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/! Ce texte fait mention d'LGBTophobie et peut-être interprété comme des idées suicidaires. Faites attention à vous si vous êtes sensibles à ces sujets /!

INVISIBLE

Maman,

« Les jolies filles attirent les gentils garçons », ne cessais-tu de me répéter lorsque je sortais sans maquillage. « Ce n'est pas en s'habillant en homme que tu trouveras le grand amour », me disais-tu lorsque je refusais de porter cette robe au rouge écaillé que tu m'avais acheté la veille. Sauf que, Maman, je ne veux pas attirer les « gentil garçons », et c'est la seule façon que j'ai trouvé pour te le dire.

Du plus loin que je me souvienne, tu as toujours essayé de me pousser vers les garçons, sans jamais te demander si, au fond, j'éprouvais un quelconque intérêt pour eux. Oh, bien sûr, j'ai essayé pour te faire plaisir. Plusieurs fois. Tu étais heureuse et donc je considérais que c'était bien. Et puis ça finissait, et ils partaient, et ça ne me faisait rien. « Si tu es aussi froide avec eux, ma fille, je comprends qu'ils soient partis ». Et je ne comprenais plus. Avec le recul, c'est drôle, je me dis que j'agissais comme le chien : je te fais plaisir, j'obtiens ce que tu veux, et tu me rejettes et je ne comprends pas. Qu'ai-je fait de mal ?

Les années passent et les remarques sont de plus en plus pressantes. Non, maman, je ne m'intéresse pas aux garçons. Mais est-ce ma faute s'ils ne m'intéressent pas ? Et non, maman, je ne suis pas plus attirée par les filles que par eux. Et les années passent, et tu insistes, encore, et encore, et encore. Les humains doivent-ils finir à deux pour devenir... valides ? Pour ma part, je ne comprends pas ce principe. Je ne l'ai jamais compris.

Maman, la vérité, c'est que je ne comprends pas l'amour. Lorsque tu parles du coup de foudre, je ne sais pas ce que tu veux dire. Lorsque tu parles de faire l'amour, j'ai des frissons de dégoût qui montent. Je n'ai pas peur, Maman. Non. Non, je ne m'abstiens pas non plus. Je n'ai pas envie d'avoir de relations amoureuses, de quelque nature qu'elle soit. Est-ce si dur à comprendre ?

Lorsque je t'ai parlé du concept d'asexualité, tu m'as ri au nez. « C'est une phase. » « Tu ne peux pas savoir tant que tu n'as pas essayé. » À chaque fois, un coup de massue. Quand ma sœur t'a annoncé qu'elle préférait les filles, je me suis dit « Ah, enfin, elle va comprendre qu'on ne naît pas hétéro ! », mais non. À la place, tu l'as pointée du doigt en disant qu'elle s'assumait et pas moi. Mais Maman, je n'ai pas besoin de m'assumer puisque je sais ce que je suis. Je m'assume déjà et c'est toi qui ne l'assume pas.

Non, ta fille n'aura pas de petits-enfants plus tard parce qu'elle n'aime pas le sexe. Non, ta fille n'est pas attirée par les hommes ni les femmes. Et non, maman, ta fille ne comprend toujours pas après cinq ans pourquoi tu persistes à la rejeter. Je ne rentrerais jamais dans le moule de la société. Je n'aurais jamais de mari pour m'attendre à la maison. Parce que je n'en ai pas besoin, Maman. Je n'en ai jamais eu besoin.

Alors oui, face au voile opaque que tu as placé sur tes yeux, je t'ai envoyé des signaux de détresse. Si la seule manière pour que tu me foutes la paix était de porter des vêtement d'homme, alors je le faisais. Je n'en ai pas plus envie que toi. Mais c'est la seule manière que j'ai trouvé pour me faire entendre. C'est la seule façon que j'ai trouvé pour justifier à tes yeux et à ceux de la société que je ne voulais pas de relation amoureuse.

On nous rabâche sans cesse que le moule de la société n'existe pas, que l'on crée des cases qui nous emprisonnent. Mais maman, les cases, ce n'est pas moi qui les créent. Ce sont les personnes qui me jugent du regard au quotidien. Ce sont les parents qui insistent pour que leur enfant soit comme les autres. Ce sont ces gens sur les réseaux sociaux qui rabaissent et discriminent en toute impunité. Ce sont toutes ces personnes qui pensent que je n'existe pas puisque je ne suis pas comme eux. C'est toi. C'est eux. C'est vous tous.

Je sais que tu n'as pas de mauvaises intentions. Je sais bien qu'ils ne comprennent simplement pas. C'est tellement plus simple de pointer la différence du doigt pour qu'elle se mette d'elle-même à l'écart. Mais ça ne marche pas comme ça, Maman. Ces personnes que tu pointes du doigt, elles vivent cette différence toute leur vie. Tu aurais beau leur dire qu'on ne crée pas de cases, elles savent que ces cases existent parce qu'on les pointe du doigt dès qu'elles détournent le regard.

Mais je ne t'en veux pas. Je ne t'en veux plus.

Je n'ai jamais été plus invisible qu'aujourd'hui, et peut-être que, maintenant, tu le comprends toi aussi. Peut-être ressens-tu mon absence ? C'est dur, n'est-ce pas ? Cette absence, pour moi, elle a toujours été là. Si ta propre mère refuse de te voir tel que tu es, alors accepte-le et deviens invisible.

Je suis partie, Maman. Je ne reviendrai pas.

J'espère que mon absence te pèsera sur la conscience comme la tienne a pesé sur la mienne.

********************

Bonjour à tous !

J'espère que ce petit texte vous a plu, il sort tout droit d'une phase un peu sombre que j'ai traversé il y a deux ans et que j'ai eu du mal à accepter. Il parle à la fois de mon asexualité, de mon aromantisme, et de la manière dont je les vis au quotidien.

On pense trop souvent aux personnes acceptées et aux personnes rejetées physiquement, mais trop rarement à celles qui deviennent simplement invisibles avec le temps. Et j'avais envie de leur dédier cette petite lettre, aussi insignifiante soit-elle.

La fin de ce texte est libre d'interprétation.

Merci d'avoir lu et à bientôt pour de nouveaux textes !


Texte publié par Myfanwi, 2 septembre 2021 à 16h47
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