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— Allons marcher sous la pluie, ça nous rafraîchira les idées.

Léandre attrapa le bras de son apprenti - non, collègue, maintenant- et l’entraîna dehors. Lucas se laissa faire : cela faisait très longtemps qu’il ne discutait plus les folies de son ancien maître. Une pluie fine tombait en cloche sur le pavé usé par plusieurs siècles de piétinement, mais Lucas leva la tête vers le siècle gris. Quelques gouttes fraîches lui tombèrent sur le visage. Léandre sortit un parapluie noir zébré de lignes et de courbes dorées, absolument flagrant dans ce décor pittoresque. Une mamie protégée par une capuche en plastique le lorgna avec méfiance derrière ses verres de lunettes embués. Lucas soupira. Le parapluie n’était qu’un accessoire dans la panoplie du parfait excentrique de Léandre Alzaérus, bloqué à la mode du XIXe siècle mais adapté avec de beaucoup, beaucoup de couleurs.

Maintenant, ça ne dérangeait plus Lucas. Au bout de trente ans aux côtés de Léandre, plus rien ou presque ne le dérangeait de la part du sorcier. L’habitude. Ils se mirent à marcher le long du quai de ce petit bourg au bord de l’Atlantique.

— Qu’as-tu senti, toi ?

Lucas rassembla ses impressions. Ce mal-être que son empathie lui avait fait ressentir lui collait à la peau.

— Je me suis senti extrêmement mal.

— Et ?

Il avait beau être un sorcier accompli, Léandre agissait très souvent comme si Lucas était encore son apprenti.

— Je n’ai pas réussi à dépasser ce stade.

Léandre tiqua sa langue contre son palais, comme on gronde un enfant qui s’apprête à faire une bêtise. Il s’arrêta et Lucas l’imita, le regardant par-dessus son épaule.

— Ferme les yeux et ressens la pluie.

Lucas obéit. Comme son maître, et comme le maître de son maître, il était un sorcier empathe : il avait le don et le malheur de ressentir les émotions des hommes et des créatures surnaturelles. Petit à petit, la pluie lessiva le stress, l’angoisse et la douleur qui l’avaient percé lorsqu’il était entré dans l’auberge où on les avait appelés. Il garda les yeux fermés jusqu’à ne plus sentir la pluie tomber sur lui. Lorsqu’il les ouvrit, ceux de Léandre, d'un doré intense,étaient braqués sur lui.

— Quelqu’un a été très malheureux dans cette auberge.

— C’est l’émotion la plus intense, oui. Tu en as lues d’autres ?

— Le stress. L’angoisse. La peur.

— Mais encore ?

Lucas soupira.

— Si vous en avez décrypté d’autres, je vous écoute !

— Toujours aussi frustré…

— Vous avez combien de siècles d’expérience, déjà ?

Léandre tiqua encore contre son palais. Par Hécate, ce que Lucas détestait cette habitude.

— Ça ne veut rien dire ! Tu sais que Camille est déjà beaucoup plus doué que toi, alors que ça fait moins de dix ans que je l’ai pris en charge ?

Lucas leva les yeux au ciel. Le nouvel apprenti de son maître était le portrait craché de Léandre, alors que lui était plutôt son opposé.

— Pourquoi ne pas l’avoir pris avec vous, alors ?

Léandre secoua exagérément de la tête avant de s’accrocher à son bras et de partager son parapluie.

— Ne te vexe pas, tu es toujours mon préféré.

Maître des émotions, Léandre avait la capacité de les lire, mais aussi de les inspirer aux autres. Aussitôt, Lucas s’apaisa.

— Je déteste quand vous faîtes ça.

Léandre eut un sourire malicieux.

— De l’amour, Lucas.

Lucas papillonna des yeux sans comprendre, et rougit de honte.

— Il y avait beaucoup d’amour dans cet endroit, expliqua Léandre.

— Oh, souffla-t-il avec soulagement.

— Mais il y a eu quelque chose qui a remplacé ça par ce que tu as ressenti, jusqu’à masquer tout ce qu’il y avait auparavant, continua Léandre en initiant le chemin du retour. Tu te sens mieux ?

Lucas acquiesça, alors que Léandre lui frotta le bras avec compassion.

— Tu n’as pas encore les barrières nécessaires face à l’intensité de ce genre de trace émotionnelle. Ce n’est pas de ta faute, je t’ai un peu trop protégé durant ton apprentissage.

