Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 4 tome 1, Chapitre 4

Penchée sur le plateau d’échecs posé entre elle et sa grand-mère, Mijin réfléchit intensément. Sa grand-mère lui donne du fil à retordre et elle adore ça. C’est elle qui lui a appris à jouer, alors qu’elle n’était pas plus haute que trois pommes. Près du poêle, sur une couverture molletonnée, à l’abri d’un tilleul aux branches déployées, ou encore aux côtés des pêchers en fleurs.

Aujourd’hui, elles se tiennent dans la fraîcheur du salon car sa grand-mère craint la moiteur de l’été. Les volets, en filtrant la lumière éclatante du soleil, révèle à l’œil un tohu-bohu de poussières.

Une porte claque alors, désarticulant les paisibles volutes de poussières. Mijin reconnaîtrait ce parfum entre milles. Elle n’a pas le temps de lever les yeux de l’échiquier que de larges bras l’enlacent fermement. Son cousin n’a jamais su exprimer sa tendresse autrement que par sa force.

« Qui aurait cru que la petite Miji’ des villes viendrait faire ses armes ici ? Mamé, place ton cavalier en E7 et elle sera échec et mat ! »,

A la fois amusée et exaspérée, Mijin le rabroue du coude et tente d’amadouer sa grand-mère. Ici, elle se sent à sa place, en harmonie avec elle-même. Une pensée furtive traverse son esprit tandis qu’elle les regarde : elle espère pouvoir rencontrer un jour quelqu’un digne de cela.

*

19 heures. Mijin s’applique à effacer les dernières traces de fioul qui encerclent le rose poudré de ses ongles et qui se sont imprimées sur la pulpe de ses doigts. Elle a renoncé depuis longtemps aux parfums capiteux : le white spirit se chargeait déjà de lui donner une odeur singulière. Elle leur préfère la note sucrée des prunes, celle qui va s’entremêler à la douceur des fleurs de cerisier, et se charger de vanille, de muscs blancs et de bois ambrés.

Devant son miroir, Mijin tire sur les cordons de sa robe couleur chanvre pour l’ajuster et lasse ses Converses blanches. Ce soir, elle sort avec son cousin et des amis à lui. Elle se souvient des batailles de crème de chantilly et des longues soirées d’été à jouer de la guitare près d’un feu de fortune. Ils ont grandi, à présent, et les soirées se teintent d’after work, de tapas et de dead-line. Comme si leur insouciance s’était faite la malle. Comme s’ils étaient à présent condamnés à suivre le chemin déjà foulé par tant d’autres avant eux.

Dehors, l’air est doux. Elle presse le pas car elle se sait attendue, même si aucun n’ignore son légendaire retard, et le sourire contrit qu’elle y associe. « Il y a toujours quelque chose à faire ! » est la phrase qu’elle doit bien employer le plus souvent depuis qu’elle est en âge de parler et d’être en retard.

Ses pas résonnent le long des rues qui se succèdent, elle survole les trottoirs et les places pavées en regardant le déclin du soleil s’imprimer sur les façades ocre. Les lumières du restaurant se réverbèrent dans l’eau scintillante qui jaillit de la fontaine non loin de là.

A son entrée, ils s’exclament tous joyeusement de la voir enfin arriver. Elle rougit mais personne ne semble remarquer leur tapage affectueux. Ils s’embrassent, se frottent énergiquement le dos, ne s’embarrassent jamais d’une petite note d’humour. Ça fait longtemps, et ça fait du bien de se retrouver.

Les filles s’écartent pour lui laisser une place parmi elles. Se mêler aux garçons, mais quelle idée ?! Mijin se laisse porter par leur énergie. Elle rit, met à l’exercice son sens de la répartie, son verre ne désemplit pas, elle doit tout raconter. Elle n’a pas le temps d’achever ses phrases que d’autres surenchérissent. On s’y perd, on s’y étourdit.

Un instant, Mijin s’égare, les conversations autour d’elle ne deviennent plus qu’un murmure. Elle sent quelque chose. Un courant électrique. Sa tête se redresse, tandis que son regard n’a pas le temps de fouiller la salle comble : il s’aimante immédiatement à lui. Lui qui la regarde fixement.

