Pourquoi vous inscrire ?
«
»
volume 1, Chapitre 5 « Pause imprévue » volume 1, Chapitre 5

De son côté, Jess ignore tout des attentions flatteuses dont elle faisait l’objet. L'œil mi-clos, un paquet de gros cigares et un briquet à la main, elle pénètre dans une salle d’une dizaine de mètres carrés.

Aménagée en plusieurs rangées de grosses tables rondes, chacunes entourées de quatre petites chaises, la zone fumeurs ne brille pas par sa fréquentation.

Un homme, le visage fripé, les cheveux gris, un piercing à l’oreille, un tatouage de biker sur le poignet, se tient assis au second rang à droite.

Il semble prendre un malin plaisir à tirer de sa cigarette de grosses bouffées épaisses qu’il rejette en petites figures ovales.

Non loin de lui, témoin du paroxysme de son art, une poubelle métallique dépasse à peine de l’arrière du distributeur.

Au fond à gauche, un couple entre deux âges se lève. Prend la direction de Jessica. La dépasse sans un regard. Se noie dans la foule.

Les individus à peine disparus, que le synthétique gardien de salle, s’emploie déjà à nettoyer la place.

Son visage figé dans une matière brillante aux reflets de plastiques surmonte un costume aux couleurs grises et violettes de “Health Care Heavy”.

De ses mouvements saccadés d’automate consciencieux, il vide le cendrier. Astique plateau et assises. Tient les lieux prêt à l’accueil des prochains clients.

Derrière lui, placardée sur la cloison du fond, une affiche publicitaire animée vante les bienfaits de traitements anti-tabac.

Des photos de poumons et des plans de coupe d’appareillages cybernétiques y tournent sur eux-mêmes. Permettent aux curieux de profiter de chacun des détails de leurs technologies avant-gardistes.

La jeune fille s’installe au plus proche de l’entrée. Contemple, au calme, le panorama ouvert sur le grand hall. Il y règne une animation trépidante.

Depuis le plafonnier, la voix douce et enthousiaste d'une femme déverse un message mercantile :

« Nous sommes heureux de vous accueillir dans cet espace fumeur aménagé par “Health Care Heavy”, leader dans la santé cybernétique de vos poumons !

Grâce à son système “Fresh Air ®”, fumez en toute tranquillité ! Goûtez à toutes les saveurs de l’instant présent ! Et ce, sans remords ! Car les effets du tabac ne sont plus une fatalité !

Avec “Fresh Air ®”, nettoyez vos poumons et donnez un coup de jeune à vos bronches !

Des difficultés à respirer ? Nos chirurgiens remplacent vos poumons par notre système “Cyber-Fresh Air ®”. Ce respirateur à la pointe de la technologie, vous offre une autonomie d'une heure en apnée ou en présence d'émanations toxiques. Satisfait ou remboursé. Alors, ne vous laissez plus priver d’air ! Choisissez Fresh Air ® !

Les technologies “Fresh Air ®”, des technologies accessibles aujourd'hui, pour votre bien-être de demain ! “Fresh Air ®”, une bouffée d’air frais pour vos poumons !

Amateur de tabacs forts ? Nos paquets de cigares et de cigarettes sont à votre disposition dans nos distributeurs sous la marque “Heavy Tobacco ®”.

“Heavy Tobacco ®” les tabacs de caractère, pour des femmes et des hommes de caractères ! “Heavy Tobacco ®”, le tabac qu’il vous faut ! »

Confortablement installée dans l’espace fumeur, Jessica ignore les annonces qui reviennent marteler les cerveaux. Ne prête aucun regard au synthétique qui s’affaire non loin d’elle. Et encore moins à l’homme modeleur de fumée.

Au lieu de cela, enfermée dans ses pensées, elle sort un holopad à coque bleue de la poche de son jeans. Commence une recherche impatiente sur les mots “Airbones Techno”.

Une fois la première page d’une liste conséquente de résultats consultée, elle pose le petit appareil. Le fait glisser à côté du cendrier. Sort avec précautions un cigare de son étui.

Elle en coupe la cape d’un geste sûr. Le cale sur la gauche de sa bouche. L’allume. Jette, désinvolte, le briquet sur la tablette. Il y rebondit dans un petit bruit métallique. Tire une grande bouffée gourmande. L’expulse par le nez.

La réaction de son organisme, surpris, sur la défensive, désireux de rejeter ce corps étranger, ne se fait pas attendre.

Elle lâche le cigare. Le laisse tomber au sol. Pliée en deux, se met à tousser. S’étouffe, les yeux gorgés de larmes.

Écoeurée, son visage défait passe d’abord par un blanc pâle. Vire presque aussitôt au rouge. Au vert.

Barbouillée, d’urgence, elle bondit. Se précipite vers la poubelle. Dans une cacophonie de gargouillis, y vomit à flanc de distributeur.

Entre deux quintes de toux, elle tente de reprendre son souffle. S’aide de ses deux mains pour garder l’équilibre.

Ses doigts rencontrent les bords circulaires de la poubelle. Elle s’y agrippe. Ressemble à une naufragée accrochée au bastingage d’un bateau ballotté par la tempête.

