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volume 1, Chapitre 2 « Un diagnostic discutable » volume 1, Chapitre 2

Jessica n’a pas le temps de terminer sa phrase. Les lumières de la petite salle de trois mètres sur quatre dans laquelle elle se tenait allongée, s'allument.

Éblouie, la jeune femme émerge de sa torpeur. Éprouve des difficultés à sortir de la concentration dans laquelle elle s'était plongée, soucieuse de ne pas omettre un détail important susceptible de fausser son entretien.

Elle se redresse. Lisse, nerveuse, ses longs cheveux bruns noués en queue de cheval. Tord sa bouche en une moue dubitative. Adosse son corps svelte au canapé couleur crème. Réajuste d’un index solennel et tremblant, les petites lunettes aux montures azures tombées sur le bout de son nez pâle et aquilin.

Vêtue d’un chemisier rouge, d’un jean bleu et de baskets vertes à lacets jaunes fluo, ses vêtements tranchent net avec son environnement : murs, plafond blancs, et sol carrelé gris opale aseptisés d’un centre médical.

Ses yeux vairons brun-vert fixent avec intensité la paroi face à elle.

Les trois lettres couleur émeraude d’un logo UPJ s’y animent. Pivotent dans un effet miroir. S’immobilisent quelques secondes. Tournent dans l’autre sens. Entament un nouveau et inlassable cycle.

La fille semble attendre que quelque chose se produise.

Impatiente, elle agite ses jambes. Ne sait pas quelle position leur donner. Cherche à se mettre au mieux à son aise.

Presqu’en cadence, fébrile, elle mordille sa lèvre inférieure.

À sa gauche, un crochet encastré dans le mur, soutient un petit blouson de cuir bleu.

À sa droite, un sas opaque fermé dissimule un lieu incertain.

Derrière elle, se dresse le mur contre lequel son divan, siège d’une patiente anxieuse en attente de son déplaisant verdict, se trouve accolé.


Quelques secondes d’une interminable attente, passent.


Sur l’écran-mur, le sigle se réduit. Se déplace en haut à gauche. Cède la place au chiffre 113. Il se positionne dans le coin supérieur droit.


En milieu de paroi, le visage en gros plan d’un homme aux tempes grisonnantes, le nez chaussé de montures noires, apparaît.

Ses larges épaules laissent entrevoir la blouse blanche d’un médecin ou d’un infirmier d’hôpital.


Son regard sans expression, se pose sur Jessica. De la voix à l’enthousiasme surjoué d’une pub, il s’exprime :


« Merci d’avoir choisi Ultra Psy Jet pour votre entretien psychologique ! Votre temps de parole est écoulé ! Si vous désirez poursuivre votre consultation, merci d’accepter le prélèvement de 100 crédits supplémentaires ! »


En bas de l'écran, le prix annoncé s'affiche.


« Refuser ! » s’écrie sans hésitation, la jeune femme.


En réponse immédiate à l’injonction, le montant s'évanouit. L’homme, imperturbable, reprend alors d’une voix monocorde :


« Fin du diagnostic demandée. Analyse des données en cours… Merci de bien vouloir patienter…»


Puis, sans transition, il poursuit sur un ton commercial :


« Un rêve récurrent dont vous n’arrivez pas à vous débarrasser ? Une envie soudaine de violence ? Un désir d’attenter à l’intégrité physique d’un bien ou d’une personne, y compris de vous-même ? Le groupe UPJ reste à votre écoute 24 heures sur 24. Discrétion assurée ! 100 crédits seulement, la consult… »


Le psychologue s’interrompt soudain. Son portrait se réduit. Se déplace sur la gauche. Se cale sous le logo UPJ.


Avec l’intonation d’un médecin à la lourde tâche d’annoncer une mauvaise nouvelle, il se met à délivrer sa conclusion. Chacun des mots qu’il prononce, s’inscrit aussitôt à la surface du mur-écran.


« Diagnostic terminé !


Patiente, Jessica Ward, 26 ans. Bloc 113.


1. Scanner cérébral : aucune lésion trouvée.

2. Probabilité que votre rêve soit un souvenir rémanent : 0%

3. Conséquence probable de votre récente opération : phobie de la CYBERNÉTIQUE révélée.

4. Peur des INSECTES détectée.

5. Dangerosité du patient à l’indice UPJ BorgDetect ®: 0.

6. Attention : orientation hétérosexuelle, compromise ! »


Alors que les points 3, 4 et 6 virent à un rouge vif, les autres passent au vert. Le médecin, imperturbable, continue son exposé.


« Traitement proposé :


Votre rêve trouve racines dans votre refus d’admettre votre homosexualité. Celle-ci, latente, a émergé à la suite de votre récente hospitalisation.

Nous vous proposons donc un remède simple, 100 % naturel et efficace.

Pour guérir, il vous suffit d’aller à la rencontre d’autres femmes, via notre site de rencontre UPJ True Love ®.


Voulez-vous procéder à une inscription ? Pour une souscription immédiate à ce service, vous bénéficierez d’une remise de 10 pource…»


Le chiffre 150 clignote en bas d’écran.


« Refuser ! Ça va pas non ?? Je suis pas lesbienne, moi ! Je serais quand même au courant ! ‘Tain ! C’est quoi ces obsédés ?

Détailler “orientation hétérosexuelle compromise” ! »


Le texte défile jusqu’à s’arrêter au paragraphe demandé. Celui-ci passe aussitôt en surbrillance. Puis, une fenêtre en forme de phylactère se colle à sa bordure inférieure. La bulle se remplit alors de commentaires.


