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Il était donc invité à la grande curée post mortem. Était-ce une obligation que tous les membres d’une famille soient réunis, ou son père avait-il souhaité que lui, le paria de la famille, soit également présent ? Simon avait été clair, pourtant. Il ne dirait rien, mais il ne fallait plus lui demander des faux-semblants. Son père, de l’amour qu’il lui vouait avait basculé dans le dégoût. Il lui avait dit, en pesant ses mots, très lentement pour que ça s’imprime bien en face. « Je… ne… veux… plus… te… voir… À partir d’aujourd’hui… tu... n’existes… plus ! »

La semaine qui suivit, Simon se rendit chez le notaire. Il avait été à deux doigts de décliner, mais une part de curiosité l’y avait poussé. Il arriva avec une demi-heure de retard, histoire de ne pas passer trop de temps enfermé dans la salle d’attente avec ses frères. Il n’était pas con à ce point, tout de même.

La secrétaire le fit entrer dans un espèce de boudoir. C’était un endroit sobre. Presque monacal. Quelques tableaux, faux-semblants de grands maîtres, ornaient les murs et offraient décoration minimaliste. Quand, quasiment dans la foulée, le clerc les invita tous à entrer dans le saint du saint, Simon fut ébloui par la débauche de rouges qui jalonnaient le bureau du maître. Les sièges étaient doublés de velours rouge carmin. Le sous-main sur le bureau était en cuir teinté de rouge sang-de-boeuf. Les murs même avaient pour tapisserie une toile de jute grenat. Et pour couronner le tout, ses frères et sœur étaient rouges cramoisis. Bien entendu, il y faisait une chaleur étouffante, mais dès son arrivée il jubila en notant la montée de sang sur les joues de Gabriel. Tout ce rouge ne faisait qu’attiser les passions. Les regards se firent assassins. Seul Anthony demeurait imperturbable. On ne pouvait savoir à quoi il pensait. Était-il en colère ou avait-il chaud ? Quant à Isabella, Simon se demanda pourquoi elle rougit à sa vue. A priori, elle n’avait rien à lui reprocher. À moins que Gabriel ne soit passé par là.

Le notaire leur sourit à tous. Un sourire carnassier. Du sourire de ceux qui savent devant des incultes. Il les regarda tour à tour pour ensuite braquer les yeux sur le document qu’il avait devant lui. Ostensiblement, il leur montra le cachet de cire rouge qui y était apposé, signe que le document avait été authentifié et inviolé. C’était donc le moment de vérité.

Simon était fébrile. Depuis plusieurs jours, il avait donné dans la bouteille. Loin de son habitude, il but du matin au soir, augmentant son besoin quotidien. Pour lors, le manque se faisait cruellement sentir.

Le notaire se racla la gorge en guise d’entame. Il commença à décacheter le testament. Très lentement. Il appuyait chaque geste pour leur donner du poids. Il était en cet instant précis le seul maître de la situation. Et ça le faisait jubiler. Chez les frères, la tension était palpable. Seule Isabella lui jeta un minuscule sourire.

Lecture faite, tout le monde était sous le choc. Chacun se leva comme un automate. Isabella redoutait ce qui allait se passer et elle avait bien raison. À peine sorti de l’étude, Gabriel se retourna vers Simon et lui cracha son amertume au visage :

— Tu es fier, hein ! Ça te fait sourire, ce qui se passe. Tu n’es qu’un salopard fini ! Je vais t’envoyer à l’hôpital, moi ! Tu peux crever sur place, je ne bougerai pas le moindre petit doigt.

Même Anthony ne put retenir sa colère :

— Tu es content de toi ? Tu as ce que tu veux ?

— Allez vous faire foutre, répondit Simon froidement. J’ai rien demandé, moi !

— Tu as de la chance que papa soit un homme de compassion. Il avait honte de ta situation. Il a eu pitié de toi. Que tu sois presque à la rue et voilà qu’il te lègue la maison !

— Mais, putain, lâchez-moi ! Je n’ai rien à voir avec ce type !

— Ce type, enchaîna Gabriel, les yeux injectés de sang, tu ferais bien de le remercier. Tu l’as dénigré pendant des années et lui, il te fait un somptueux cadeau.

— Un cadeau empoisonné… Et je pèse mes mots, renchérit Simon.

Isabella tint le bras de son mari. Elle craignait plus que tout un dérapage en règle, là, au beau milieu de la rue. Mais Gabriel le retira avec véhémence. Il s’avança sur son frère et lui asséna un uppercut au beau milieu du visage. Le nez de Simon se mit à pisser le sang. Il l’essuya du revers de la main. Il n’aimait pas les rixes. Certes, il avait de la violence en lui, mais il abhorrait en user. Il préférait de loin l’affrontement des mots. Aussi, il se recula. En lui bataillait son envie de tout cracher. Ses neurones turbinaient à cent à l’heure. En d’autres circonstances, il aurait tourné les talons. Il serait parti, tout simplement, ravalant sa colère et sa rage. Enfin, ça, c’était pour les bagarres de bistrots. Ici, il était face à sa propre famille.

Il s’était tu pendant une trentaine d’années afin de protéger son père. Enfin, surtout pour protéger la famille, qui aurait été éparpillée avec un père sous les verrous et une mère décédée. Mais la famille se délitait toute seule. Elle n’avait pas eu besoin de ses aveux pour en arriver à ce stade avancé de décomposition. Alors, pourquoi les protéger encore ? Et pour quel résultat !

— Cette baraque pue la mort. Maman y est morte… Et vous, vous restez aveugles depuis tout ce temps. Ça ne vous est jamais venu à l’esprit que papa pouvait y être pour quelque chose ?

C’était plus qu’il n’en fallait pour sortir Anthony de ses gonds. Il lui envoya un coup droit en plein milieu de l’estomac. Ce qui fit plier Simon en deux, avant de s’écrouler sur les genoux. Un flic, attiré par l’esclandre s’avança vers eux.

— Que se passe-t-il ici ? Tonna-t-il d’autorité.

— Rien, souffla Simon, rien…

— Vous êtes sûr que ça va, monsieur ?

— Ouais, ouais…

Simon partit sur ces paroles. Il vit l’agent houspiller le reste de la famille. Ils se débattaient avec leurs explications. Peu lui importait ce qu’ils pouvaient dire. Ils devaient certainement le charger un maximum. Mais ce n’était plus son affaire. Il mit assez d’espace entre eux et lui avant d’entrer, la main tenant son ventre endolori, dans le premier bistrot qui se présenta à lui.


Texte publié par Migou, 25 avril 2014 à 22h19
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