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tome 1, Chapitre 11 « Sur d'autres ailes - Mouvement 1 » tome 1, Chapitre 11

Avec l’assistance du garçon – et de grandes précautions pour ne pas heurter son aile blessée au chambranle étroit de la porte –, Luciel s’avance dans la clarté intense d’un ciel sans nuage. Un souffle d’air pur et frais balaye l’endroit presque joyeusement. II porte cette saveur de neige typique de l’altitude. Même si son inquiétude pour Solia continue de le ronger, il parvient à la repousser au fond de son esprit. Tant qu’il ne peut rien faire pour y remédier, il doit faire de son mieux pour l’ignorer et se consacre à un unique objectif : reprendre des forces. En attendant, autant se rapprocher de ses hôtes : peut-être pourront-ils les aider ?

Le jeune ange regarde autour de lui avec curiosité. Il découvre un village de belle taille, constitué de maisons d’une bizarre forme cubique, toutes élevées dans la mystérieuse pierre poreuse de l’île. Certaines comportent un étage, desservi par un escalier extérieur. Leurs fenêtres étroites sont voilées par des rideaux de fines lamelles de bois, liées entre elles par des cordelettes. Autour de chacune d’elle s’étend un jardinet délimité par un muret, planté de buissons à baies, d’arbres fruitiers et de carrés de légumes ou de céréale. Il n’existe pour ainsi dire pas de rues : les habitations s’éparpillent un peu par hasard. Par contre, un réseau d’irrigation se ramifie entre les jardins.

Cet endroit ne ressemble à rien de ce qu’il connaît… Ni aux villages d’altitudes, qui s’étirent le long des vallées en enfilades de petites maisons de bois, ni aux forteresses de pierre grise, perchées sur leurs pitons rocheux. Tandis qu’il suit le garçon roux, il entend des fragments de conversation, et le bruit des activités humaines, identiques quel que soit le lieu. Le chuintement d’un métier à tisser, les coups d’une hache…

Les villageois qu’ils croisent possèdent tous le même physique élancé que ceux qu’il a déjà rencontrés. Une partie d’entre eux arborent des combinaisons de cuir comme Afras et Aïzie, hommes comme femmes. Les autres portent des robes ou des tuniques par-dessus des pantalons amples en fibre végétale, agrémentés d’accessoires colorés. Certains jettent des coups d'œil curieux en direction des deux jeunes gens, mais aucun ne semble hostile ni méprisant.

Luciel peine à imaginer que ce lieu flotte dans les airs. Il brûle de s'envoler pour le vérifier, mais pour le moment, il doit accepter la parole de ses hôtes.

Plusieurs fois, il s’arrête pour regarder autour de lui, avant de se rendre compte qu’Aïzie a poursuivi sa route. Dès qu’il s’en aperçoit, le garçon roux l’attend avec un sourire.

— Nous y sommes bientôt, dit-il soudain d’un ton mystérieux.

Aïzie et Luciel débouchent sur une vaste esplanade libre de toute construction, piquée çà et là de bosquets et d’herbes folles. Elle est bordée d'un parapet au-delà duquel apparaît un horizon d'un bleu intense. Les nuages, emportés par les tourbillons qui ont failli causer sa perte, filent à toute allure sous leurs yeux. Ils abandonnent de longs lambeaux effilochés qui s’évanouissent dans l’air froid.

En contrebas, s'étendent des chaînes montagneuses entrecoupées de vertes vallées, voilées par endroit par des écharpes de brumes. Il reconnaît le paysage qu’il peut admirer quand il vole en altitude. Jamais il n’aurait imaginé pouvoir le contempler en sentant la terre sous ses pieds. Malgré les explications de ses hôtes, rien ne l'a préparé à ce spectacle.

— Comment est-ce possible ? s’entend-il murmurer.

— Il paraîtrait que la matière dont l’île est faite allie la pierre aux nuages… mais j’ignore si c’est vrai.

— C’est prodigieux…

Luciel peine à arracher son regard à la vision qui défile sous ses yeux. Le jeune semeur de tempête le prend par l’épaule :

— Ce n’est pas ce que je voulais te montrer. Suis-moi !

