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tome 1, Chapitre 14 « Le lapin blanc » tome 1, Chapitre 14

Une fin d’après-midi. Une nuit. Une journée entière. Tandis que la lune brillait à nouveau dans le ciel hivernal, Cole titubait, glacé et mort de faim. Lambda haletait à ses côtés, lui aussi au bord de l’hypoglycémie. Il se nourrissait de neige, jusque là, mais cela ne le rassasiait jamais. Le froid, en plus, accélérait leur métabolisme. Cole en arrivait presque à imaginer la sève se mouvoir au creux des bouleaux. Impossible, il le savait bien. Son imagination le travaillait, voilà tout. Il voulait dormir… mais surtout manger. Rien n’occupait davantage ses pensées.

Il avait tenu autant que possible, mais la frustration exacerba cette pulsion dans son crâne : sous tension, elle animait sa colère. Un peu, puis de plus en plus, jusqu’à ce qu’elle devienne ingérable.

Quand un vertige saisit Cole, Lambda releva les oreilles et pencha la tête sur le côté. Son maître vacilla, mais s'accrochait au tronc le plus proche. Trouver du gibier leur permettrait de se sustenter un minimum… l’Alpha irait mieux, ensuite. Lambda huma l’air avec toute sa détermination. Il s’élança. Hésita. Suivit une piste.

Curieux, Cole s’efforça de suivre son ami. Un grand vide se creusait dans son estomac et lui donnait la nausée. Il persista. Pas s’arrêter, surtout. Sinon, il s’endormirait. Surtout pas dormir, non. Plus jamais. Ca faisait peur, de dormir. Il lutterait jusqu’au bout.

De la vapeur s’échappa de sa bouche, ses dents claquèrent de plus belle et ses pieds s’apparentèrent à deux glaçons à la fois lourds et bardés de piques. Il tendit l’oreille. La neige craqua sous ses pas. Sa tête bourdonne à force de focaliser sa vue sur des détails, perdus dans l’ombre. Aucun fruit, pas le moindre cours d’eau avec une multitude de poissons. Il s’essuya l'œil, sa paupière tressauta, se ferma de manière plus régulière. Son lit, tout à coup, lui manqua. Là-bas, au laboratoire. Où la température ambiante restait toujours la même.

Et où se trouvent mes tortionnaires.

Qu’est-ce-que cherchait son géniteur, au juste ? Il répétait sans arrêt vouloir le guérir de sa maladie. Sans jamais la nommer. Celle qui aurait donné naissance au meurtrier, au fond de Cole. Capable de tuer sa propre mère. Ou encore la maîtresse de ses plus terribles colères, de sa fièvre et de ses maux de ventre. Son bras le démangea : il le gratta dans un mouvement frénétique.

Je suis pas un assassin. C’est pas moi qui tenait la pelle. S’il voulait me guérir, l’autre enflure s’en serait chargé y a longtemps.

Non. Il cherchait autre chose. La manière dont il traitait Sven lui révélait toute sa folie. Jedefray se complaisait dans la domination. Et la destruction. Celle de sa femme. Celle de son frère. Celle de son fils. Il n’aurait de répit qu’une fois leur âme… endormie. Cole frissonna. Gratta plus fort son bras. Un psychopathe. Rien de plus. Rien de moins.

Il franchit de nouvelles racines emmêlées quand une nouvelle crampe lui scia le ventre. Il grimaça. Il gémit. Ses glandes salivaires lui chatouillaient la langue. Il se racla la gorge, s’appuya contre les troncs pour se soutenir.

Lambda se focalisa sur un point dans la nuit. Cole fronça les sourcils, porta une main sur son front. Il brûlait à son tour. Un autre effet de la faim, à n’en pas douter.

Au laboratoire, le scientifique prévoyait tous les repas du prisonnier, sans jamais lui en faire rater aucun. Réglés comme une horloge. Rien d’étonnant à ce qu’il perde les pédales lors de son premier jeûne.

— Lambda ?

Sa silhouette s’était stoppée au loin, près de gros troncs. Il grattait le sol. Frénétique. Un rayon lunaire les illumina. Lambda plongea la tête dans un trou. La ressortit aussi sec. Des lapins blancs décampèrent dans la nuit. Cole recula. Interrogea Lambda du regard. Dans sa gueule ensanglantée, gisait un gros lapin.

— Oh ! Bordel, Lambda !

Cole porta une main à sa bouche, écoeuré. Sans la moindre considération pour sa victime, le prédateur mordit dans sa proie à multiples reprises. Ses dents fondirent dans la chair. Les muscles et tendons s’étirèrent sous sa force destructrice. Le sang gicla sur la poudreuse. Les organes se déchirèrent sous les coups du chien. Un relent de bile attaqua la gorge de Cole. Il se détourna. Vomit avec l’image du sang, des tripes, des boyaux dans la tête.