Lucas, ne sachant pas quoi répondre, garda le silence. Ils se rapprochèrent de l’auberge qui, un temps, avait dû être chaleureuse, mais dont une aura sinistre se dégageait à présent. En pierre, typique de l’architecture littorale bretonne, une enseigne se balançait dans le vent en grinçant de façon sinistre. Lucas eut un mouvement d’hésitation avant d’entrer, mais Léandre pressa son bras. Il prit une grande inspiration et poussa la porte.

Aussitôt, ce fut comme un cri au milieu de sa poitrine, brisant son cœur. Il ferma les yeux et s’habitua à la sensation, la laissa couler sur lui, s’enfonça.

Tu dois être comme au fond d’une rivière. Qu’importe le flux de l’eau, tu dois la regarder passer au-dessus de toi sans qu’il ne t’atteigne.

Quand il rouvrit les yeux, Léandre avait rangé son parapluie dans le portant prévu à cet effet, et les deux propriétaires de l’établissement, Delphine et Fiona, le regardaient avec inquiétude.

— Tout va bien, assura Léandre.

Lucas sentit sa main lourde de bagues venir se loger dans le creux de son dos. Il se concentra sur l’odeur de lavande qui parfumait la pièce.

— Vous disiez donc que c’est près des fenêtres que vous sentez quelque chose ?

— Oui, confirma l’une des deux femmes. Nous pensions que c’était des courants d’air, mais ça s’est amplifié alors que nous avons installé du double-vitrage.

Léandre adressa une question muette à Lucas. Oui, acquiesça ce dernier. C’était alors qu’il avait touché le montant de la fenêtre qu’il avait eu envie de…

— Bien. Pour les incidents étranges, vous nous avez mentionné du froid, des sentiments envahissants teintés de tristesse, voire de désespoir…

— Des objets qui disparaissent, ajouta la deuxième femme. Souvent des tasses ou des verres, que l’on retrouve en cuisine.

— Des pleurs, tard, le soir. Une fois, quand on a fait l’inventaire en pleine nuit…

— Vers quelle heure ?

— Vingt-trois heures, ou minuit…

— Minuit, confirma sa compagne.

Lucas se concentra sur la main de Léandre qui lui tapotait le dos pour ne pas se laisser envahir par les émotions qui peignaient cet espace. Il fixa le mur, tapissé avec goût d’un vert profond, “très cabinet anglais du XIXe” avait commenté Léandre en entrant. Le bois du lambri avait été ciré et donnait pourtant à la pièce un aspect chaleureux, mais Lucas ne parvenait pas à se détacher de cette impression de… solitude.

— De la solitude, commenta-t-il à voix haute.

Les deux propriétaires lui lancèrent un regard curieux, et Léandre, s’il le frappa discrètement, détourna facilement la conversation. Il demanda à visiter davantage l’auberge, et l’une des tenancières se dévoua.

Moins les insensibles en savent, mieux c’est.

Lucas continua d’observer autour de lui alors qu’ils progressaient vers l’étage. La cage d’escaliers étaient elle aussi lambrissée d’un bois sombre et chaud, et décorée de vieilles photographies en noir et blanc. Sur chacune d’entre elles, un décor de l’auberge ou de la rue était immortalisé. D’après les vêtements, il les datait du début du XXe siècle, mais Léandre pourrait les estimer avec davantage de précision. Après tout, il avait vécu à cette époque.

— D’où viennent-elles ? demanda Lucas. Votre famille ?

— Oh non, répondit Fiona, nous avons repris l’auberge depuis six mois seulement. Nous sommes originaires de Paris, mais avec la crise sanitaire, nous avons préféré venir nous installer ici. Les prix étaient attractifs !

Tu m’étonnes, pensa Lucas. Si l’établissement était bel et bien hanté, bien entendu que le précédent propriétaire avait voulu s’en débarrasser !

— Ces clichés étaient déjà ici ?

— On les a retrouvé en faisant le ménage, au grenier. On a trouvé que ça donnait un aspect ancien. Et puis, ça collait avec…

Lucas n’écoutait plus. Il s’était arrêté devant un portrait de famille devant la devanture de l’établissement. Un visage l’attira : une jeune femme, le chignon haut emprisonnant de longs cheveux noirs, une chemise aux manches en ballon, une jupe ample qui effaçait ses formes depuis la taille. Un regard, perçant, clair dont l’intelligence avait été parfaitement immortalisée par l’appareil.

