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tome 1, Chapitre 6 tome 1, Chapitre 6

Gabriel arriva, le visage tendu. Sa démarche était rapide, lourde, assurée. Il ne voulait pas passer inaperçu. Sa voix intimait que tous se retournent vers lui.

Simon sentit sa gorge se serrer. On ne pouvait plus faire marche arrière. C'était le point de non retour, l’acmé. Il aurait tant aimé passer inaperçu. Le problème est que l’un provoque toujours chez l'autre un remue-méninge dès qu’il pointe le bout du nez.

— Ouais ! Tu vois, j’essaie de garder mon âme d’enfant. C’est pas comme d’autres, déjà vieux avant l’heure.

— Je vois que tu as toujours la réplique facile.

— Dis-moi, c’est la jalousie qui t’a fait sortir de ton trou ?

— La jalousie, dis-tu ? Mais pour qui te prends-tu, pauvre type, susurra Gabriel, les dents serrées. Il prit la main d’Isabella et l’attira vers lui. J’ai confiance en ma femme.

— T’inquiète… Je le sais qu’Isa est TA femme. Tu as toujours gardé cet esprit de possession, à ce que je vois.

— Qu’est-ce que tu es venu faire, à part foutre ta merde ? Tu pouvais pas rester là où tu étais, dans la poubelle qui te sert de lieu de vie. Je m’étonne d’ailleurs que tu aies un toit. Je pensais que tu vivais sous les ponts.

— Ça t’aurait faire jouir, hein !

— Même pas. Pour tout te dire, je n’ai rien à foutre de toi et de ta misérable petite vie.

Isabella dégagea sa main de celle de son mari.

— Vous n’avez pas fini, tous les deux, déclara-t-elle, des larmes aux yeux. On dirait de sales mômes qui se chamaillent pour un bout de gâteau.

Simon baissa les yeux. Gabriel maintint son regard sur son frère. C’est à cet instant qu’Anthony fit son entrée. Le plus jeune de la fratrie avait maintenant la trentaine bien sonnée. Ce n’était plus le petit garçon dont Simon avait gardé le souvenir. Il était fort et arborait un costume gris anthracite, digne de la situation.

— On vous entend du fond de la maison. Vous devriez vous calmer. Ce n’est ni le moment ni l’endroit pour faire un esclandre, dit-il d’un ton apaisant. Papa est mort. Je ne sais pas pour vous, mais moi, ça ne me laisse pas indifférent.

Anthony. Le petit Anthony. L’angelot. Celui qui était constamment scotché au paternel. Simon ne s’étonna pas de l’homme qu’il semblait être devenu. Un homme pacifique et diplomate. Un homme qui n’aimait pas les vagues. Simon aussi préférait largement être dans l’œil du cyclone, là où tout est calme, où tout lui passe par-dessus la tête, où tout est visible sans la tourmente.

— Qu’est-ce que tu es venu foutre ici ?

Gabriel n’était pas de cette trempe. Il n’aimait pas perdre. Encore moins la face. Il ne le lâcherait pas tant qu’il ne sortirait pas la tête haute.

— Tu te rappelles que c’était aussi mon père ? Jeta Simon, en s’avançant vers la maison.

L’alcool lui manquait cruellement en cet instant. Simon aurait donné n’importe quoi pour vider un verre de whisky. Se réchauffer l’intérieur par ce liquide brûlant. À défaut, il sortit son paquet de cigarettes et en alluma une, histoire de se calmer.

Mais Gabriel ne l’entendait pas de cette oreille. Il n’en avait pas fini avec son frère, celui qui avait coupé les ponts, la honte de la famille.

— Tu oses encore l’appeler ton père ? Mais tu fous de la gueule de qui ! T’étais même pas là, quand il était mourant. Tu l’as rendu amer avec ton comportement irresponsable et égoïste. Et tu veux maintenant qu’il est mort faire ton grand retour ? Tu espères, quoi ?

— Je n’espère rien, Gabriel, souffla Simon, las de cette rixe. Je n’espère rien…

Arrivé à la hauteur d’Anthony, ce dernier s’avança pour le prendre dans ses bras. Mais Simon passa comme un cadavre, aussi livide que le zombie qu’il était devenu. Tout ça à cause de son père, justement. Depuis toutes ces années, il l’avait fui, pourtant, quand il avait reçu l’avis de décès — en dernière minute — il avait endossé son pardessus et prit la direction de sa maison natale.

À l’entrée du lotissement, il savait déjà qu’il faisait une grossière erreur. Pourtant, il avait continué. Ses pas l’avaient porté jusque-là. Jusqu’à la cuisine. Il s’était laissé embarqué par sa sœur jusque dans le jardin. Il avait espéré… Quoi, au juste ? Qu’avait-il pensé y trouver, dans ce lieu où sa mère avait trouvé la mort ? La rédemption ?

Simon traversa la cuisine, le salon et sortit par la grande porte. Peu lui importait, à présent, d’être vu. Il n’avait plus rien à faire dans cette baraque. Il était temps de tirer sa révérence. Et pour de bon. Dans cette maison, rien de bon n’en sortirait. Sa mère y était morte. La veille, son père l’avait violemment giflé. Mais en dehors de cet acte désagréable, c’était surtout le fait de lui avoir ôté le verre des mains de cette manière, qui l’avait étonné. Pendant de longues semaines, Simon avait tenté de déchiffrer l’enchaînement des faits. Nul doute pour lui que l’un et l’autre des faits étaient liés. Le verdict s’imposa en lui. Après avoir pleuré la disparition de sa mère, il s’en prit à son père, qui l’avait empoisonnée. Si l’équilibre de la famille avait été rompu, c’était à cause de lui. C’était sa faute, à ce père, si leur vie avait basculé.

Des semaines durant, un combat moral ravagea son âme. Il se demanda bien souvent s’il ne devait pas en informer la police. N’était-ce pas son devoir ? N’allait-on pas lui reprocher d’aider un criminel ? D’un autre côté, son père avait toujours été bon avec eux. C’était jusque-là un père aimant. Un père qui s’occupe de ses enfants, qui joue avec eux, qui suit leur scolarité. Que deviendrait la famille, cette famille dans laquelle il se sentait si bien ? Il lui revenait la responsabilité du sort de la famille. Celui de son père était entre ses mains. Simon ne voulait pas être séparé de ses deux frères et d’Isabella. La pauvre était déjà une sœur d’adoption. Elle n’était là qu’en famille d’accueil. Où serait-elle baladée, s’il décidait de raconter ce qu’il savait.

Ainsi, Simon avait pris sa décision, il se tairait. Il ne dirait rien. Il serait une tombe, comme celle dans laquelle sa mère se faisait manger par les vers. La décomposition de sa mère fut aussi la sienne. Simon se ferma comme une huître. Il devint un ado taciturne, rebelle. Son père n’avait plus aucun accès à lui. Seule Isabella pouvait encore l’approcher, mais sans plus d’effets. Tout lui glissait sur la carapace qu’il avait endossée. Il ne dirait rien, mais le jeune être s’est construit avec ce secret morbide. Et voilà ce qu’il était devenu ! Un alcoolique, une loque humaine, incapable de se fixer, que ce soit sur des études ou avec une femme. Qu’aurait-il fait à s’encombrer d’une femme, d’ailleurs ? Il aurait très bien pu la battre, après trop de verres d’alcool. Pire, il aurait pu suivre l’exemple de son père et la tuer.

Simon s’éloigna du lotissement. Ce n’était plus sa place. Depuis des décennies déjà !


Texte publié par Migou, 25 avril 2014 à 21h59
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