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saison 3, Chapitre 5 « Veillée » saison 3, Chapitre 5

Veillée

— Putain j'espère qu'on va pas faire des chansons.

Bruno nous avait rejoint dans la salle de jeux en bas du chalet, en attendant la soirée-veillée. On finissait toujours là quand on n'en pouvait plus du Puissance 4 ou du Badaboum dans nos chambres. Mais il n'y avait quasiment rien par ici, un billard, avec des espèces de champignons en plastique vissés sur le tapis, et puis un jeu de fléchettes aussi, mais on avait pas pu avoir les fléchettes.

Souvent on regardait la cible, on observait quel numéro avait le plus de trous, avant de revenir au billard. On tournait autour le cube de craie à la main, les plus hardis évoquaient l’origine du truc - thailandais, hongrois - avant de s'arrêter perplexes devant les boules.

— Si ça se trouve on va avoir une interro sur le ski, s'inquiéta Erwan, en reposant la queue de billard.

— Mais non on va faire un jeu, c'est ce qu'on fait en veillées, affirma Christophe, qui habitait en face de l'arrêt de bus, et qui avait déjà fait des colos.

— Mais non mon grand frère il m'a dit que l'année dernière ils avaient vu un film, assura Jamel.

Son grand frère on le voyait passer parfois sur le terrain de foot avec son sac US. Il nous disait tout le temps comment c'était coolos la primaire à côté du collège, que là-bas laisse tomber comment il bossait tout le temps. Il faisait quelques passes et puis il repartait, le lendemain il avait contrôle d'Anglais, de Sciences-Nat ou d'EMT, laisse tomber ce que j'ai à réviser.

Bruno et Abdel proposèrent qu’on aille demander à la cuisine qu’ils nous prêtent des couteaux à la place des fléchettes, n’importe quoi toi tu t’es cru au cirque ou quoi rétorqua Antonio à Abdel, alors Samir nous parla de ses shuriken dédicacés par Bruce Lee qu’on aurait pu utiliser, mais le directeur de l’école lui avait confisqués juste avant le départ et ils étaient dans un coffre fort enterré sous le gymnase maintenant.

Finalement je remontai prendre mon paquet de cartes, à six on pourrait faire un pouilleux géant par équipe, on pourrait même jouer sur le tapis du billard, assis tout autour comme les pros.

Je croisai M. Lardeau dans le hall d’entrée, en train de discuter avec le gars du chalet devant le comptoir du hall. Le mec avait mis la télé, on passait du patinage artistique, ils avaient l’air tous deux bien absorbés.

— Ben tiens Melvil regarde ça, il y a le français qui va bientôt passer ! M. Lardeau m’avait subitement attrapé l’épaule. oh non putain je me dis au milieu du guet-apens, alors que le tchèque en fuseau à paillettes terminait son avion sur une jambe.

Je parvins quand même à demander si je pouvais monter dans ma chambre au moment où le français arrivait tout sourire sur la glace.

— Attends deux secondes Melvil, regarde. Et puis il y a Kristina qui finit au téléphone à côté, comme ça vous pourrez monter ensemble.

J‘écarquillai les yeux en recevant l’info au moment où le français se mangeait une big première gamelle sous les oohhh du public et les soupirs de M. Lardeau. Je reculai distraitement vers la porte de la pièce à la nouvelle chute du français.

Kristina se tenait droite comme un i face à la fenêtre givrée, ses longs cheveux châtain qui tombaient jusqu’au milieu du dos, ses petits doigts à peine sortis de son gros pull.

… Oui… oui maman… oui je fais attention ne t’inquiètes pas.

Autour ça ressemblait à une salle d’attente, du lino bleu au sol, un gros canapé et quelques chaises, une plante dans un coin, des magazines de montagne sur une table basse.

Oui… oui, juste je suis un peu fatiguée c’est tout.

Elle parlait avec douceur, elle passait de temps en temps une main dans ses cheveux, j’entrevoyais alors un bout de son visage. J’imaginai lui faire un bisou sur la joue et repartir en courant, puis je tremblais dans la seconde en secouant la tête.

Il faut juste que je lui parle maman… Juste une fois…

Ma nuque se raidit à l’instant.

... Que je lui dise de pas avoir peur…

Je sentis mon cœur battre à toute allure, en dessous mes jambes ballottaient sans que je puisse les contrôler.

Comme ça je pourrai dormir maman tu comprends ?

Un rapide coup d’œil vers le hall, le patineur français venait de terminer, M. Lardeau et le mec du chalet attendaient les notes comme lui apparemment, les épaules tombantes et l’air résigné.

Nemoj plakati mama… Ja ce ne plachim !… Maman arrête !.. Maman !!…

— Qu’est-ce qui se passe là-bas ? Elle est toujours au téléphone Kristina ?

Je mimai un euh je sais pas de la tête et des épaules à M. Lardeau, j’étais revenu illico vers le comptoir au moment où Kristina avait tourné la tête vers la porte en levant la voix.

Je les vis ressortir tous les deux, Kristina avait retrouvé sa figure impassible, M. Lardeau regarda sa montre et nous dit que la veillée devait déjà avoir commencé, on remonterait dans nos chambres plus tard.

*

Saillard nous attendait en bas, il avait fait passer tout le monde dans une grande salle. On n’avait pas trop compris comment il s’était déguisé, une espèce de longue cape marron avec une casquette à fourrure et ses après-skis, il ressemblait à un grand castor, et il parlait à voix basse, presque en chuchotant.