De l’amour, Lucas.

Un puissant sentiment amoureux, mêlé à une nostalgie mélancolique l’envahit soudain. Il détacha son regard de la jeune femme pour rompre le lien émotionnel, et entreprit de suivre Léandre et la jeune femme qui étaient déjà sur le palier.

— La première chambre est toujours glaciale. Pourtant, le chauffage fonctionne, et les fenêtres sont neuves.

Juste au-dessus de la fenêtre donnant sur le quai en bas.

Quelqu’un a dû attendre ici l’arrivée d’un être cher. Lucas voulut vérifier son hypothèse et traversa la pièce, décorée comme au XIXe : lit à baldaquin, grande armoire en bois, papier-peint fleuri et élégant accordé au linge de lit, d’un bleu dragée coûteux. À moins d’un pas de la fenêtre, la même solitude désespérée refit surface.

— Lucas, l’appela Léandre. Reviens.

Lucas expira lourdement et secoua la tête pour se débarrasser d’émotions qui n’étaient pas les siennes. Fiona affichait désormais un air méfiant.

— Mais qu’est-ce que…

— Ne vous inquiétez pas, mon binôme est tout à fait professionnel en dépit de son jeune âge.

Lucas roula des yeux : ça faisait trente ans qu’il avait vingt ans, et trois cents au moins que Léandre avait la trentaine.

— Et les autres chambres ?

— Il n’y a qu’ici que certains clients ont vu des formes humaines, une jeune femme en chemise de nuit, près de la fenêtre.

Bingo. Les intuitions de Lucas se vérifièrent.

Ils continuèrent la visite, Lucas s’imprégnant des lieux et Léandre poursuivant son petit interrogatoire masqué sous une conversation pleine de badineries. Plusieurs fois, Léandre dût ramener Lucas au présent, à son corps, à lui-même, et ce dernier obéissait avec de plus en plus de difficulté.

Ils redescendirent au rez-de-chaussée. Une odeur de brûlé agressa les narines de Lucas, tandis que Léandre toussa. Un bruit d’assiettes qui s’entrechoquent le fit sursauter.

— Ça fait quelque temps que le four fait des siennes, s’excusa la jeune femme.

Lucas fronça des sourcils. Une trace ésotérique en plus ? Ils rejoignirent la cuisine où Delphine insultait son pauvre four.

— Il va falloir qu’on passe la nuit ici, mesdames, annonça Léandre. Si possible, seuls, pour que nous puissions faire notre travail.

Les deux femmes se regardèrent.

— Vous êtes sûrs de vous ? Même nous…

— Ce ne sera pas la première fois, intervint Lucas, l’agacement perçant dans sa voix.

Depuis qu’il connaissait Léandre, le sorcier l’avait emmené dans toute la France, et parfois même à l’étranger, pour résoudre des affaires similaires. Bien sûr qu’ils étaient expérimentés.

Léandre posa une main sur son épaule et continua à rassurer les propriétaires.

— Nous ferons de notre mieux pour vous rendre votre établissement intact et sans la présence que nous percevons.

Delphine soupira.

— Revenez à la fermeture, alors.

Comme s'il y avait beaucoup de monde…

Ils s’étaient promenés sous la pluie dans le petit bourg pour glaner des informations. Un petit musée de la mer les avait accueilli, et contre une petite somme dédiée à l’entretien des lieux, un passionné à la retraite leur avait fait la visite. D’abord méfiant face à l’accoutrement de Léandre, il s’était radouci face aux questions intéressées du sorcier et avait fini par donner plein de grain à moudre.

Lorsqu’ils sortirent, après une longue après-midi qui avait fini en échange de bonnes adresses culinaires à tester, il était l’heure de la fermeture de l’auberge hantée.

— Toujours s’adresser aux anciens, Lucas. Ils ont une mémoire fascinante des lieux et des gens !

Lucas abattit sa capuche sur sa tête et fourra les mains dans ses poches. La pluie tombait encore.

— C’est le naufrage, qui vous fait penser ça ?

Léandre acquiesça.

— Ça correspond à l’époque de notre fantôme, non ?