Elle fronce les sourcils, interdite. Depuis combien de temps la sait-il ici ? Elle ose un léger sourire qu’il lui rend plus franchement tout en faisant crisser sa chaise sur les tommettes. Ses jambes à elle semblent avoir perdu toute leur robustesse. Pourtant, elle se voit se diriger vers lui, comme si plus rien d’autre autour d’eux n’existait.

« Salut ! Tu as fait une entrée remarquée ! » Elle est mortifiée mais le fait qu’il la tutoie désamorce l’inattendu de la situation. Ils échangent quelques banalités, tandis que leurs regards brillent de s’être trouvés.

La nuit, étendue sous le drap fin de son lit, Mijin s’étonnera de ne pas avoir remarqué les personnes avec qui Sajuta passait la soirée. Comme si les quelques minutes qu’avaient duré leur échange avaient suffi à les propulser dans un instant qui n’appartiendrait qu’à eux.

*

Mijin raccroche le téléphone filaire en scrutant les gars à travers la vitre du bureau. Auquel d’entre eux va-t-elle demandé cette faveur sans passer pour une bête de foire ? Celui aux jonquilles à présent défraîchies qui la salue seulement d’un signe de tête ? Celui qui lui file déjà des astuces quand elle a du mal à garder la tête hors de l’eau ? Ou encore celui qui donne l’impression de vouloir disparaître à chaque fois qu’elle s’adresse à lui ?

Elle opte pour celui qui ne devrait pas poser de questions. Au mieux, il marmonnera dans son coin. Au pire, il en rira avec les autres quand elle aura le dos tourné. Elle a cessé depuis longtemps de le caresser dans le sens du poil, elle dit ce qu’elle a à lui dire et puis voilà.

« Il faudrait aller dépanner une voiture. Je t’ai noté les coordonnées GPS ici. »

Il essuie grossièrement ses paluches dans un chiffon qui reposait sur son épaule. Se saisit du post-it qu’elle lui tend. Écarquille les yeux.

« T’es sérieuse ? Pourquoi t’y vas pas, toi ? »

Perdu. Elle était pourtant convaincue qu’il ne lui demanderait rien. Qu’elle ne serait pas obligée d’affronter si vite son, leur, incrédulité à tous. Elle aurait espéré s’épargner encore quelques temps leurs visages ahuris et leurs sarcasmes.

« Je n’ai pas le permis. »

*

Il fait frais ce matin, lorsque Mijin fait coulisser le panneau vitré. Se savoir seule au garage aujourd’hui la soulage. C’est Dimanche et elle n’attend personne. Ni collègue, ni client. Bricoler un peu lui occupe l’esprit et lui permet d’être moins speed sur les à-côtés de la semaine.

Son regard s’égare sur les pourtours laissés par leurs tasses de la veille. L’un des gars est resté avec elle après sa « révélation ». Peut-être le plus compatissant de tous. Ou le plus paternaliste. Elle ne saurait dire. En tout cas, plutôt que se montrer railleur, il s’est révélé intrigué.

« Je sais conduire, évidemment. Mais je n’ai jamais passé mon permis pour pouvoir le faire sur les routes. Par principe, je crois. Parce que j’ai toujours trouvé le moyen de me déplacer autrement : les bus ne manquent jamais en ville. Et le vélo, c’est bon pour le cardio ! », se rappelle-t-elle lui avoir confié.

« A répandre une philosophie pareille, tu vas signer l’arrêt de mort de notre profession ! », avait-il plaisanté en retour.

Mijin se surprend à sourire lorsqu’elle repense à ce moment. Qu’il est doux, parfois, de s’affirmer tel que l’on est. Ragaillardie par ce souvenir, elle fonce récupérer les clefs de la voiture laissée à l’abandon, bien déterminée cette fois-ci à résoudre ce mystère.

Consciencieuse, elle en fait le tour et note que le réservoir est presque à sec. La batterie semble avoir été débranchée juste après sa première initiative. Elle entraperçoit les chandelles qui calent le véhicule pour éviter que les pneus ne s’affaissent. A travers les vitres légèrement entrouvertes, elle distingue le frein à main abaissé et le visage souriant de Sajuta.

« Salut ! Je passais dans le coin et j’ai vu que le garage était ouvert. », dit-il en guise de préambule, tandis qu’elle porte une main à son cœur affolé. Cette fois-ci, pas de courant électrique pour la prévenir.

