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tome 1, Chapitre 10 « Le labyrinthe » tome 1, Chapitre 10

À gauche ? A droite ? Les couloirs s’étiraient… se ressemblaient. Des murs blanc cassé où s’amoncelaient fissures et craquelures. Aucune fenêtre, hormis celles qui donnaient sur différentes salles peu engageantes : des moniteurs, des brancards, des ustensiles et autres produits chimiques les peuplaient. Depuis combien de temps Cole fuyait, désorienté ? Aucune idée, mais chaque seconde rapprochait le scientifique.

Le fugitif jeta un œil par-dessus son épaule dès qu’il entendit - ou cru entendre ? - des bruits de pas. Lambda suivait, les yeux rivés sur son maître, à se demander où diable il l’emmenait. Cole perdit l’équilibre; se rattrapa de justesse : la tête lui tournait à force de chercher la silhouette du tortionnaire.

Une intersection. Encore. Des corridors vides. Toujours. A une exception près : des plafonniers formaient des halos blafards s’il persistait tout droit.

— Je sais pas… je suis pas sûr, murmura-t-il autant pour lui-même qu’à l’intention de Lambda.

Cole déglutit avec difficulté. Il n’osa plus bouger. Intimidé. Loin de sa zone de confort et de ses journées ritualisées. Il hésita alors que chaque fibre de son corps , tendue sous l’adrénaline, brûlait de se précipiter… quelque part. Mais où ? Ses pieds refusèrent de se décoller du sol, retenus par les chaînes de la terreur. Lambda s’agita. Il gémit, impatient. Cole paniqua : si le scientifique les retrouvait…

— Je suis désolé, je… je sais pas où aller !

Ses poumons se comprimèrent. Lambda aboya une unique fois. Son pelage caressa la jambe de Cole. Il le dépassa. Le surpassa. S’avança dans le couloir aux murs métalliques. Aucune crainte. Du courage, pur et simple. Il se tourna vers lui. L’attendit. Il aboya pour l’appeler.

Cole voulut le suivre. Il avait confiance. C’était son compagnon d'infortune. Son guide. Il inspira avec une profonde intensité, prêt à poursuivre son périple. Lambda jappa : il s’élança dans l’unique couloir éclairé. Comment connaissait-il le… ? Oh ! Les sorties avec Sven, bien sûr ! Une chape de plomb quitta les épaules fragiles de Cole. Clac ! Clac ! Clac ! Ses pas se répandirent en écho et il vérifia à nouveau qu’on ne le suivait pas.

Jedefray… Où était donc Jedefray ? Cole frémit à l’idée de tomber sur lui par mégarde. Il rasa les murs pour plus de sûreté. Il dépassa bon nombre de portes closes et pressa si fort le badge dans sa main que ses jointures blanchirent. L’adrénaline coulait dans ses veines à une vitesse folle. Démesurée. Un bruit ? Un sursaut. Une lumière qui vacille ? Un haut-le-coeur.Au milieu d’un énième corridor blanc : une longue vitre. Cole s’arrêta net, intrigué.

Putain ! Ça sert à quoi ça ?

Un brancard avec des arceaux métalliques à l’endroit où un “patient” mettrait une tête… Les sueurs froides innondèrent son corps. Des machines. Un ordinateur dont la lumière de l’écran allumé portait tout droit sur les entraves en cuir qui pendaient avec mollesse le long des barrières du brancard. Un lieu de torture. Une idée folle traversa l’esprit de Cole : Et si… et s’il n’était pas le seul cobaye ? Et s’il y avait une autre chambre, dans une de ces salles qu’il avait dépassées ? Et si on avait fait endurer mille souffrances à un frère… ou une sœur, sur cet engin de malheur derrière la vitre ?

Ca semblait ridicule… mais le doute subsista. S’amplifia. La joie, le soulagement, la compassion qu’il ressentirait s’il savait ne pas être le seul. Quelqu’un à qui parler. Quelqu’un qui comprendrait. Quelqu’un qui ne le livrerait pas au bourreau… ou ne suivrait pas ses ordres sans réfléchir.

Lambda aboya. Fallait pas rester là, non. Pourtant…

Une pointe d’anxiété irrépressible lui coupa le souffle. La perspective de fuir, atteindre le Saint Graal du dehors devint insoutenable à mesure qu’il s’imaginait abandonner une autre victime à son triste sort. On le - la ? - tuerait à sa place. Une boule d’angoisse obstrua sa gorge. Impossible. Inenvisageable.

Cole brandit le badge de Jedefray sous le regard circonspect de Lambda.

— Lambda, reste près de moi.

Le fugitif plaqua la carte magnétique contre le boîtier près de la porte verrouillée. L’écran afficha : Jedefray Coldman. Accès autorisé. Le verrou se débloqua dans un bruit de métal ; la sueur perla sur le front de Cole : le scientifique avait forcément entendu. Pas de temps à perdre.

— Allez, lança-t-il à Lambda avec un geste rapide de la main.

