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tome 1, Chapitre 9 « L'île dans le ciel - Mouvement 5 » tome 1, Chapitre 9

Luciel ouvre brusquement les paupières ; son cœur bat à toute allure tandis que s’effacent les dernières images de son rêve. Encore une fois, il a dû revivre un passé douloureux. La brume qui obscurcissait son esprit s’est en grande partie dissipée. L’urgence de la situation lui revient brutalement. Depuis quand se trouve-t-il en ce lieu ? Plusieurs heures ? Plusieurs jours ? Et si le délai imparti pour sa mission était déjà dépassé ? Il ne dispose que de quatre jours pour opérer une reconnaissance sur le fort de Piques et rentrer à Cimes, ou Solia sera jetée dans le vide. La vision du petit corps en train de choir d’une hauteur vertigineuse, ses longs cheveux sombres claquant autour d’elle, tourne en boucle devant ses yeux.

Le jeune ange se redresse un peu trop rapidement et ravale un cri quand le mouvement tire sur ses côtes blessées. Peu lui importe. Dans sa poitrine, son cœur bat à coups redoublés. Une douleur sourde palpite au même rythme dans son aile. Il essaye de la déployer, sans y parvenir, comme si elle était collée à son dos. Il se rappelle alors les couches de bandages.

Sa main se lève au-dessus de son épaule ; ses doigts accrochent les bandes d’étoffe, dont il tâche en vain de se débarrasser. Il rencontre la surface rêche et dure d’une attelle de bois léger. Peut-être que la fracture n’est pas si grave, que son aile le portera quand même… Luciel serre les dents, tandis qu’il tente de libérer le membre immobilisé.

— Je ne ferais pas ça si j’étais toi !

La voix est jeune, réprobatrice, mais dénuée de sévérité. Luciel tourne la tête et aperçoit un garçon de quatorze ou quinze ans, mince et osseux. Il le fixe d’un intense regard bleu, qui contraste avec sa peau hâlée. Il arbore une tenue de cuir semblable à celle d’Afras, mais un capuchon dissimule sa chevelure.

Le nouveau venu vient s’asseoir au bord de sa couche ; il saisit la main de Luciel, toujours prise dans les épaisseurs d’étoffe qu’il tente d’arracher, et la dégage avec une douce fermeté.

— C’est moi qui t’ai découvert, écrasé sur une corniche. Ce n’était pas joli à voir. J’ai pensé que tu étais mort… Il faut croire que les anges sont coriaces.

— Oh… Tu es Aïzie, le neveu d’Afras ?

— En effet ! déclare l'adolescent fièrement. Je suis Aïzie, semeur de tempêtes et chevaucheur de khaïte ! Et toi, tu as bien un nom ?

— Luciel... répond l’ange, décontenancé.

Même les habitants les plus bienveillants des villages d’altitude ne se sont jamais préoccupés de savoir son nom.

— Enchanté, Luciel.

Tout en parlant, Aïzie resserre les bandages autour de la poitrine et de l’aile de Luciel.

— Aïmara a fait du bon travail. Elle a remis les os en place, mais il va falloir un peu de temps pour que tout se ressoude…

Une fois qu’il a terminé, le garçon s’assoit sur ses talons et regarde Luciel avec curiosité :

— Pourquoi cherchais-tu à ôter ton attelle ?

— Je dois partir.

— Pourquoi ? s’étonne l’adolescent. Tu n’as pas été bien reçu ici ?

— Oh, si. Je vous suis reconnaissant de m’avoir recueilli et soigné, mais si je ne rentre pas…

Il hésite un instant, avant d’ajouter :

— … quelqu’un pourrait mourir !

Les yeux d'Aïzie s’élargissent :

— Vraiment ? Comment ça ?