« C’était supposer te donner la solution, le fait de tourner autour de cette voiture ? D’aussi loin que je m’en souvienne, je l’ai toujours vu ici. Le type a dû avoir le temps de s’en racheter au moins deux ! Tu veux un coup de main ? Je m’y connais un peu en mécanique. Pas aussi bien que toi, bien sûr ! », enchaîne-t-il devant son silence à elle.

Elle aurait envie de se gifler à rester plantée là sans lui donner le change. Il est d’une beauté renversante, bien sûr. Et puis, elle le trouve attachant à vouloir combler le silence gênant qui s’épaissit autour d’eux.

« Un de mes collègues m’a dissuadé de démarrer cette voiture. Et j’ignore bien pourquoi. », lui explique-t-elle en remplissant le réservoir d’essence. Elle branche ensuite la batterie d’un geste leste, abaisse la voiture, vérifie la pression des pneus et les différents niveaux.

« Il ne te l’a pas dit ? », demande Sajuta, perplexe, tandis qu’elle se glisse derrière le volant. Elle lui fait signe que non et fixe son regard au sien, comme si elle attendait de lui qu’il la dissuade. Ou l’encourage.

« Alors, allons-y ! ».

*

Mijin a les traits tirés ce matin. Ses nuits sont agitées depuis plusieurs jours. Mais elles le sont de la plus délicieuse des façons. Il n’est pas de crépuscule qui se couche sans que le souvenir d’un sourire, d’une complicité ou d’une confidence vienne caresser ses songes. Elle se revoit rire lorsque le moteur de la voiture s’est réveillé avec langueur. La panique de Sajuta face aux voyants qui clignotaient comme un sapin de Noël lui revient tendrement en mémoire. Et puis le moment où il lui a soufflé qu’il la trouvait inspirante.

« Bonjour, bonjour ! », s’exclame une voix qui la tire de sa rêverie. Nok, l’ami de Sajuta, accessoirement son client à elle, la dévisage de ses yeux bleu-gris déroutants. Il vient récupérer sa voiture aujourd’hui, ça lui revient maintenant. Elle avait essayé de le joindre en début de semaine mais il était en déplacement.

« Vous avez fait un sacré boulot ! Je suis ravi ! ». Mijin, elle, est déconcertée par le décalage entre le vouvoiement de Nok et le tutoiement de Sajuta. Et, plongée dans cette hébétude, elle s’entend répondre « Oui, pourquoi pas ? », à une question dont elle ne se rappelle déjà plus rien. Au loin, le collègue aux jonquilles la regarde, médusé.

19h30. Les gars quittent le garage avec nonchalance. Ils ne reviennent pas demain, c’est Dimanche. Mijin s’apprête à leur emboîter le pas quand la silhouette de Nok se dessine dans l’embrasure du panneau vitré.

« On est synchro’ ! » remarque-t-il joyeusement. Elle le regarde, pas certaine de saisir pourquoi il est encore là. Il croit qu’elle le fait marcher et rit de plus belle. Mais comme elle reste plantée devant lui, le casque de son vélo dans les mains, il comprend qu’elle ne l’a pas vraiment écouté tout à l’heure. La gêne s’installe entre eux, les fait danser gauchement sur leurs deux pieds.

« Je t’avais proposé d’aller boire un verre en ville, après le travail. Avec des amis. Pour te remercier et que tu rencontres un peu du monde. J’avais aussi suggéré l’idée de te tutoyer comme on doit quasiment avoir le même âge. A reconsidérer ta réponse, maintenant que je vois ta tête, je ne saurais dire à quelle partie – le verre ou le tutoiement – elle se référait. » ajoute-t-il, légèrement penaud.

« J’imagine un peu des deux... Excuse-moi pour ce matin, j’avais la tête ailleurs. On va le boire, ce verre ? » suggère-t-elle en lui souriant. Sajuta fera peut-être parti des amis. Elle a honte, mais elle l’espère.

