On était en train de jouer en bas de la résidence, on devait pas trop faire de bruit à cause des vieux qui habitaient là, du coup on se faisait des petites passes de foot avec Octave en parlant doucement.
C'était pas le plus marrant mais passées quinze heures il n'y avait souvent plus rien à faire à l'appartement. Mon père avait bien un stock de BD, mais ne restaient que des Blake & Mortimer ou des Buck Danny à lire, que des gens carrés avec des mentons carrés sous des bulles carrées avec trois cent lignes dedans, je préférais encore descendre taper dans une balle de tennis entre deux bancs du minuscule jardin.
Ça devait bien faire un an que mon père habitait là, tout seul, ils s’étaient séparés avec Véronique, on s’entendait plus trop il nous avait simplement dit un soir dans la voiture alors qu’il nous ramenait à la cité. Bon débarras avait juste dit ma sœur ; de mon côté moi je n’avais pas trop compris l’explication, je trouvais même ça pas terrible, même si quelque part je m’en foutais un peu, elle avait quand même été chiante sa nouvelle femme au bout d’un moment, avec ses chiens, sa mosaïque et sa voix aigüe.
Mais de là à se barrer d’un coup, comme ça, pouf, de ramasser sa caisse à outils au milieu des travaux, tout ça parce qu’ils ne s’entendaient plus trop, non je pigeais pas.
Il n’y avait pas eu de truc de taré apparemment, de maison cramée ou de chien abattu. Non c’étaient des vrais adultes, ils avaient fait ça comme des adultes, posés et réfléchis.
J’avais essayé de les imaginer en promenade d’adultes, en forêt avec les chiens, ou au milieu du repas dans la petite baraque perdue de Véronique. Ne pas tomber d’accord sur la couleur d’une feuille morte ou bien sur leur goût préféré dans les yaourts aux fruits, Véronique faire la moue en ramassant un bâton ou mon père hocher mollement la tête devant son yoplait. Et puis le lendemain au réveil tous les deux se dire entre adultes c’est fini, on s’entend plus trop et mon père faire ses valises en sifflotant, avant de faire salut de la main par la fenêtre en rejoignant sa voiture.
Après, le bon point avec ça, c'est que maintenant mon père habitait de nouveau dans la même ville que nous, on pouvait même y aller à pied, et que son appart était vraiment top, avec des grandes baies vitrées et des stores électriques, un grand balcon, et puis un magnétoscope, un ordinateur, Canal +, un répondeur et même et un minitel. Bref la vie moderne, ça nous changeait de sa cabane dans les champs, et mon père avait l’air d’être bien ici, en tout cas on le voyait plus disparaître de la journée pour bricoler ; juste parfois après le repas aller faire sa sieste de quatre heures au fond de l’appartement, là où toute la technologie était installée. Bien sûr il nous restait la télé mais ma sœur avait déjà fait son programme Canal + pour la journée, on était descendu au moment où son live Virgin Tour de Madonna commençait.
J’avais terminé ma série de pénos, on échangea les places avec Octave, en allant aux cages je remarquai alors une silhouette qui venait de s’asseoir sur un banc plus loin.
On l'avait déjà croisé quelquefois, je me rappelais plus de son prénom, en tout cas je me souvenais bien d’une fois où on l’avait vu jouer avec un big Goldorak tout seul sur son banc, une autre fois avec une voiture télécommandée, une putain de trop belle voiture télécommandée avec les phares qui s'allumaient, le turbo arrière et les numéros sur les côtés.
On ne lui avait rien demandé je me rappelais, lui n’avait pas arrêté de la faire rouler vers nous, il nous avait bien soûlés d’ailleurs avec ses dérapages, jusqu’à ce que la balle tape dedans, et qu’il vienne chialer pour une petite demi-volée sur le capot.
Mais en fait il était sympa, il nous l’avait même fait essayer sa bagnole, on avait bien rigolé jusqu’à ce que son père vienne le chercher sans même nous adresser la parole, on n’avait pas trop compris.
Clément, voilà Clément ça me revenait, Clément qui aujourd’hui squattait de nouveau en bas de l’immeuble. Je m’étais d’ailleurs frotté les yeux en observant ce qu’il avait cette fois entre les mains.
C’était ça, c’était bien ça. C’était bien le Donkey-Kong double écran devant sa tête grimaçante, 349,99 francs à Cora, Carrefour et sur tous les catalogues Redoute, Camif et compagnie, c’était le premier que je voyais en vrai. Enfin en vrai dehors quoi, pas derrière une vitrine au Prisunic près de la cité, avec le vendeur qui nous regardait de partout genre on allait tout casser, je vins m’asseoir à côté de lui les mains dans les poches pour le regarder jouer un peu.
C’est vrai qu’il était sympa Clément, mais il était quand même aussi nul au jeu électronique qu’en dérapages contrôlés, je scrutais son petit bonhomme à l’écran, il dépassait jamais la première échelle sans se bouffer un tonneau.
Au bout d’un moment ça me fatigua, je retournai vers Octave qui tentait des jongles de la balle de tennis avec les genoux.
— Bon t’y vas aux cages, il me dit tout concentré sur ses petits rebonds.
Au bout du troisième ratage il alla chercher le point de penalty près d’une touffe d’herbe pendant que je sautillais devant les deux pieds du banc.
Octave commençait à peine à compter ses pas d’élan qu’on sursauta tout à coup, nos deux têtes se tournèrent vers celle de Clément qui se mettait à gueuler là-bas. Ça avait pas l’air de bien se passer, il était tout rouge derrière son écran. On s’approcha alors qu’il venait de refermer violemment le clapet du jeu.
— Tu veux que je te montre si tu veux, c’est pas compliqué, je commençai en m’asseyant à côté.
— Non non, je veux pas. Toute façon il est nul ce jeu, mon père va m’en acheter un autre il m’a dit, quand il va rentrer de voyage.
— En fait c’est sur le premier niveau que tu foires tout.
— Hein ?
— Faut courir jusqu’à l’échelle, faut pas attendre les tonneaux. Après le truc, c’est quand le tonneau il tombe au bord, là tu grimpes tout de suite, et puis au deuxième et au troisième niveau là c’est simple, t’as les poutrelles au milieu qui te gênent mais t’attends deux tonneaux, trois max, faut juste prendre le rythme, et après t’as plus qu’à aller jusqu’en haut. Bon après là faut faire gaffe avec Donkey, mais en fait quand il lance les trucs, là tu vas voir que .. …
Je m’arrêtai un instant, j’eus l’impression qu’il ne m’écoutait plus.
Mais il me toisait juste sans rien dire, bouche entrouverte, le boîtier pendu entre les doigts.
Puis il me demanda d’où je pouvais savoir tout ça. Je voulus reprendre mon explication il me coupa direct et me tendis son jeu pour que je lui montre.
Derrière Octave trépignait, se demandant peut-être s’il aurait droit à une vie lui aussi. On avait passé tellement de temps à le regarder en démo à Prisunic ce jeu, on aurait pu l’un comme l’autre le finir les yeux fermés, en jonglant avec une balle de tennis pourquoi pas.
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