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tome 1, Chapitre 11 « Interrogatoire : Mlle Rampenant » tome 1, Chapitre 11

Ce n'était pas un sourire, c'était le dépôt inodore de quelques larves, ronronnantes et rosées. Ce n'était pas un regard, mais deux caves moribondes, où battaient des centaines de mandibules échevelées, taillant dans les tertres et les cernes, les alcôves royales. Ce n'était pas une tête, mais une ruche nichée contre les flots d'une humeur noire, balayée comme un bateau ivre sur l'océan de la culpabilité. Nul battement de cœur dans cette poitrine, simplement le bruit de milliers de petites pattes, d'yeux à facettes et de crocs fouisseurs, d'oppressés sans oppression.

Drave toqua à la porte.

Il n'y eut pas tant d'effusions de hurlement. Contrairement aux interrogatoires passés, son interlocutrice, Mlle Rampenant, l'attendait de pied ferme derrière la porte, les traits avenants déformés par une colère auguste. Elle débuta l'entretien en disant, très précisément : « C'est vous le pervers qui me matiez derrière les fenêtres, toute à l'heure ! Pourquoi la police vous a-t-elle laissé passer ?!

- En fait, je suis moi-même policier. Je viens de l'extérieur, d'où le masque.

- Parce qu'à l'extérieur du village, la police fête Halloween chaque soir ? », lui lança-t-elle, sèchement. Elle avait l'air jeune et Drave ne lui donnait pas plus de 18 ans. À présent, elle était plus habillée que lorsque l'enquêteur l'avait aperçu par la fenêtre, ce qui n'était certainement pas un mal. De plus, Drave ne pouvait lui reprocher son irritation, étant les circonstances dans lesquelles s'étaient faites les présentations. Toutefois, il précisa : « Attention, je tiens à vous présenter mes excuses pour ce qui est advenu auparavant, néanmoins, si vous trouvez ma conduite inconvenante, je vous invite à en faire part aux autorités compétentes. Si vous désirez, néanmoins continuer de vous montrer méprisante ou ironique à mon sujet, je serai obligé de dresser un procès verbal pour outrage à agent. - Elle allait dire quelque chose, mais l'enquêteur leva la main. - J'ai parlé au policier devant la porte et j'ai à présent des questions à vous poser concernant le meurtre de M. Mariton. Souhaitez-vous mettre un terme à cet entretien ou pouvons-nous parler de ce qui s'est passé cette nuit ? »

La jeune femme marqua un temps d'arrêt et parut peser le pour et le contre avant d'hocher la tête, son expression toujours sévère. Elle indiqua néanmoins d'un mouvement de menton à l'interrogateur de la suivre et ensemble, ils entrèrent dans la cuisine. « Je me faisais chauffer du thé, il y a assez d'eau pour deux, vous en voulez ?

- Oui, je vous remercie. Vous pourriez me dire à nouveau ce qu'il s'est passé. » Il y eut un silence alors, tandis que la jeune femme s'occupait de tirer la théière en métal du feu, pour remplir deux tasses en terre cuite. Drave s'était installé dans un coin de la cuisine, à l'opposé, mais ne s'était guère assis. « Comme je l'ai dit à votre collègue, dit-elle soudainement, sans le regarder. J'étais ici, en train de regarder la télé. J'ai voulu aller chercher mon portable dans ma chambre et comme vous avez remarqué, on a un vis-à-vis. J'ai vu de la lumière dans l'office. J'ai été intriguée parce que M. Mariton semblait en compagnie de quelqu'un, or il est toujours seul dans son bureau. Cela m'a interpellée... avec cette histoire de tueur, je me suis dit que c'était une coïncidence trop étrange. Je suis sortie et j'ai toqué à sa porte. Comme c'était ouvert, je suis entrée et je l'ai appelé. C'est alors que je me suis rendue compte qu'il n'y avait plus de bruits. J'ai voulu monter mais... je sais pas comment le dire, j'ai eu peur, alors je suis rentrée aussitôt chez moi. »

Drave médita ces paroles longuement, sentant le regard de la jeune femme sur lui. « Quel êtes-vous majeure, Mlle Rampenant ?

- Non », répondit-elle après un regard acéré sur le masque. On ne pouvait pas dire que le crâne fut un franc succès tant elle semblait y porter un regard de défi à chaque fois qu'elle croisait les orbites vides. Toutefois, l'enquêteur doutait que se fut simplement parce qu'il menait son investigation. « Et où sont vos parents, Mlle Rampenant ?

- En déplacement pour le travail, tous les deux.

- Vous vivez donc ici toute seule – pour l'instant, n'est-ce pas ? C'est pourquoi M. le Commissaire a décidé de placer votre maison sous surveillance.

- C'est juste », murmura-t-elle, sur la défensive à nouveau.