Les contours de la terrasse qu’ils rejoignent sont recouverts de lierre. Les feuilles s’entremêlent en une fresque originale sur les briques chauffées par le soleil. A leurs pieds, le gravier crisse. L’ambiance fleure bon l’été. Çà et là, des lampions blancs attendent le coucher du soleil pour prendre le relais. Le bruit des conversations animées se mêlent aux tintements des verres et à la musique diffusée en sourdine.

Nok la présente comme « la mécano’ du coin, digne de confiance ! ». Ils l’accueillent chaleureusement. Que des hommes. Pas de trace de Sajuta. Mijin cache sa déception en prenant place près de Nok. Elle sirote une blanche et s’étonne de passer un agréable moment. Les heures s’égrènent avec aisance, seul l’air qui se rafraîchit lui rappelle que la soirée peut bientôt se terminer.

Les exclamations de certains la tirent de sa conversation animée avec Nok. Elle n’a pas besoin de se retourner pour deviner que Sajuta se joint à eux : dans le regard des autres, une étincelle s’éveille aussi. « Il fait donc cet effet à tous », songe-t-elle.

Il s’installe en face d’elle et ne semble pas surpris de la trouver ici. Mijin ignore ce que les autres connaissent d’elle et essaie de lutter contre le malaise que cela suscite en elle. Aucun ne semble remarquer ce qui la tourmente. Parfois, Nok se penche vers elle pour lui glisser une anecdote ou remplir son verre. Elle ne cherche pas à l’interrompre. Elle imagine que s’enivrer l’aidera à lâcher prise.

Elle devine souvent le regard brûlant de Sajuta posé sur elle. Quand elle s’aventure à le dévisager à son tour, avec désinvolture, il dissimule un sourire derrière son verre ou un soupir.

Tandis que la plupart des téléphones sont posés sur la table en fer forgé, une sonnerie se fait entendre. Sajuta extirpe son portable de la poche de son jean et s’éloigne pour répondre. Son regard ne se teinte plus de la chaleur enveloppante que Mijin lui a toujours connu. Il prend un air ombrageux, abattu. De loin, la conversation lui paraît houleuse.

Il lui a parlé de son travail. Un peu. Sajuta est éducateur au sein d’une MECS. Il travaille auprès de jeunes carencés, victimes voire auteurs de violences. Mijin sait comme cela le ronge, le prive d’heures de sommeil précieuses, et lui donne parfois envie de tout envoyer balader. Aussi, lorsqu’il revient près d’eux, et prend sa veste d’un mouvement rageur, elle fait le lien.

« Madame fait encore des siennes ? », lui lance Nok tandis qu’il s’éloigne. Et ainsi, sans le savoir, c’est comme s’il venait de lui planter un couteau dans le cœur.

*

Mijin se sait coutumière de ce genre de déconvenue. Ce n’est pas la première fois. Mais ça fait mal comme si ça l’était. Elle repasse ses souvenirs en boucle mais ils n’ont plus rien d’agréable. Au contraire, elle les scrute, à la recherche du moindre détail que son esprit aurait pu occulter.

Mais elle a beau les retourner dans tous les sens, elle est convaincue qu’il n’a jamais fait mention d’une petite-amie, et d’une épouse encore moins. Il y avait bien ces coups de fil réguliers qui le poussaient à s’éloigner et lui tourner le dos. Le boulot, croyait-elle. Mais, à bien y regarder, il avait une attitude sympathique à son égard. Pas séductrice. Comment n’avait-elle pas pu le voir ? Et l’autre soir, au restaurant, y était-elle, cette Autre qui partage avec lui ce qu’elle, ne connaîtra jamais ?

Résolue, Mijin se noie dans le travail et multiplie les attentions à l’égard de sa famille. Cela fait bien longtemps qu’elle ne s’était pas sentie aussi isolée, en proie à ces histoires qui se répètent sans lui procurer l’espoir d’une issue favorable.

« Allez, Pyn, suis-moi... Je te la présente seulement, après, à toi de voir ! »

Alors qu’elle est penchée sur le moteur de la voiture qui occupe ses Dimanches, Mijin sursaute et se cogne le front au capot ouvert. Elle se tourne tout en se massant le cuir chevelu et plaque un sourire de façade pour accueillir ses visiteurs.