Il l’entraîne à travers l’esplanade, vers un bâtiment qui ressemble de façon troublante à une angèlerie… au point que Luciel s’immobilise, l’estomac noué. Aïzie tourne vers lui un visage surpris :

— Quelque chose ne va pas ?

— Où m’emmènes-tu ?

Le garçon semble étonné par le ton défensif dans sa voix. Il lui adresse un sourire rassurant :

— Voir les khaïte ! C’est là qu’ils sont logés ! Mais si tu n’en as pas envie, nous pouvons revenir plus tard...

Luciel baisse la tête, soudain gêné. Comment a-t-il pu soupçonner de mauvaises intentions de la part de ses bienfaiteurs ?

— Je suis désolé…

— Tu n’as pas à l’être. Tout est nouveau pour toi, ici ! Allez, suis-moi !

Enhardi par l’enthousiasme de jeune semeur, l’ange allonge le pas vers la tour, aussi blanche que les angèleries sont grises. Elle présente une forme plus râblée ; trois étages de pontons seulement rayonnent autour de la structure centrale. Sur certains d’entre eux, il peut distinguer d’étranges créatures similaires à celles de la figurine et des tentures.

Leurs grandes ailes membraneuses repliées le long du corps, elles somnolent dans le pâle soleil d’altitude, qui teinte leur pelage sombre de reflets vert et bronze. Quelques-unes, plus alertes, se dressent à l’extrémité des pontons. Elles arborent un harnachement semblable à celui des cornus de selle. De petites silhouettes s’affairent autour d’eux. D’un mouvement fluide, l’une d’elles enfourche un khaïte, qui s’élance aussitôt dans le vide. Bouche bée, Luciel le regarde négocier les courants traîtres qui entourent l’île avant de disparaître vers l’horizon.

Le jeune ange se demande ce qu’on peut bien éprouver, lorsqu'on est ainsi porté vers le firmament, sans avoir à produire le moindre effort pour s’arracher au sol. Quand, enfin, la créature se réduit à un point dans le ciel, son attention se reporte sur son ami. Aïzie, qui l’observe du coin de l’œil, lui adresse un sourire amusé.

— Que diras-tu d’une petite virée sur le dos de Nuée, ma monture ?

La proposition enthousiasme Luciel, mais sa réserve naturelle le rattrape aussitôt :

— Il pourra nous porter tous les deux ?

Les mains sur les hanches, Aïzie éclate de rire.

— D’abord, ce n’est pas « il », mais « elle ». Et ensuite, ni toi ni moi ne pesons bien lourd ! Et cela nous arrive de partir à deux, pour partager nos expériences. Je dois juste m’assurer que tu te sens assez bien pour m'accompagner. Je ne voudrais pas aggraver tes blessures.

Luciel inspire une longue bouffée d’air ; ses côtes libérées ne le troublent plus et ses jambes ont retrouvé leur stabilité. Une légère douleur s’attarde dans son aile, mais elle reste très supportable. Aïmara a aussi lié sa sœur valide, afin qu’elle n’affecte pas le membre blessé par un mouvement inconsidéré.

— Ça ira, ne t’inquiète pas ! J’espère que ma présence ne l’indisposera pas…

— Pourquoi ce serait le cas ?

— Les cornus se montrent parfois nerveux quand nous sommes près d'eux...

Aïzie hausse les épaules :

— Ne compare pas nos khaïte à ses imbéciles de cornus ! Ils sont bien plus intelligents, et ils reconnaîtront en toi un enfant du ciel, tout comme eux !

— Un enfant du ciel ? répète Luciel, intrigué.

Aïzie opine vigoureusement :

— Oui ! Les semeurs, les khaïtes, les anges… nous sommes tous des enfants du ciel !

Le ton confiant du garçon dissipe les dernières hésitations de Luciel. C’est avec empressement qu’il suit Aïzie vers la tour blanche, impatient de rencontrer les « ailes »de son ami.


Texte publié par Beatrix, 24 janvier 2022 à 23h54
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