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Je vous l'avais dit, un joyeux bric à brac que nous propose Aihle S. Baye :) Merci beaucoup. J'ai donc imaginé un petit texte qui pourrait s'intituler :

Autour d'un verre....

- "Je reprendrais bien un petit verre, vois-tu..."

Le jeune homme tendit la main vers le seau à champagne et versa l'or pétillant dans les deux coupes posées devant eux.

Dans la pièce sombre et encombrée, le petit bruit du liquide s'écoulant doucement semblait gêner le silence. Puis on entendit le grattement de la plume sur le papier et quand la page fut noircie d'une écriture tremblante, une signature fut apposée tout en bas.

- " Voilà. Tout est à toi. Je suis un vieil homme maintenant. Ma naissance remonte au temps des dinosaures, j'ai fait mes classes alors qu'on écrivait encore à la craie sur des tableaux noirs et des ardoises. J'ai eu mon certificat d'études en 1946. Vois-tu, je suis d'un autre siècle. "

Le jeune homme face à lui, écoutait religieusement, droit sur sa chaise paillée et regardait ce vieillard dans le pâle éclairage que la lampe de bureau dispensait parcimonieusement.

- " Il y a bientôt dix ans que je ne sors plus d'ici. Et dans cette vie au ralenti, il ne me reste plus que mes livres. Allez, à la louche, je dirais qu'il y en a bien cinq cents. Ils sont à toi, maintenant."

Le jeune homme fit juste un haussement de sourcils, mi-étonné, mi-admiratif, mais il ne dit rien, comme l'avait exigé le vieil homme au début de son monologue. Il le regardait à présent : ce visage marqué par les rides et le temps était fascinant. Une abondante crinière blanche, une longue barbe assortie, il aurait pu faire fortune au temps de Noël, en endossant la houppelande du bon vieillard descendant du ciel de Laponie ou de Scandinavie ! Mais ce vieil ermite n'avait jamais eu d'épouse, ni d'enfant et il avait sans doute eu bien peu d'occasion de fêter Noël. C'est pour cela qu'en tant que petit-neveu, il hériterait de toutes ces étagères chargées de livres, de ces meubles antiques, de ces tentures poussiéreuses et de ces photos en noir et blanc.

Remarquant le regard de son invité posé sur les cadres accrochés au mur, le vieux ajouta :

- " Sur cette photo-là, j'avais à peu près ton âge. C'était à Monaco. Ce que tu ne sais pas, c'est qu'à cette époque-là, j'ai gâché ma vie. "

Le silence qui suivit était plus dense, presque palpable, en attente de la suite de ce début de confidence....

- " Monaco ! Je fréquentais les casinos. Je jouais gros et j'ai gagné des sommes astronomiques ! Mais à un soir de chance à la roulette suivait une partie de poker désastreuse et je perdais tout, jusqu'à même être criblé de dettes. J'avais le démon du jeu et il aurait fallu un exorciste pour m'ôter des tripes cette tentation de jouer ma vie à pile ou face, cette frénésie qui me poussait à miser : tout sur le noir, impair et manque ! J'ai même été jusqu'à voler pour assouvir cette tentation d'une partie de cartes. C'est pour cela aussi qu'aucune femme n'est jamais restée ici, reprit-il, avant de réprimer une quinte de toux. Qu'aurait-elle fait d'un gars qui jouait chaque soir sa paie au baccarat ? D'un gars, en plus, imbibé d'alcool du matin au soir ! Vois-tu, je n'étais déjà qu'un ours, un mal-élevé. C'était l'époque des mondanités, des élégantes, des baisemains. Je venais d'une famille aisée et j'étais promis à un bel avenir. J'aurais pu me marier, mes parents m'auraient aidé dans une carrière de droit ou dans le commerce. Mais je te l'ai dit, j'ai tout gâché. Mon père m'a mis à la porte dès mes premières frasques et ma mère m'envoyait des lettres et des colis comme à un exilé. Petit, ne touche jamais un jeu de cartes, n'entre pas dans une salle de jeux et ne t'assois jamais à une table de poker. Ce serait le malheur qui s'abattrait sur toi !

Je reprendrais bien un petit verre, vois-tu...."

Le jeune homme trouvant qu'en effet un petit remontant ne serait pas de trop, remplit les deux coupes, à nouveau.

- " J'ai bourlingué toute ma jeunesse d'hôtels fastueux en chambres sordides, au gré de ma chance au jeu, au gré de mes atouts d'un soir. J'ai connu les ivresses du vainqueur et le désastre des défaites, plus de déboires que de fêtes, au final, crois-moi. Et c'est, abîmé par cette existence, que j'ai atterri ici. J'ai cessé de sortir, voilà tout et j'ai commencé à lire. J'ai cessé de vivre et j'ai lu la vie des autres. Tu verras beaucoup de biographies mais aussi des tonnes de livres d'aventures. Je me voyais le héros dans d'autres univers, pour oublier ma triste vie de misère."

Le vieillard tout ému et dont la main tremblait, leva son verre et ils trinquèrent !

Le petit bruit du cristal ponctua ce piètre discours. Mais le jeune homme but de bon coeur et un large sourire vint éclairer son visage. Le démon du jeu ! S'il savait le grand-père que je vis sur les champs de courses et combien je parie, chaque semaine au tiercé ! Je pense qu'alors il m'aurait épargné son petit couplet sur le démon du jeu ! Et qu'est-ce que je vais faire de tous ces bouquins alignés ! pensa-t-il encore en regardant autour de lui.

Et le vieil homme sirotant son champagne, se réjouit de voir ce franc sourire sur le visage de son petit-neveu. Lui aussi devait aimer lire et il venait de faire un heureux !

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