La voix du psychologue en fait une lecture lente. L’intonation qu’il prend rappelle celle d’un professeur en train de donner un cours à de jeunes enfants à la compréhension réputée laborieuse. Il s’attarde sur certains mots. En articule chaque syllabe. Va jusqu’à en exagérer la prononciation.


« Dans le questionnaire que vous aviez renseigné en ce début d’entretien, vous affirmiez, d’une part être hétérosexuelle.

D’autre part, vous indiquiez que votre dernière relation amoureuse remonterait à plus de 6 mois, ce qui nous ré-vè-le une vie sexuelle non é-pa-nou-ie.

De plus, dans votre ré-cit, vous vous identifiez in-con-scie-mment à un homme. Vous y faites la rencontre d’une femme à la beauté et au sourire énig-matique qui vous attire et vous piège contre votre gré dans la ruelle sombre de vos sentiments amoureux.


Votre refus de reconnaître votre homosexualité se marque, d’une part, par la sensation de froid intense que vous ressentez lorsque cette femme vous vole un baiser. Ainsi que par la violence de sa conséquence : votre mort, que vous devez regarder en face.

D’autre part, lorsque vous rencontrez cette inconnue, vous n’osez pas affronter le regard des autres (dans votre rêve, les gens ne possèdent pas de visage). Et vous i-dé-a-lisez cette âme sœur sous les traits d’une “elfe”.


Vous avez donc honte de vous avouer votre orientation sexuelle et de devoir la dé-voi-ler à vos proches que vous estimez ne pas être capable de vous comprendre. Voi-re même, de vous rejeter pour ce que vous êtes.


Pertinence probable de notre conclusion : 99,9 %

- Mais, c’est n’importe quoi cette analyse ! Et c’est quoi cette histoire de “phobie de la cybernétique” ? Détailler ce point ! »


Aussitôt l’ordre s’exécute. Le phylactère se déplace vers le paragraphe incriminé. Il passe à son tour en surbrillance.

Sans prêter attention aux protestations lancées par la jeune femme, l’homme entreprend de le lire d’une façon tout aussi appliquée que le précédent.


« Si nous nous réfèrons à vos antécédents médicaux, une hospitalisation, en début de mois dernier, pour accident domestique, s’est soldée par l’implantation d’un œil gauche artificiel.

Si nous recoupons les données à ce sujet, votre dossier d’assurance santé nous indique que le montant proposé ne pouvait pas couvrir la substitution biologique que vous désiriez.

Et que, votre compte en banque et votre récent emploi d’assistante administrative chez Pharma Corp & Cie, ne suffisaient pas à financer un tel soin.

Vous avez donc, à contre-cœur, dû recourir à la cybernétique.


Nous notons également un refus inconscient d’accepter cet implant. En effet, vous portez toujours vos lunettes correctrices, alors que votre plus ancienne ordonnance ophtalmologique établie la seule déficience innée de votre œil gauche.

De plus, un mouvement bancaire en date de la semaine dernière, nous indique un achat de lentilles colorées, prothèses que vous aviez l’habitude d'acquérir avant l’accident.


Nous attirons votre attention, d’une façon tout à fait bienveillante cela dit, sur un fait que vous ne pouviez ignorer : un implant cybernétique ne nécessite aucune correction. Vous n’avez donc plus besoin de lentilles et encore moins des lunettes que vous arborez aujourd’hui.


À cela nous ajoutons que dans votre rêve, vous vous dîtes choquée par la décontraction de la femme que vous décrivez comme “possédant des prothèses remplaçant ses deux jambes”.


Et enfin, le personnage mis en scène dans votre cauchemar se fait exécuter par une arme cybernétique.


Tout cela dénote d’un refus de la cybernétique à tendance phobique.


- Pfffff. J’en ai assez entendu ! On va s’arrêter là ! Je veux même pas savoir, c’est quoi que l’indice borg bidule !

- Consultation terminée !

Diagnostic établi. Solution proposée : refusée. La patiente n’est pas coopérative. Chances de guérison fortement compromises !

Fin de la session de consultation…

Merci d’avoir choisi Ultra Psy Jet, Jessica ! Bonne journée et à très bientôt chez UPJ ! »


En un clin d'œil, le portrait du psychologue et les textes disparaissent du mur. Laissent la place au grand logo vert d’UPJ.


« C’est ça ! Compte la-dessus ! »


Jessica hausse les épaules. Maugrée des insultes étouffées. Se lève d’un bond du canapé. Déploie comme un ressort, son corps sportif de près d’un mètre soixante-dix. Attrape son blouson. L’enfile d'un geste rapide. Se dirige vers la porte du bloc 113.

À son approche, celle-ci s'ouvre sur une petite coursive. Nu de toute décoration, de petits orifices ouverts à intervalles réguliers dans le plafond en assure l’éclairage.


« Et dire que j’ai pris ma journée et que j’ai dépensé 100 crédits pour ça ! Myguan va m’entendre ! C’est à cause d’elle si je suis venue ici ! »


La jeune femme s’engage dans l’étroit corridor. Bat le carrelage d’un pas décidé.


Soudain, son visage se crispe. Ses lèvres se déforment en un rictus de douleur. La brune finit par porter la main à son front. Par ce geste, espère pouvoir en extraire la souffrance. La faire passer de son crâne, vers le bout de ses doigts.


« En plus, voilà que je commence à avoir la migraine ! J’étais pourtant en pleine forme ce matin ! Pffff ! Journée de merde ! »


Texte publié par Erval, 19 août 2021 à 12h13
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