— Allez les enfants, ça va commencer, on n'attend plus que vous.

Il parlait avec des gestes bizarres, avançant sur la pointe des pieds les yeux grand ouverts, et frétillant de la tête comme un poisson. En regardant de plus près je crus même qu’il s'était poudré le visage pour la soirée.

— Monsieur on va voir quoi comme film?! Brailla Jamel devant moi. Tron il paraît qu'il jette! Vous savez, Tron, le film qui se p…

— Chhhuutttt…

Entre deux lampes et près d'une grosse bougie sur pied, le vieux moniteur en personne, vêtu en je savais pas trop quoi, en empereur romain ou en fée, était assis sur un tabouret minuscule, les mains sur les genoux et l'air absorbé.

Devant lui une petite table, et puis tout le monde en rond autour sur des chaises de classe.

On eut à peine le temps de s'installer qu'il tapait déjà dans ses mains, solennellement. Il les reposa sur ses genoux, regarda droit devant lui, clap...clap...clap… clap à nouveau, silence, longue respiration de trois heures, silence.

« Ouyi, ouyi ! ...»

La main dressée derrière une oreille, la nuque penchée d'un côté.

Saillard à côté qui mimait un truc, un sapin ou un poteau électrique.

« Ouyi, ouyi !… Ouyi mouz efan, écoutez !... Ecoutez l’air qui vient pitaler DE RUMILLY JUSQUE SEYSSEL! … ET SACCOGNER LES PRAZ ! ECOUTEZ DONC ECOUTEZ DONC ! »

Pour sûr qu'on l'écoutait, surtout qu’il commençait à brailler comme un veau.

« ...C'est le chant de la DAME DU VAL DE FIER ! DU VAL DE FIER ! Y VIENT SACCOGNER LES PRAZ ! … ECHARBOTER LES VARGNES ET LES VILLARDS ! … ET Y VIN JUSQU’A NOUS ! …. ECOUTEZ MOUZ EFAN, OUYI DONC !! »

— C’est bon accouche, grommela Bruno pas loin.

Le vieux reprit plus bas, après un tour de l’assistance.

« Mais peut-être y quârqu'un ici le connaît ?... Adonc, los efan, est-ce que vous connaissez ce chant ? »

— Noonnn... Répondit tout de suite Stéphanie Lemaître, comme à un spectacle de Chantal Goya.

« Alors je m'en vais vous le chantar, tel qu'on nous le chante depuis des siècles… »

— Putain elle pouvait pas la fermer celle-là, j'entendis marmonner dans mon dos.

«... Quand on est près du chaufiô au chalet, et que le vent souffl ben cru dans toute la Yaute !... »

J'avais pas rêvé, Saillard était bien en train de mimer un sapin, avec ses bras il semblait faire les branches qui remuait dans le vent.

— N'importe quoi pourquoi il fait l'oiseau lui, fit une autre voix derrière.

«...dyin lé vèlyè in...

… de kontye AVOUÉ …

… LOU DYÂBLE É LE FAYE…»

Le sapin-oiseau commença à pencher dans la direction du vieux qui recommençait à brailler en tapant du pied.

«… ROULAR DEDENS LA COMBA !..

… BEN TEUP EN BIZOLÈ

… BRULÔ ET VIELO TRIMBLAR !…»

Puis Saillard nous tourna le dos complètement, les branches à présent retombées.

«...MAIS D’AVOUIR Y RESTAR

D'AVOUIR LA DAMA DU COMBA DI FIER !... DU COMBA DI FIEEERR…»

Avant de se déraciner franchement, d'un petit bond vers la toge.

Le vieux lui continuait avec sa main derrière l'oreille et battant la mesure, il faisait mal au crâne à gueuler comme ça, surtout que sa langue c'était pas possible, même les slaves ils auraient pas supporté, ils l'auraient buté direct.

Puis la voix s'arrêta d'un coup, on aurait dit un camion-poubelles qui venait de s'enrayer.

Saillard se tenait entre le vieux et nous, il semblait assez embêté, il lui disait des trucs, et le vieux de son côté ne semblait pas du tout apprécier.

On se regarda dans l'assistance, Stéphanie Lemaître faisait chuttt à ceux qui commençaient à rigoler derrière, Bruno pariait avec Jamel que Saillard allait s'en manger une, même qu'il allait glisser jusqu'aux escaliers.

Oh arrête tes gôgnes, gronda le vieux tout à coup. De quoi on comprend rien??... Il tendit son visage énorme vers nous. Hein los efan, vous konprènyî hein ??

On savait pas quoi répondre nous, en plus sa tête était encore plus rouge que d’habitude, on aurait dit La Chose dans les 4 fantastiques, il nous redemanda, on regarda nos pieds, Saillard se pencha à nouveau vers lui, il causèrent une bonne minute puis le vieux se redressa l'air mauvais.

Bon ça y est j'ai pris le taffu là, il s'exclama en lui passant devant, toute toge dehors, sans un regard pour l'assistance. Saillard resta les branches ballantes en le voyant décamper.

« Allez Arvipâ, on l'entendit clamer de loin, je t'y laisse tout piouler en monchu ! Ah là ça parètran ben bobet! !»


Texte publié par CyrMot, 6 février 2022 à 13h55
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