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tome 1, Chapitre 6 tome 1, Chapitre 6

Rien n'était plus efficace pour soigner les maux de l'inspiration que l'air frais d'une nuit qui n'en finissait plus. Étouffant dans sa petite maison, Nathan avait finalement décidé de se promener. À l'allée, il n'avait fait que discerner, dans la lumière de ses phares, des éléments d'une architecture ancienne. Le village semblait s'être figé dans le temps à la sortie du Moyen-Âge. Cette impression aiguë en tête, l'écrivain s'était enveloppé dans son cardigan, avait enroulé plusieurs fois son cou d'une épaisse écharpe en laine puis s'était lancé dans les ruelles sombres. Il n'y avait pas de trottoir, dans sa rue. Seul le pavage semblait faire la distinction entre la zone où les passants pouvaient circuler et la chaussée. Moyenâgeux. Débouchant à un croisement, il constata surtout que la plupart des venelles se réduisaient à des sens uniques, ne permettant nullement la navigation côte à côte de deux véhicules. Incroyable. Au moins, cela invitait assurément à se déplacer à pied, bien que le froid eut pourtant repousser la plupart des promeneurs un peu trop téméraires.

Néanmoins, ce ne fut pas la froidure aride qui finit par lui tordre légèrement les entrailles. C'était la désertion la plus entière de l'endroit. Il n'y avait personne. Même aux fenêtres, parce qu'il s'était bien intéressé au village lui-même, il n'avait jamais vu qu'un seul regard l'observant avec irritation depuis un pignon. Non pas qu'il se soit attendu à voir des processions en joie battre le pavé, inondant l'endroit de rires et de chansons paillardes, certes. Mais pas une fenêtre ne laissait entrevoir un rayon de lumière, un signe de vie à l'intérieur des bâtisses penchées.

Il se sentait de plus en plus déconfit et à mesure que les croisements s'accumulaient, Nathan commença à sincèrement considérer la retraite comme une option éventuelle. C'est alors, tandis qu'il s'était finalement arrêté pour lancer un regard dans les deux larges embouchures, d'étonnants passages couverts, comme des gueules de briques vieillies s'enfonçant dans la nuit, que Nathan avait remarqué au moins six personnes dans la même rue. C'était chose rare dans le village. Il n'était arrivé que la veille, aussi tempérait-il son jugement, mais à y bien regarder, il n'avait jamais vu, jusqu'alors, plus d'un promeneur. Et lorsqu'il était sorti dans le petit jardin de la demeure dans laquelle il s'était installé, il avait tenu à se rapprocher des maisons voisines, et tenter de voir, à travers les rideaux, une famille complète. Mais rien.

Aussi, la présence de six personnes, ni plus ni moins, dans les rues sinueuses de Graveyard Land, cela le laissait pantois. Voire même inquiet. Quelque chose, à l'arrière de sa nuque, un frisson bref mais bien présent, l'avertissait le plus sournoisement possible qu'il devait se passer quelque chose. Peut-être le culte secret du village se réunissait-il pour annoncer la fin du monde et tous ces vieux visages enfarinés se mettraient-ils à rire unanimement en attendant les feux du ciel ? Nathan eut un sérieux doute, mais ne put s'empêcher de sourire à cette idée, alors qu'il emboîtait le pas à la foule en délire devant lui. Quelque part dans son esprit, il se demanda tout de même s'ils ne devraient pas déposer un avis de manifestation à la municipalité, sous peine d'effrayer les autorités.

Toutefois, il dût se rendre à l'évidence, toutes ses plaisanteries ne pouvaient au demeurant cacher sa curiosité soudaine. Des voix creuses qu'il captait, il saisissait de plus en plus l'ampleur d'une convocation municipale et son doute ne fit que s’accroître lorsque, suivant sur un pâté de maisons le petit groupe, ce dernier fut rejoint par davantage de concitoyens, répondant à l'appel du Commissaire de Graveyard Land. L'affaire avait l'air plus grave qu'il ne l'aurait cru et bientôt, il ne sut plus s'il s'agissait de la curiosité morbide ou d'une conscience civique, mais il se voyait emboîter le pas de ces villageois.

Alors qu'il suivait à distance respectable le groupe qui semblait prendre de plus en plus de membres en son sein, il franchit une guérite et s'arrêta un instant, se glissant dans l'ombre de cette dernière. Il avait un peu honte de suivre ainsi de braves gens sans oser se mêler à eux, mais il se sentait si... lointain, par rapport à ces mines autochtones qui déambulaient. « Z'avez pas peur d'être pris pour un loufiat, vous, lança alors une voix traînante qui fit sursauter Nathan.

