Bonjour, bonjour !

Cette petite nouvelle a été écrite dans le cadre d’un cours sur le schéma narratif, pendant mes cours d’écriture à la Fac. À la base, c’était juste censé être un exercice de quelques lignes, mais j’en ai partagé un extrait et il se trouve que pas mal de personnes ont été enthousiasmées. Donc en voilà la suite.

On devait écrire un texte où un protagoniste avait un objectif général (le but d’un texte, le sujet d’un roman par exemple) et rencontrait au moins un obstacle (quelque chose qui l’empêche d’atteindre son objectif). Et… Et voilà l’histoire de Bubulle le poisson rouge.

Bonne lecture !

* * * * *

LA (BU)BULLE DE TROP

Amorphe, le poisson rouge regardait dans le vide.

Bubulle n’avait jamais eu beaucoup de distractions dans sa vie. Il fallait dire que son environnement ne s’y prêtait pas. Il y avait le bocal, la plante en plastique et les cailloux colorés du fond. Ses humains de compagnie ne se préoccupaient que bien peu du petit poisson rouge gagné à la foire, et qui n’intéressait guère plus que le chat qui en aurait bien fait son goûter.

Un jour qu’il suivait du regard la boîte magique à images animées, celle du monde derrière sa vitre, avec autant d’apathie que les flocons mous qui polluaient son eau, il découvrit avec étonnement qu’il y avait d’autres poissons, comme lui, qui vivaient librement, en dehors d’un bocal minuscule. Bubulle sentit ses écailles se gorger d’espoir. Lui aussi voulait être libre ! Il en avait assez d’être confiné dans ce tout petit espace. Aujourd’hui, oui, aujourd’hui, il quitterait son bocal pour gagner la liberté.

Euphorique, le cyprinidé tourna sur lui-même à la recherche d’une échappatoire. Il eut beau taper contre les parois, tenter un saut périlleux contre le couvercle de son bocal ou creuser les cailloux pour s’échapper par le sol, il semblait que sa prison de verre n’avait même pas frémi. Malgré ce premier échec, il ne perdit pas espoir. Il allait sortir de son bocal, de gré ou de force.

Moustache le chat, intrigué par les mouvements erratiques de Bubulle, en profita pour s’inviter. Ses yeux d’un vert intense suivaient avec attention les mouvements du poisson. Bubulle eut alors une idée. Pour une fois, le félin ennuyant pourrait être utile. Il savait exactement comment arriver à son objectif. D’abord lentement, il se mit à longer les vitres. Intéressé, Moustache commença à s’agiter, son instinct de prédateur poussé au paroxysme de son art. De plus en plus vite, Bubulle passa devant ses pattes, en avant, en arrière. La réaction fut immédiate. Moustache donna un grand coup de patte dans le bocal qui tangua dangereusement. Le poisson poursuivit son manège. Un autre coup similaire et sa prison quitterait enfin ce bout d’armoire poussiéreuse !

La délivrance vint d’autant plus rapidement. Moustache, amusé par le mouvement du bocal, le contourna pour le pousser par derrière. Bubulle nargua le chat une nouvelle fois, fier de son petit effet. Quel imbécile. Il n’était pas étonnant que Moustache se plaise à ce point parmi les humains avec une intelligence aussi limitée. Un dernier coup de patte fit valdinguer son habitat hors de sa place d’origine.

Tout se produisit au ralenti pour Bubulle. Les petits cailloux colorés se décollèrent du sol et volèrent tout autour de lui, ravivant ses souvenirs de petit poisson parqué avec des milliers d’autres dans un grand bac noir où il était impossible de voir à plus de quelques centimètres devant soi, entre les cadavres de ceux trop faibles et la panique de ceux qui tentaient de survivre dans cette jungle aquatique. La plante de plastique fouetta le visage de Bubulle, le propulsant dans un coin de sa prison. Il aurait dû avoir peur, mais il ne ressentait que de l’excitation quant à toutes les opportunités qui s’offrait désormais à lui. Comment vivrait-il ses premiers moments de liberté ? Que ressentirait-il ?

Au moment où sa prison vola en éclat sur le sol, une pensée fugace qui ne lui était pas venue jusque-là parcourut son système nerveux, de sa queue à son minuscule cerveau. Avant d’atteindre la mer promise, il devrait survivre à la terre, et il s’avérait que les poissons, rouges, bleus ou verts, n’étaient pas très doués pour ça. Bubulle aurait aimé arrêter le temps pour revenir en arrière, mais ce fut bien trop tard.

Le verre explosa au sol et Bubulle fut projeté dans les airs. Son petit corps rebondit péniblement sur une surface étrange et poilue, grande comme la plante de plastique de son bocal. Bubulle sautilla péniblement pour essayer de voir autour de lui, de ressentir ce sentiment de liberté qu’il avait tant mérité après des mois d’enfermement dans cette sordide prison de verre. Pourtant, il ne ressentait rien. Rien d’autre qu’une peur tenace qui ne cessa d’amplifier quand il réalisa qu’il ne parvenait plus à respirer.

Dans un instinct de survie, Bubulle tenta de rejoindre la flaque d’eau qui s’était formée sous le cadavre de son ancienne maison. Tout était bon pour survivre ne serait-ce que quelques minutes de plus. Essoufflé par l’effort, il ne parvint même pas à déplacer son corps de plus de quelques centimètres. Alors que sa vision se troublait, une présence malveillante hérissa ses écailles.

Là, tout près de son ancien espace vital, Moustache venait de bondir gracieusement et se rapprochait, sa longue queue agitée de soubresauts d’excitation. Le chat l’avait bien eu. Se refusant à la fatalité, Bubulle se tourna une dernière fois vers la boîte à images magiques, qui montrait désormais des poissons en train de se tordre dans un filet bien plus grand que celui qui l’avait arraché au grand bac noir. Il fit de son mieux pour imaginer cet autre monde, celui où les poissons comme lui, libérés de toute exploitation, pourraient voguer en liberté pour l’éternité.

Les cruels crocs de Moustache se refermèrent sur sa petite tête, plongeant Bubulle dans des ténèbres éternelles, puis le chat l’avala tout cru.