L’animal entra le premier, suivit de son maître peu rassuré. Plaqué contre le mur, il entendit son cœur pulser à s’en déchirer les cottes. Laboratoire vide : il expulsa la tension par un soupir sonore. Cole observa les alentours : on ne l’avait jamais jeté ici, il en était sûr et l’odeur de javel qui lui agressa les narines lui indiqua qu’on n’avait encore jamais utilisé pareil équipement. Pas de sang. Pas de traces de lutte.

Lambda renifla le sol sans rien trouver de probant. Cole prit son courage à deux mains : il s’avança vers l’ordinateur à la manière d’un moustique attiré par la lumière. Des mots dansaient sur l’écran, des chiffres, une courbe… les résultats de sa prise de sang avec une conclusion sans appel : Cole était en pleine forme. Il aurait pu se réjouir d’une telle nouvelle, mais il se figea lorsque son regard obliqua vers la blouse pliée au carré à côté de l’ordinateur et, posé dessus, un ouvrage sur la craniotomie.

Il veut m’ouvrir le crâne. Je vais bien et il veut m’ouvrir le crâne, l’enfoiré !

Sa respiration haletante emplit toute la pièce. Partir. Tout de suite. Plus d’arrêt. Il était seul et avait toujours été seul dans son enfer. Sans compter Lambda. Le fugitif oublia toute logique et sortit de la pièce sans demander son reste.

— Cole !

Il sursauta. Jedefray. Le boucan de la porte quand elle s’était ouverte. Merde !

— Lambda ! La sortie… trouve la sortie ! supplia-t-il.

Le chien courut sans se retourner. Gauche. Droite. Encore à droite. Là-bas, au loin, il captait une odeur familière. Si proche de la porte, celle qui menait dehors. Sven empruntait toujours le même chemin. Lambda éternuait à chaque fois que cette même odeur se manifestait un peu trop fort. S’il détestait ces effluves, il les accueillait cette fois avec plaisir. Déjà parce que le stress de l’alpha était communicatif, mais surtout parce qu’on l’avait enfermé trop longtemps. Sa vessie menaçait d’exploser à tout moment. Mais il se retenait, en bon chien qu’il était.

Cole talonna son ami. Un coup d'œil par-dessus son épaule lui assura que le scientifique le poursuivait. Lambda allait si vite… trop vite. Cole, hors d’haleine, le perdait de vue entre chaque bifurcation. Son cœur se comprimait à chaque fois. Trop d’efforts pour un homme qui n’avait jamais fait de sport en dehors de sa chambre. La nausée le rattrapa. Il redoubla d’efforts. Un autre coup d'œil : le bourreau perdait du terrain. Nouvelle intersection, le moment idéal pour le semer.

Cole ralentit l’allure lorsqu’il aperçut Lambda éternuer entre deux portes. Laquelle prendre ? Pas le temps de réfléchir. Il opta pour celle de gauche, d’où venait une odeur nauséabonde de… paille humide ? Ça sentait comme ça, lors de la sortie à la ferme, avec l’école. Il y a longtemps.

Le mécanisme se déploya. Les sons étouffés se muèrent en cris assourdissants. Devant Cole et Lambda se dressa un capharnaüm d’agitation et de piaillements effroyables. Des bras velus se faufilaient entre les barreaux des cages. Certaines d’entre elles tremblaient sous les assauts de leur occupant. Sur le côté, Cole lut “PP-R”. Effrayé, il recula d’un pas. Pan Panicus. Le nom scientifique pour désigner les chimpanzés.

Putain, qu’est-ce-qu’ils foutent là ces singes ?!

Les cages se superposaient les unes aux autres. Les animaux s’excitèrent à la vue de l’Homo Sapiens. Leurs cris assourdissants lui arrachaient le cerveau. Insupportables. Inhumains. Cole recula davantage. Jusqu’à ce que la porte, enfin, se referme. Les hurlements étouffèrent à nouveau, mais ils se répercutèrent dans son crâne. Inoubliables. Ils appellaient à l’aide. Leur peur. Leur rage. Leur envie de fuir. Tout comme Cole. Il croyait être traité pire qu’un chien. Le voilà abaissé à la condition de bête sauvage.

Il va me le payer. Ce connard va me le payer.

— Cole !

Sursaut.

Bordel, quand on parle du loup…

Son géniteur se tenait à l’autre bout du couloir.

— Cole, reste où tu es !

Déjà, le scientifique avalait les mètres qui les séparaient. Cole fit volte-face. Ouvrit la porte que Lambda grattait avec ses pattes. Dernier espoir. Elle s’ouvrit sur un entrepôt où s’entassaient bon nombre de cartons encore fermés. Un vent frais s’engouffrait dans la pièce. Cole était tout proche. Lambda lui indiqua la sortie. La vraie. L’unique. Cole allait se jeter contre la barre métallique en plein milieu de la porte quand on l’ouvrit de l’extérieur. Il stoppa tout mouvement, paniqué.

Sven se figea. Il toisa son neveu comme s’il le voyait pour la première fois. Derrière lui, le parking souterrain. Au-delà, la liberté.


Texte publié par Albane F. Richet, 5 septembre 2022 à 21h29
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