L’homme aux cheveux gris se rapproche, les intentions plus goguenardes qu’empathiques :

« Hey ! Ma p’tite dame, ça va ? C’est pas pour les fillettes ces cigares là, hein ! Faudra faire attention à c’que vous fumez la prochaine fois, ahaha !

- Oh ça va ! rétorque-t-elle au moqueur, tout en essuyant sa bouche d’un revers de main viril. T’as jamais vu une princesse gerber dans une poubelle, Ducon ? Casse-toi d’là, ça m’fera de l’air ! »

Sans se retourner, toujours cramponnée à sa bouée improvisée, Jess accompagne ses paroles d’un geste dédaigneux. La mimique lui donne l’air de chasser une mouche indésirable.

Surpris par le comportement de la fille, blessé dans son orgueil, le vieil homme lui lance :

« Vache ! La politesse t’étouffes pas en tout cas ! J’espère que tu vas crever, sale grognasse ! »

C’est l’insulte de trop ! Le sang de Jess ne fait qu’un tour. Cette fois, elle n’a pas l’intention de se laisser faire.

Elle fait volte-face. Réajuste ses lunettes d’un index vigoureux. Jette un oeil noir au vieillard irrespectueux. Serre les paumes jusqu’à ce que ses ongles en pénétrent la chair. Se tient prête à en découdre.

« Pauv’ con, tu vas te prendre la mandale de ta… »

Woui ! Wouiiii ! Woouuiiii ! Woooouuuuiiiiiiii !

Coupée dans son élan, surprise, Jess se détourne de son adversaire. Dirige une oeillade sévère vers l’enceinte d’un petit haut-parleur fixé sur le mur en fond de salle.

C’est à travers lui qu'une sirène stridente continue de retentir.

Figée. Étourdie par le bruit. Apeurée par sa signification probable, la foule du grand hall a stoppé toute activité, son attention suspendue aux vocalises de l’alarme, castafiore à la voix perchée.

Chaque individu se tient en alerte, partagé entre deux sentiments contradictoires. Celui de savoir qu’une telle chose pouvait arriver un jour. Et malgré tout, celui de ne pas être à sa place, se demandant, égoïste, pourquoi cela lui arrive ici, à lui, à ce moment routinier de sa vie quotidienne.

Les visages sont tendus, livides d’inquiétude. Les regards se croisent, interrogateurs.

Chacun à son niveau, essaie, silencieux, de comprendre ce qui se passe. Ce qu’il est censé voir du danger qui le menace. Censé se rappeler des recommandations qu’il a bien pu lire, bien pu entendre, sur ce qu’il doit faire ou sur ce que l’on attend de lui en pareilles circonstances. De son sang froid dans l'expectative des secours. De sa discipline dans l’exécution d’une possible évacuation.

De son côté, Jess, plus agacée qu’inquiète, reste plantée sur place, en alerte.

Ses pieds font corps avec le sol. Ses poings sont verrouillés à la manière d’un boxeur. Ses yeux sont rivés sur l'enceinte. Celle-ci ne semble pas vouloir cesser de cracher ses effroyables et hypnotisantes décibels.

Seul le synthétique, imperturbable, continue ses activités.

Soucieux-programmé de la propreté des lieux, il se tient accroupi à côté de la poubelle. Sans rechigner à une tâche peu ragoûtante, il y nettoie les débordements récents de la brune.

Le vieil homme, quant à lui, a profité de cette diversion inespérée pour se placer hors de portée de Jess. Lui tourne le dos. A préféré embrasser des yeux le spectacle figé du grand hall. Y chercher l’origine du danger.

Quelque soit sa nature, il sera toujours plus grand que celui représenté, fusse-t-elle vraiment énervée, par une frêle jeune fille. De toute façon, située entre la catégorie poussin et le poids plume d’un volatile malingre, peut-il la prendre au sérieux ?

Le vacarme de la sirène, perdure une quinzaine de longues et incompréhensibles secondes.

Il finit par s’arrêter. Cède enfin sa place à la voix plus supportable d’un homme venu expliquer à la foule les raisons de l’alerte.

« Mesdames et Messieurs, une opération de l’unité Urban Cops est en cours ! Veuillez rejoindre les issues de secours les plus proches ! Un individu armé et dangereux a été repéré au premier étage. Ne tentez pas d’intervenir vous-même ! Ceci n’est pas un exercice ! Je répète : trouvez l’issue de secours la plus proche et sortez immédiatement du bâtiment. Ne paniquez pas : tout est sous contrôle ! »

Aussitôt l’annonce diffusée, tous les hologrammes du centre commercial se transforment. Devenus flèches rouges, elles clignotent en cadence. Indiquent les directions des sorties voisines.

Jusque là imperceptibles, les sirènes d’un groupe d’intervention se rapprochent à grande vitesse. Confirment à tous, la gravité de la situation.


Texte publié par Erval, 26 septembre 2021 à 19h38
© tous droits réservés.
«
»
volume 1, Chapitre 5 « Pause imprévue » volume 1, Chapitre 5
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2621 histoires publiées
1170 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Eli
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés