Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 3 tome 1, Chapitre 3

Le soleil réverbère la chaleur doucereuse de ses rayons sur le grand panneau vitré. A travers l’interstice qu’elle a laissé pour aller se rafraîchir, Mijin distingue l’éclat de leurs voix. Ils se chambrent avec complicité. Elle ne peut s’empêcher de ressentir une pointe d’envie, elle qui voudrait tant pouvoir partager avec eux. Là, les yeux rivés sur les reflets brillants des vitraux, elle les observe. La détente manifeste de leurs mâchoires. Leurs pommettes qui prennent de la hauteur à chaque sourire. Leurs prunelles malicieuses.

Les siennes sont voilées quelques secondes par le frémissement de ses paupières. Elle inspire profondément car elle sait ce qui l’attend. Le crissement de ses chaussures suffit en général à figer ce type d’instant. Le contact visuel se perd alors entre les trois hommes. Leurs rires s'effacent pour laisser place aux frottements des chiffons, aux cliquetis des outils, aux roulements des mécaniques. Mijin s’empare d’un chariot de visite et disparaît.

*

Méticuleuse, elle déboulonne, jauge, fouille, éprouve, quand son regard est attiré par un défilé de jantes rutilantes. Aux deux premières qu’elle voit briller en rythme, et aux deux secondes qu’elle voit se balancer mollement, elle devine qu’il s’agit là du client qui l’a appelé un peu plus tôt dans la journée.

Deux claquements de portière. Le client et sa femme peut-être. Les tennis qui se dirigent vers elles lui donnent l’occasion de rectifier le tir : deux hommes. Un père et son fils alors. Des poignées de mains et quelques bavardages lui indiquent que ce sont des habitués. Les tonalités masculines qui lui parviennent sont assourdies par le bourdonnement du compresseur. Elle se surprend alors à vouloir que le silence se fasse autour d’elle pour goûter toutes les nuances de ces voix.

« Et il est où le patron ? » demande l’un des deux hommes, enjoué. Mijin ne pouvait pas rêvé meilleur silence que celui que son équipe offre au client à cet instant.

*

Tandis que le mutisme s’épaissit autour de cette question laissée en suspens, Mijin impulse un mouvement à son chariot pour se dégager du châssis. Elle se redresse et essuie machinalement ses mains sur les cuisses de son bleu. Elle s’avance vers eux, franchement souriante, étrangement sereine.

« Il a pris sa retraite et m’a confié le garage. Je suis Mijin, sa petite-fille. Désolée de ne pas m’être présentée à vous avant mais je savais que vous seriez entre de bonnes mains », conclut-elle en désignant les trois gaillards qui se tiennent à sa gauche.

Elle écoute distraitement le client raconter sa mésaventure. Toutes ses pensées sont rivées sur les émotions qui la traversent. Aucune ne la bouleverse, aucune ne fait défaut ni ne l’envahit. Elle éprouve un équilibre inédit sans pouvoir mettre le doigt sur son origine. La timidité y côtoie l’assurance, la curiosité y éprouve la patience, l’attirance y éveille la conscience.

Mijin a perçu que son sourire a trouvé écho chez ceux de ces deux hommes. Son cœur s’est gonflé d’une énergie solaire sous leurs regards, tandis que l’empreinte de l’un d’entre eux, marquait son esprit à jamais. Une éclipse du cœur.

Ces prunelles noisette l’ont enveloppé de bienveillance, l’ont sécurisé, l’ont encouragé à se réaliser. L’ont complété. Lui ont donné corps.

« Votre grand-père nous a beaucoup parlé de vous. Je m’appelle Nok. », lui indique le client tandis qu’ils s’installent dans le bureau pour remplir la paperasse. Penchée sur les documents qu’il lui a présenté, elle sent sur elle l’insistance de son regard. Rien de surprenant. Où pourrait-il regarder sinon vers ce qui l’a conduit jusqu’ici ?

« Saju’, amène-toi ! » hèle Nok tandis qu’elle le raccompagne vers la sortie. L’acolyte se rapproche d’eux en feignant la déception : l’un des gars lui parlait mécanique comme on conterait une histoire. Il en était captivé.

Tandis qu’ils s’éloignent, Mijin surprend son regard sur elle. Un frisson la parcourt, qui l’incite à ajuster la fermeture de son bleu. Il lui adresse un bref signe de la tête et s’engouffre dans la voiture. « Saju’ », se répète-t-elle en son for intérieur.

*

La nuit est tombée depuis longtemps tandis que ses yeux scrutent le ciel étoilé. Assise sur le rebord de sa fenêtre, les mollets à la merci du vide, Mijin garde un souvenir étrange de cette journée.

Elle n’a pas rêvé ce courant électrique parti de son cœur et se répandant jusque dans la moindre de ses terminaisons nerveuses. Chaque moment semble l’avoir connectée à une pulsion de vie.

L’inattendu de cette rencontre. Elle jurerait d’ailleurs l’avoir vu un instant interdit face à son apparition. Et puis ce chassé-croisé d’œillades, l’attention portée à ses gestes. Elle s’était sentie contemplée.

Quand elle ferme les yeux, elle convoque avec précision l’harmonie de ses traits. A travers ses paupières closes, elle devine que ses pupilles se dilatent, comme pour accueillir toute sa lumière. Lui revient aussi en mémoire la fragrance subtile qui flottait autour de lui et qui semblait la frôler comme une caresse.

Mijin ouvre alors brutalement les yeux. Elle connaît ce sentiment pour l’avoir déjà expérimenté tant de fois. Dans l’obscurité, elle voit sa bulle sensorielle éclater en d’infimes scintillements. L’illusion était trop parfaite. Encore une fois. Quand cessera-t-elle enfin de se faire des idées ?


Texte publié par DiaGrisbi, 14 juillet 2021 à 19h53
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 3 tome 1, Chapitre 3
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2628 histoires publiées
1176 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Defghard
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés