qu’envenimer une situation déjà bien dégénérée, s’il acceptait la succession. D’une autre part, on le menaçait de le mettre à la porte sous peu. Quel choix avait-il donc ? À poser les choses aussi simplement, la solution s’imposait d’elle-même. Mais la vie n’est pas d’une simplicité à toute épreuve. Elle aime la complexité. Simon ne voulait pas dormir dans les refuges privés des SDF, pas plus qu’il ne souhaitait remettre les pieds dans la maison de son enfance. Il pourrait accepter la proposition du notaire pour ensuite vendre le bien. Ça lui ferait un peu d’argent de côté, de quoi peut-être s’acheter sa propre bicoque. Le seul problème, c’est que pour Simon, cet argent était comme de l’argent sale. Il ne voulait pas blanchir le meurtre de son père sous prétexte qu’il avait besoin de thunes. C’était au-dessus de ses forces. Quoi d’autre ?

Simon but quelques gorgées du café qu’il venait de se servir. Il s’y brûla la langue, mais ça lui passa au-dessus de la tête. Tout son esprit était tendu vers la recherche d’une solution. Il s’était assis sur son unique chaise, devant sa petite table, dans son minuscule studio. Et il se demanda s’il aurait le courage de solliciter quelqu’un. Et si c’était le cas, qui ? Anthony ? Au vu de leur dernière entrevue, Simon n’était pas persuadé que l’accueil serait agréable. Il avait encore sur lui les stigmates du droit de son cadet au niveau de l’estomac. Pourtant, c’était un enfant sensible et généreux et il lui semblait que l’homme qu’il avait entraperçu n’était guère éloigné de celui qu’il avait connu jadis. Isabella ? Non ! Ça n’aurait même jamais dû lui traverser l’esprit. Parce qu’avant toute chose, elle était la femme de Gabriel. Cela serait revenu à solliciter Gabriel en personne. Se voyait-il lui demander l’aumône ? C’était bien là une chose qu’il ne ferait jamais ! Et pourtant, le pire de tout serait de voir la pitié dans les yeux d’Isabella.

Il reprit encore un peu de café. Ça lui faisait du bien de reprendre un peu pied avec la réalité. Non pas la cruelle, celle qu’il venait de prendre en pleine gueule. Juste celle d’un homme normal, qui fait des choses normales. Il ne se jura pas que pour lui l’alcool s’était fini. Il se dit tout simplement que boire un café plutôt que du vin au petit-déjeuner, c’était tout de même largement mieux.

Il allongea le bras pour reprendre le courrier qu’il avait envoyé valser à l’autre bout de la table. Il le défroissa et prit le temps de le relire lentement. Une lueur d’espoir se fit jour. Le courrier faisait mention de la date à laquelle il avait été envoyé. Il avait perdu la notion du temps. C’est une notion toute relative, quand on est confronté à l’éternité de journées d’errance. Le temps s’étire et se fait chewing-gum. Comme une bulle, il éclate sur les lèvres. On s’en met partout. On essuie. Et on se rend compte qu’on a perdu beaucoup de temps à brasser l’air. Pour une fois, ce fut une bonne nouvelle. Nous étions en novembre. Ce qui veut dire… Trêve hivernale. Il lui restait donc quelques mois pour se remettre à flot. Lui tout seul. Sans l’aide de personne.


Texte publié par Migou, 28 avril 2014 à 13h10
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