Luciel s’apprête à lui répondre, mais la méfiance le retient. S’il se trouve dans une forteresse ennemie de Cimes, ses habitants seront moins disposés à l’aider. S’il s’agit d’alliés, ils pourraient prendre ombrage en entendant un ange critiquer un seigneur. Après avoir réfléchi, il décide d’exposer la situation, en restant le plus neutre possible et sans citer le nom de son maître ni de son domaine. Aïzie l’écoute en silence, la tête penchée sur le côté comme un oiseau attentif.

— Même si je suis blessé, conclut-il, ma mission demeure importante aux yeux du seigneur. Je dois rentrer à temps et avec les informations qu’il a demandées, ou Solia paiera pour mon retard.

Au fur et à mesure de ses explications, il a vu l’expression du garçon changer ; une colère contenue semble l’envahir.

— C’est d’une cruauté insensée! s’exclame-t-il enfin. Quel genre de monstre est ton maître ?

Le jeune ange éprouve un certain soulagement : ainsi, son nouvel ami ne connaît pas les forteresses ni leurs coutumes impitoyables. Il existe des villages reculés qui restent préservés de ces pratiques – Solia vivait dans l’un d’eux avant son invasion par les troupes d’Euresme - , mais cet endroit paraît différent.

— Aïzie… Où sommes-nous, exactement ?

Le garçon écarquille les yeux, avant de sourire :

— Oh… bien sûr… Personne ne te l’a dit. Tu te trouves au village des semeurs de tempêtes !

— Je n’en ai jamais entendu parler.

— C‘est plutôt normal. Personne ne peut s’en approcher, à moins de se retrouver pris dans de terribles tourbillons qui nous servent de défenses contre les dangers de la terre et du ciel. Nous sommes les seuls à pouvoir les calmer. Tu as eu de la chance de t’échouer sur l’île !

— Une île ?

Luciel fronce les sourcils. Les îles qu’il connaît se situent soit au milieu de rivières, soir de lacs d’altitude. Elles ne sont pas assez grandes pour accueillir un village… Les légendes des hommes racontent que dans le mystérieux Contrebas, existent des étendues d’eau si vaste qu’on ne peut apercevoir l’autre rive. Il n’est jamais descendu assez bas pour le vérifier, mais il ne pense pas se trouver dans cette lointaine contrée où naissent les montagnes.

— Le lac qui l’entoure doit être immense, murmure-t-il.

Le garçon aux yeux bleus laisse échapper un éclat de rire. Luciel se sent un peu blessé par cette réaction : qu’a-t-il dit de si étrange ?

— Nous ne sommes pas au milieu de l’eau, mais de l’air, s’empresse d’expliquer Aïzie.

— Au milieu du ciel ?

—Si tu veux. Nous flottons au-dessus des montagnes, au gré des courants.

L'ange observe un instant de silence ; tout ceci lui paraît si insensé… mais après tout, en tant qu’ange, son existence même relève du merveilleux – c’est du moins ce que semblent croire les humains.

— Mais… comment ? murmure-t-il enfin.

Les doigts d’Aïzie effleurent le mur blanc à la texture mousseuse :

— La pierre dont notre île est constituée est plus légère que l’air.

Luciel acquiesce ; le mystère reste entier, mais pour le moment, l’explication lui suffira. Ce fait ne change rien à ses problèmes. Solia demeure en danger ; il peut toujours percevoir le faible écho de sa panique. Aïzie pose une main sur son épaule.

— Tu as l’air bien sombre… N’aie crainte. Nous trouverons une solution ! Puisque tu ne peux pas utiliser tes ailes, nous te prêterons les nôtres !

— Vos...ailes ? Mais… comment ?

Le jeune semeur de tempêtes esquisse un sourire énigmatique :

— Repose-toi encore. Demain matin, si tu te sens assez bien pour te lever, je te les montrerai.

Sur ces mots cryptiques, le garçon aux yeux bleus le salue avant de quitter la chambre.


Texte publié par Beatrix, 19 janvier 2022 à 09h17
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