- Et votre témoignage vous place directement sur les lieux du crime à l'heure même où le meurtre a eu lieu. Or, nous avons pu prouver, en préambule à tout examen médical, que l'assassin n'avait pas respecté idéalement son modus operandi. M. Mariton vous observait-il souvent, par sa fenêtre ?

- Attendez, où vous voulez en venir ? M. Mariton ne m'a jamais matée comme vous l'avez fait et je... comment osez-vous dire cela ? Je ne l'ai pas tué ! Je n'aurais pas pu ! » La voix de Mlle Rampenant était montée soudainement dans les aigus et Drave eut cette légère intuition, qui ne lui faisait jamais défaut. Il murmura alors doucement, choisissant bien ses mots. « D'accord. Alors dans ce cas, appréhendons les choses différemment : depuis combien de temps vous glissiez-vous chez lui la nuit venue ? » Mlle Rampenant considéra l'enquêteur longuement avant de comprendre que ce silence était la réponse muette qu'il avait attendu. Elle baissa les bras alors et ouvrit un des placards pour y saisir une boîte laquée qu'elle déposa sur la table. « Deux mois, à peu près.

- Son épouse était-elle au courant ?

- Non... enfin, je ne pense pas. Elle n'était pas souvent présente. Elle ne l'était d'ailleurs pas cette nuit-là. »

Drave nota mentalement ce détail important, puis demanda d'une voix plus douce : « à présent, pourriez-vous me dire exactement ce qu'il s'est passé cette nuit ?

- En fait, on... on s'était disputé. Lui, il voulait qu'on parte, vous voyez. Il ne voulait pas attendre, il voulait qu'on prenne un appartement et tant pis si les gens s'apercevaient de ce qu'il se passait. Moi, j'en avais pas envie. Mes parents vivent ici, même si je les vois pas souvent. Et mes amis sont ici à présent. Je pouvais pas tout lâcher juste pour lui et ça, il ne le comprenait pas. Ça faisait peut-être cinq jours qu'on ne s'était plus parlé. Quand j'ai vu sa lumière s'allumer, cette nuit, j'ai cru qu'il... me faisait un signe, me disait de venir le voir. Alors je suis sortie et j'ai toqué à sa porte. C'était ouvert. J'ai vu alors les bagages dans l'entrée et j'ai cru qu'il... qu'il voulait me mettre au pied du mur. Ça m'a mise hors de moi. Je l'ai cherché un peu au rez-de-chaussée mais il faisait entièrement noir, aucune lumière n'était allumée. Et pis, il y a eu du bruit à l'étage et j'ai décidé de partir avant qu'il ne descende et ne sache que j'étais entrée. Quand je suis revenue ici, j'ai constaté qu'il y avait encore de la lumière, puis ça s'est éteint et là j'ai... enfin, il n'y avait plus du tout de lumière chez lui et je surveillais la rue pour voir s'il allait partir. Et il n'y avait rien. C'est là que j'y suis retournée et que....

- Vous avez prévenu la police, interrompit Drave. Vous dites qu'il y avait des bagages dans l'entrée ? Comment étaient-elles ? » Mlle Rampenant eut un silence prolongé, le temps de chasser de son esprit certaines images et Drave fut assurément impressionné par l'expression de calme et de résignation très composée qu'elle afficha en répondant : « Deux grosses valises. Très très grosses, il y avait beaucoup de choses dedans, c'est sûr. Il ne comptait pas revenir.

- Et la lumière, elle provenait de l'office. Vous avez pu y discerner quoique se soit ?

- Non, les rideaux étaient tirés, j'y voyais à peine. » Drave resta interdit. Le tueur les avait donc rouverts. Il avait ajouté de nombreux détails à son modus operandi. Il avait agi avec précipitation dans le choix et l'application du meurtre de sa victime. «  Bien, dit-il, ce sera tout. Je vous remercie de votre temps, Mlle Rampenant. » Il hocha le crâne une fois, puis deux, tout à ses pensées et la jeune femme regarda la tasse brûlante et inutile sur la table. Elle murmura une réponse, mais était en train de sortir une petite boule percée d'un tiroir. Elle la déposa à côté de la boîte, qu'elle ouvrit. Cette dernière contenait du thé, elle y glissa une cuillère pour en fourrer précautionneusement la boule. Une fois, deux fois. Ainsi prête, elle laissa enfin sa préparation se noyer dans sa tasse fumante. Alors que l'investigateur quittait d'un pas léger la cuisine, elle leva la tête : « Dites, vous pensez que... vous pense qu'il était en vie, lorsque je suis entrée chez lui ?

- Non, mentit fermement Drave. Il était déjà mort à cet instant. »

La jeune femme acquiesça puis se remit à la confection minutieuse de son thé.


Texte publié par 0eil, 22 avril 2014 à 23h55
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