— La photo… J’ai été arrêté devant une photo, dans la cage d’escaliers, et…

La femme au regard clair et à la chemise en manches ballons.

— Et qu’as-tu ressenti ?

— Comme vous le disiez, de l’amour. Beaucoup de nostalgie, aussi.

— C’est sans doute elle. L’enquête de voisinage nous le confirme, tes ressentis et les miens.

Lucas réfléchit à voix haute.

— Je la sentais près des fenêtres, c’est là qu’elle est la plupart du temps.

— Elle devait attendre quelqu’un.

— Une personne qui n’est pas venue parce qu’elle fait partie des naufragés, compléta Lucas.

Sous son parapluie, Léandre acquiesça. En arrivant de nouveau devant l’auberge, Lucas leva les yeux et fixa la fenêtre de la chambre où ils se trouvaient quelques heures plus tôt. Un coup d’œil par-dessus son épaule l’informa que la vue était parfaite sur l’ancien port de pêche que leur avait indiqué le vieux guide.

— Tu viens ? lui demanda Léandre, déjà devant la porte.

Lucas le rejoignit. Quand Delphine leur ouvrit, elle avait une mine soucieuse.

— Vous avez…

— Bien sûr que non, nous n’avons pas parlé de votre petit problème. Qui sera résolu dès demain matin.

Il fallait avoir vécu avec Léandre autant de temps que Lucas pour percevoir l’agacement dans la voix du sorcier, dont le sourire n’exprimait rien de plus qu’une politesse de rigueur. Léandre tendit sa main lourde de bagues dans laquelle Delphine déposa avec hésitation les clefs de l’établissement.

— Je vous garantis que nous prendrons soin de votre auberge.

Les deux jeunes femmes sortirent après des salutations. La porte se ferma : ce fut comme si son claquement résonna dans le bâtiment tout entier. Léandre s’approcha du comptoir et alluma une bougie, qui vacilla sous les courants d’air.

— Bien, va chercher le matériel, s’il te plaît.

Lucas croisa les bras sur son torse.

— La seule chose que je vous ai demandé en passant sorcier confirmé, c’est d’arrêter de trimballer tout le matos tout seul.

Léandre roula exagérément des yeux et poussa un soupir comique.

— Bon, allons chercher le matériel, alors ! Tu étais plus docile, avant !

Ils grimpèrent à l’étage, dans la chambre que leur avaient louée les deux femmes, mais avant d’atteindre le palier, Lucas s’arrêta.

— Elle…

Léandre se retourna, et sa voix traduisit l’état de tension dans lequel il se trouvait.

— Tu la sens ?

— Pas vous ?

Léandre redescendit quelques marches pour être à sa hauteur, et posa sa main sur la sienne. Un frisson parcourut Lucas, tandis que Léandre fermait les yeux.

— D’accord. Elle a l’air de vouloir communiquer. C’est bon signe.

Dans leurs précédentes interventions, ils avaient dû lutter contre des esprits malins qui n’avaient aucune envie de partir, et ça avait été épuisant. Lucas avait dormi plus de vingt heures d’affilée à chaque fois, et subir la mauvaise humeur de Léandre, qui mettait toujours au moins une bonne semaine à s’apaiser.

— On a vraiment besoin du matériel, du coup ?

Pas besoin de la forcer à parler, si elle en avait envie ! Léandre lui sourit.

— Tu vas tester de faire sans.

Le cœur de Lucas s’emballa.

— Vous êtes sûr ?

C’était une entreprise risquée de partager sa conscience avec celle d’une âme égarée qui d’ordinaire incombait à Léandre, dont l’expérience lui permettait de mieux se protéger. La main de Léandre se posa sur son épaule, et une vague de calme se propagea en lui.

— Je suis là, au cas où.

Lucas hocha la tête avec conviction. Au milieu d’une cage d’escaliers obscure et froide, il ferma les yeux et s’apprêta, pour la première fois, à entrer en communion avec l’âme d’un fantôme.

Tout ce qu’il avait ressenti depuis qu’il avait mis les pieds dans cet endroit surgirent d’un seul coup, dans un mélange inextricable qui lui donna le tournis.

Le fond de la rivière, le fond de la rivière le fond de…

Par un effort surhumain, et surtout par les mains de Léandre qui accrochaient ses épaules et qui lui servaient d’enclumes, Lucas se retira et érigea une barrière entre les émotions du fantôme et les siennes. En être témoin, simple témoin et ne plus partager toutes ces souffrances intensifiées par la mort.