Sajuta est accompagné d’une ado à la mine renfrognée. Chaussée de boots montantes usées, sa maigreur lui donne un air désarticulé. Une seconde, le coeur blessé de Mijin lui souffle qu’il pourrait s’agir de l’Autre. Puis elle se rappelle ce qu’il lui avait dit lorsqu’ils se trouvaient sous le ventre d’un véhicule : « J’aimerais t’amener une jeune du foyer. Je crois que ça pourrait l’aider de venir ici. »

Sur le coup, elle avait trouvé l’idée saugrenue, puis avait été enchantée par la perspective de transmettre sa passion. Aujourd’hui, elle voudrait remonter le temps pour museler son enthousiasme de jeune fille amourachée.

« Pyn, je te présente Mijin. Mijin, Pyn. » L’ado effarouchée la jauge par en-dessous. Ses yeux cerclés de khôl bleu électrique semblent la défier. Le bruit d’une bulle de chewing-gum éclate dans le garage silencieux. Elle croise les bras, boudeuse.

« J’croyais que t’avais d’autres projets pour moi Saju’... », le provoque-t-elle lascivement. Mijin ne connaît rien de cette jeune, mais il lui apparaît déjà qu’elle n’a aucune d’estime d’elle-même.

« Je m’apprêtais à changer les soupapes, si ça te dit. » Comme l’ado hausse les épaules et lui tourne le dos, Mijin se concentre sur sa tâche. Elle n’est pas sous sa responsabilité. C’est Sajuta qui est venu ici avec elle. A lui de gérer.

« C’est quoi ça ? », demande alors Pyn en pointant un ongle rongé jusqu’au sang vers les cylindres usés que Mijin démonte méticuleusement.

« Pyn, je te présente les soupapes. Les soupapes, voici Pyn. »

*

Le monde de la nuit s’étend devant elle. La lumière blanche se désarticule dans les boules à facette. La vapeur d’eau aveugle, étouffe. Les corps en sueur s’agitent, s’accordent, s’arrachent. L’écho caverneux de la musique résonne dans son organisme. Les tables sont poisseuses, les banquettes avachies, les sols patinés.

Elle n’a jamais vu de boîte de nuit en pleine lumière. Sans doute l’esquisse de la désolation. Ces lieux tiennent leur attractivité du lâcher prise qu’ils accueillent en leur sein, qu’ils encouragent dans leurs recoins.

Attablée non loin de la piste de danse, Mijin laisse traîner son verre plein. Elle n’a aucune envie d’y toucher. Le goût doucereux de l’alcool est noyé par celui, écœurant, du sucre. Les filles autour d’elle rient, se trémoussent sur leurs chaises, comme si elles s’apprêtaient à bondir.

Mijin se laisse embarquer sur un air qui lui rappelle son adolescence. Ses cheveux collent à son front. D’un mouvement d’épaule, elle les rejette en arrière. Elle ferme les yeux, se laisse assourdir. Elle va écouter cette chanson jusqu’au bout, même si les décibels stridentes en déforment l’authenticité.

Le son s’arrête brutalement. « Allez, on change de registre ! », entend-t-elle au loin. Elle ouvre les yeux. Et le voit qu’il se tient devant elle, affublé d’un Nok au regard indéchiffrable. Prise dans l’effervescence du groupe, elle les salue gaiement. Ils se croiseront à de multiples reprises au cours de cette soirée, sans échanger plus de quelques mots. Mais ceux qu’ils choisiront de se dire poseront les pierres d’un premier non-dit.

« Nok t’aime bien, tu sais. » Elle s’arrête de danser et sent tout son être vibrer quand elle plonge son regard dans le sien. Son corps tout entier tend à lui crier que ce n’est pas ce qu’elle veut entendre. Pas de lui en tout cas. Mais elle ne peut faire passer ce message que sous silence. A quoi bon, sinon ?

Une rixe éclate non loin d’eux, les badauds qui s’engouffrent les séparent. Sajuta s’approche d’un jeune homme à terre, bientôt rejoint par Nok. Mijin les distingue, ces deux amis de toujours que le temps a rendu si loyal l’un envers l’autre. Elle se dit qu’elle ne devrait plus les voir. Que c’est elle qui va y perdre des plumes.


Texte publié par DiaGrisbi, 14 juillet 2021 à 19h54
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 4 tome 1, Chapitre 4
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2629 histoires publiées
1177 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Audrey02
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés