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tome 1, Chapitre 4 « La haine » tome 1, Chapitre 4

Le sang ruisselait le long des doigts du prisonnier. Plic ! Ploc ! sur le sol déjà marqué de traces indélébiles. Le garçon gémissait, pleurait, reniflait à grand bruit. La douleur l’écrasait et les sanglots aussi. Il respira par saccades tant sa gorge se noua et observa le liquide écarlate qui s'écoulait le long du dos de ses mains tremblantes. Il courba l’échine. Grimaça d’horreur. De terreur. De colère. Les cicatrices cachées par les entraves de cuir piquaient et démangeaient, témoins des douleurs qu’on lui infligeait.

Les portes mécaniques restèrent closes. Depuis quand son père l’avait-t-il abandonné ? Pire encore : quand allait-il revenir ? Les larmes roulèrent sur les joues humides du jeune homme.

Il imaginait sans mal la silhouette du scientifique derrière la vitre teintée. Avec son sourire carnassier et sa seringue mortelle. “Rien ne l’oblige à avoir mon accord”, pensa-t-il, “il peut m’injecter sa merde directement dans les veines sans scrupules, l’enfoiré”. Sa respiration s'accélèra : il agoniserait dans ce lit et on l’“endormirait”. Le cobaye savait bien ce que cela signifiait. Cette idée lui glaça l’échine. Le monstre reviendrait bientôt.

Cole rugit sous la douleur des lanières de cuir qui lui arrachaient la peau. Les entraves, des lames acérées qui lui rongeaient la chair et les os. Mais il vivrait. Il fuirait. Il le fallait. Avant le retour de l’autre. Du bourreau. Du géniteur. Oh ! Comme il haïssait son père ! À en crever. De tout son être, de toute son âme. Cole le détestait assez pour se blesser et appeler son attention. Qu’il se rende compte… Les larmes, le sang, la gorge déployée… l’agitation de tous ses membres. Juste pour que son père comprenne. Qu’il lui demande pardon. Rien de plus.

Jedefray n’avait pas encore reparu. Il attendait. Il se délectait des tourments du patient. Cole cracha sa rage. Son cerveau brûlait. Palpitait dans sa boîte crânienne. Le bourreau ne l’entendait-il donc pas ? À moins qu’il aimait ça… “Putain de psychopathe”, ragea Cole.

Le mécanisme de la porte se mit en branle. Cole écarquilla l'œil, son cœur rata un battement. Son père ? Veste noire. Cicatrice à la joue droite. “Oncle Sven” ! Soulagé, Cole se redressa et tira sur ses entraves par mégarde ; la douleur cuisante lui arracha une grimace. Pas grave ! Oncle Sven. Sa seule chance.

— Tonton, aide-moi ! Il veut me tuer ! Tu dois me croire, il veut…

Les mots se noyèrent dans une quinte de toux. Lambda aboya une unique fois, inquiet, tandis que Sven plaqua les mains devant lui :

— Oh ! Oh, oh ! Du calme. Je comprends que dalle à ce que tu me dis. Respire, gamin !

— Mais, Sven, il…

— Non ! Stop. Je veux rien entendre tant que t’es pas un minimum tranquille.

Son ton de voix, à la fois autoritaire et décisif, obligea Cole à se rasséréner. Il ferma l'œil et se concentra sur chacune de ses émotions. Ses poumons surchauffaient. Sa cage thoracique menaçait d’exploser. Sven referma ses doigts sur ceux de Cole ; il se fichait d’être maculé de sang. Seul le bien être du gamin lui importait. Ses lèvres affaissées, ses iris délavés et sa barbe de trois jours témoignaient de son habitude face aux crises démentes de son neveu.

— J’vais lui arracher la… la gueule ! cracha Cole surpris par une nouvelle quinte de toux.

— Hey, Cole, si tu veux que je te détache, il va falloir faire un petit effort.

Sven ne croyait pas au pouvoir des chaînes. Un sourire tremblant étira les lèvres du prisonnier face à cette douce perspective. Son oncle reprit :

— Regarde l’état dans lequel tu te mets ! Tu peux te contrôler mieux que ça. Allez, montre-moi.

Tout pour se libérer du joug oppressant du scientifique ! Cole se concentra : la voix de Sven, les pensées parasites, l’image de son père…

— Reste avec moi, répéta son oncle, ça va aller. On pourra discuter après, d’accord ?

Cole s’appliqua ; il hocha la tête, frénétique. Des spasmes le secouèrent alors que son cœur galopait toujours et que la sueur ruisselait encore sur son front. Nouvel assaut de rage. La vague déferla dans son corps. Remonta le long de sa gorge.

— Cole, Lambda attend son maître

Le jeune homme cessa net tout mouvement. Plus il hyperventilait, plus ses bras fourmillaient, mais qu’importe. La mention de Lambda suffisait à le ramener à la réalité, même un court instant.

— T’as pas l’air d’un maître, là, reprit Sven d’un ton calme. T’as envie qu’il te voit comme ça ?

Assis devant le lit, Lambda attendait, les yeux rivés sur l’alpha, les oreilles en arrière. Une profonde empathie, un zeste de peur, voilà ce qu’évoquait le regard du canin à cet instant précis. Rendre son ami triste… cette idée épouvantait Cole jusque dans ses os. Sven avait raison : il devait reprendre le contrôle, coûte que coûte. L’entravé expulsa l’air de ses poumons et toussa sous le feu de sa gorge irritée. Il inspira encore, plus longuement, et compta les secondes à chaque nouvelle tentative. Une technique du bourreau, certes, mais qui avait fait ses preuves.

— C’est bien, gamin. On le fait ensemble.

Sven arbora un sourire de fierté sur ses lèvres fines. Il inspira :

— Un. Deux. Trois. Quatre. Cinq.

Nouvelle quinte de toux. Cole émit un râle, frustré de se montrer si faible.

— T’énerve pas, répliqua son oncle, ça sert à rien. On recommence.

Le complice amena avec une infinie douceur sa main contre le ventre de son neveu. Elle se leva, s’abaissa au rythme de sa respiration et hypnotisa le prisonnier. Une pluie de soulagement déferla chez ce dernier et une larme roula le long de sa joue déjà trempée.

— Ça va mieux ? demanda Sven.

Cole hocha la tête, il déglutit avec difficulté puis présenta son poignet gauche à son oncle. Ses doigts quittèrent le ventre et rejoignirent l’entrave de cuir où son autre main s’était déjà posée. Ils effleurèrent la boucle dorée nimbée de sang de la lanière et l’ôtèrent sans effort. Cole exulta face à la légèreté de son poignet libéré, rongé, où la douleur le piquait et battait en rythme. Devant la sérénité nouvelle du jeune homme, Sven se pencha pour atteindre la seconde entrave et réitérer l’opération. Il s’occupa des pieds ensuite. Cole l’observa sans réagir : il reniflait à grand bruit sous les spasmes des sanglots. Lambda profita de l’accalmie pour amener ses pattes avant sur le rebord du lit. Cole croassa :

— Je te caresserais bien, mais j’suis couvert de sang… Le cœur y est, mon touffu.

Cette indication ne gêna pas l’animal qui colla sa truffe contre le flanc de son meilleur ami. Il remua la queue, heureux face au maître redevenu lui-même.

Quand Sven eut fini, Cole se redressa. Trop vite. Ses tendons d’Achille le brûlèrent dès que ses pieds touchèrent le sol et il peina à respirer quand ses mains se posèrent sur le lit. Il les ramena contre son torse, à gémir sa peine.

— Bouge pas, ordonna son oncle, tu t’es bien amoché.

Cole ouvrit la bouche, désireux d’intervenir. Lui faire comprendre la situation, mais Sven avait déjà quitté la pièce.


Texte publié par Albane F. Richet, 30 avril 2022 à 16h54
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