Son estomac se comprima davantage. Épouvanté, il frémit à chaque nouvelle morsure, à chaque nouvel organe dévoré. La patte de la victime frissonna dans un dernier spasme, de la vapeur s’éleva de son intérieur à l’air libre. L’odeur métallique du sang raviva le vacarme dans le ventre du jeune homme. Les yeux ambre de Lambda se posèrent sur moi.

Il garda un morceau de viande crue dans la gueule. Le liquide rouge tira vers le noir et goutta doucement sur les poils du chien. Cole ferma les poings, prostré contre un arbre, à contempler la bête mue par son instinct primaire. Il se rapprocha. Il ne ferait pas de mal à l’alpha. Ensemble dans la tourmente depuis cinq ans, au moins. Jamais Lambda ne le confondrait avec de la nourriture.

Son museau se trouva à quelques centimètres du visage de l’homme. La sueur perla sur le front brûlant de ce dernier. La chair tendre, dans la gueule du chien, amena un surplus de salive dans la bouche de son maître. Lambda ouvrit la mâchoire. Laissa choir la masse visqueuse sur le pantalon de l’homme. Cole dirigea son oeil vers l’animal qui s’assit. Attendit.

Me nourrir. Il veut… que je me nourrisse…

Le chien se pourlécha les babines, repus. Cole sentait le sang suinter entre les fibres de son jean. Il prit dans ses mains la viande encore chaude. Ses doigts tremblants se refermèrent sur elle dans un bruit de succion malsain. Une grimace se dessina sur son visage. Sa gorge se serra tandis qu’une nouvelle crampe d’estomac l’assaillit. Il porta son autre main sur son ventre, dans l’espoir de réfréner la douleur. En vain. Son souffle se coupa. Il hypersaliva à nouveau. Il cracha. Reporta son attention sur la victuaille.

Mordre dedans satisferait son estomac. L’idée de son goût âcre le répugnait. D’un autre côté, le sang qui s’insinuait dans sa bouche et son œsophage lui attira un frisson d’extase. Il étancherait sa soif par la même occasion et lui permettrait de continuer son chemin. Aller en ville. Après tout ce qui lui était arrivé… n’était-ce-pas la récompense tant désirée ?

Il ne suffisait que d’une morsure.

Une seule.

Les autres suivraient.

Leur goût se confondrait à la première.

Il s’y habituerait.

Il inspira avec appréhension. Apporta la viande rouge juste devant sa bouche. Son odeur amèna des frémissements dans sa tête. Il entrouvrit les lèvres. Ferma l'œil. Ses dents vinrent se poser sur la chair molle. Le liquide écarlate lui emplit la cavité buccale. Il insista. Mordit plus fort. Un jus de sang chaud se répandit dans ma gorge. D’un coup sec, il détacha une partie de la chair. Elle résista. S’étira. Céda enfin sous un ballet d’encre rouge. Un filet visqueux coula le long de son menton.

Un goût caoutchouteux survint à la mastication. Les grondements de l’estomac se calmèrent à mesure qu’il se remplissait. Les sueurs disparurent. La fatigue s’estompa. Il en voulut plus. Que les papillons dansent à nouveau dans son crâne.

Il s’approcha de la carcasse. A quatre pattes. L'œil rivé sur la victime. Ses longues oreilles pendaient dans un angle improbable. Les yeux vides, elle avait perdu toute conscience. Lambda s’était occupé d’une bonne partie de son corps. Il ne restait presque rien. Ce petit animal avait donné sa vie pour la leur. Malgré le poids de la culpabilité, Cole plongea les doigts dans la charogne sanguinolente.

Si j’en mange davantage, je tiendrai plus longtemps…

Il n’en oubliait pas son objectif. Trouver la civilisation. S’intégrer. Vivre en liberté. S’arrêter au premier obstacle, à la première faiblesse, n’était pas une option. Il leur fallait survivre. Malgré les larmes qui roulaient le long de ses joues. Malgré le sang versé. Malgré la mort. Dans sa détermination, il croqua un dernier morceau du pauvre animal.

Ça fourmillait dans sa tête. La viande raviva ses forces. Il essuya sa bouche du dos de la main. Ça suffirait. Pour l’instant. Bientôt, la ville. La pulpe de ses doigts caressa avec douceur la tête tiède du lapin. L’homme se pencha vers lui, bien qu’il ne l’entendit plus et ne le comprendrait pas de toute façon :

— Je te promets… on fera le moins de victimes possibles.

Il se releva, enfin ragaillardi. Lambda lui lança un air interrogateur. Cole lui tapota la tête :

— Viens, on continue de marcher. On pourra pas dormir dans ce froid polaire.

Ils laissèrent derrière eux leur dîner. Cole passa une main sur sa nuque, mal-à-l’aise. Son estomac resta calme. Les crampes avaient cessé. Mais le poids dans le cœur de l’homme resta bien vivace.

Ce soir, il avait tué un innocent.

Ce soir, il avait conscience de celui qu’il pouvait devenir. Celui que redoutait sa mère.


Texte publié par Albane F. Richet, 27 septembre 2022 à 16h24
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