Une voix prononça son prénom — non, son prénom à elle — et il se sentit heureux. La jeune femme de la photo se matérialisa devant ses yeux.

Tu te rends compte, Jeanne ? Je vais pouvoir explorer le monde !

Et elle est heureuse, Jeanne, parce qu’elle, cette jeune fille aux yeux clairs, lui expose tout ce qu’elle a prévu de faire : rejoindre Calais, puis partir pour l’Angleterre où un vieux professeur l’attendait pour lui apprendre la botanique. Qu’il ait accepté d’enseigner à une fille, c’était tellement inattendu ! Tu comprends, Jeanne, je vais pouvoir partir d’ici !

Elle l’embrasse. Lui promet de revenir la chercher. Qu’elles vont aller loin d’ici et pouvoir vivre ensemble. Cachées, mais ensemble.

L’attente, longue. Ses yeux qui s’abîment à regarder l’horizon, là, sur le petit quai d’où elle est partie, quelques mois plus tôt. Ou alors ce sont des années ? Son absence, douloureuse.

Et puis l’annonce. Fracassante. Qui l’a brisée en mille morceaux. Cette souffrance qui la prend et qu’elle ne peut partager, qui la comprendrait ? Qui pourrait comprendre l’intensité de sa perte ? Ce n’est pas une amie qu’elle a perdue, c’est son âme sœur, ce genre de rencontre que l’on ne vit qu’une fois dans une existence. Son acte, destructeur, désespéré, que tout le monde prendra pour un accident. La noyée du quai, encore maintenant, elle est appelée comme ça.

Tu peux partir la rejoindre. Nous allons t’aider.

Il rouvrit les yeux. Il voyait à peine le visage de Léandre à cause de la nuit cette fois tombée, mais il sentait son souffle sur son visage.

— Alors ?

Sa voix était inquiète.

— Elle est prête à partir.

Léandre soupira de soulagement.

— Tu sais depuis combien de temps tu y es ? J’ai eu peur que tu te sois perdu !

Son ancien maître montrait peu son attachement, et les rares fois où il le faisait, Lucas savait les apprécier.

— Tout va bien.

Il posa ses mains sur celles de Léandre, qui serrait toujours ses épaules avec force.

Ils rassemblèrent le nécessaire pour envoyer l’âme de Jeanne derrière le Voile, là où était sa place : bougies blanches, encens de genévrier, les runes du voyage et de l’adieu tracées dans un cercle à l’aide de cristaux de sel, sur le plancher. Quand Léandre fut prêt, Lucas appela la défunte. Il lui communiqua son assurance, lui fit parvenir des images de calme et de paix, de lumière, tandis que Léandre psalmodiait sa prière à Hécate, déesse des chemins, gardienne des carrefours, censée guider les âmes derrière le Voile.

Ce fut comme si l’étau autour du cœur de Lucas disparaissait, en même temps que la chaleur l’envahissait. Il entendit comme un “merci” chuchoté à son oreille, puis plus rien. Il expira, s’appuya sur le dossier d’une chaise bistro, sous le regard inquiet de Léandre qui ne pouvait s’arrêter. Quand son ancien maître termina sa prière, il referma son livre d’un coup sec et s’approcha de lui.

— Est-ce que ça va ?

Lucas sourit.

— Maintenant, oui.

Ils repartirent le lendemain matin, après avoir expliqué qui était le fantôme qui hantait leur auberge depuis si longtemps, et les bribes de son histoire qu’avait capté Lucas. Ce dernier remarqua la façon dont elles se serraient les mains quand il évoqua l’histoire d’amour de Jeanne avec son amie, et la tristesse dans leur regard. À une autre époque, cela aurait pu être leur propre histoire, pensa-t-il.

Léandre voulut voir la mer avant de repartir à Paris à l’aide d’une rune de transport. La pluie avait enfin arrêté de tomber, et l’aube aux doigts de rose peignait le ciel en de superbes couleurs tandis que les cris des mouettes emplissaient le ciel. Ils marchèrent le long de l’appontement, en silence, l’esprit encore plein des sentiments de Jeanne pour qui ce quai était devenu celui des rêves brisés.


Texte publié par Codan, 13 novembre 2021 à 07h58
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