- Oh bon sang ! Vous m'avez fait peur. Je ne pensais pas qu'il y avait quelqu'un là-dedans ! » Nathan approcha la tête, tandis qu'enfin, la lueur d'une petite lampe à huile, il commença à discerner un vieux monsieur, son visage aux joues rouges mangé par une épaisse moustache. « Vous m'regardez comme si vous aviez vu un mort. Je ne suis pas mort, mon gars, alors ressaisissez-vous !

- Désolé encore... dites, où vont tous ces gens ?

- Ah, vous, vous n'êtes pas au courant. Vous devez être de passage, ou peut-être même nouveau ? Je m'appelle Berthold, mon gars, je suis officier de police et ces gens-là, que vous voyez, ils ont été appelés par la municipalité pour que le Commissaire puisse s'adresser à eux.

- Le commissaire ? Mais que se passe-t-il ?, demanda Nathan, de plus en plus inquiet.

- Ah ça, mon gars, je ne peux pas vous le dire. Ce sera au commissaire de vous en raconter des vertes et des pas mûres.

- Je ferai mieux d'y aller, dans ce cas.

- Vous comprenez vite, m'sieur », acheva Berthold avec un sourire moqueur. Nathan marmonna un « au revoir », du bout des lèvres, et s'élança derrière les villageois qui, en dépit de leur grand âge, avaient pris une bonne avance et le forcèrent à presser un peu son pas.

Ce pas en question les mena à un édifice écrasé sous la largesse de sa propre chaumière. Contrairement à la plupart des maisons d'ici, il n'était guère fait en encorbellement, ses fenêtres ne semblaient pas vouloir se pencher sur les rues, son pignon n'avait guère le front méfiant. Au contraire, en fait. Avec un accès vers une petite cour intérieure, que Nathan avait remarqué depuis la rue – et dans laquelle, à son avis, on devait se sentir bien qu'à condition d'ignorer les hauts murs gris – le lieu devait être sans doute le plus accueillant de tout le village. A l'intérieur, les murs étaient de crépis jaunes, les poutres apparentes avaient été lustrés au vernis, luisante sous les lumières des grands globes de papier blanc au-dessus de la petite scène. C'était un endroit chaleureux. Nathan en était particulièrement déconcerté.

Il ne lui fallut pas bien longtemps pour comprendre pourquoi le lieu avait été choisi : sur la petite scène, un homme épais, endimanché dans un par-dessus que l'on aurait cru tailler dans un parachute, portant un vieux chapeau, triturait entre ses doigts une feuille en papier noircie d'un discours qui paraissait long et fastidieux. Quoiqu'il était difficile de se décider, à cette distance. À ses côtés, plusieurs de ses adjoints aux mines grises parcouraient la petite foule avec des airs farouches. A priori, c'était l'expression communément acceptée par la maréchaussée pour signifier son autorité sur la populace. Néanmoins, parmi ces hommes qui gonflaient la poitrine et se tenaient les épaules droites, il y avait une silhouette, se tenant en retrait.

Nathan n'était pas bien sûr, mais il eut un sursaut lorsqu'il crut reconnaître un crâne. Un type avec un masque en crâne se tenait parmi les officiels. D'ailleurs, en faisant attention, il n'y avait que le maire qui fut présent parmi les employés municipaux, sur cette petite estrade. Le reste était directement issu de la faible population policière du village.

Le premier administrateur prit finalement la parole, couvrant sans peine les voix disciplinées des citoyens : « Mes chers électeurs, j'ai une nouvelle bien malheureuse à vous faire parvenir. Pour cela, je laisserai parler M. le commissaire Lordevant, néanmoins, je souhaiterai en premier lieu m'assurer que, malgré la teneur très sérieuse et grave de cette information, vous saurez garder votre calme.

- Merci de votre introduction, murmura le gros homme d'une voix grave mais fébrile, tandis qu'il faisait un pas pour se dévoiler plus avant devant les habitants. « Comme vous le savez, nous menons l'enquête, avec l'aide de M. Drave, afin de retrouver le tueur qui sévit dans notre village. Nous progressons énormément, et avons même déterminé que l'assassin serait au courant des cavités pratiquées dans le sous-sol du village, ces catacombes qui lient les maisons entre elles, et en feraient usage pour sévir sans que nous puissions le voir. »

Nathan était divisé entre une fascination morbide et une peur panique. Le tueur passait donc par des souterrains qui s'étendaient sous l'entièreté du village. Un réseau complexe de catacombes, accueillant les morts de plusieurs générations des habitants, un lieu aussi sacré qu'étrange et qui venait, à présent, accueillir tout aussi bien un assassin, qui en faisait le moyen suprème pour se faufiler au cœur des bâtisses planter son couteau dans le ventre dodu de l'innocent. Et puis, qu'en savait-il ? Il avait lui-même une maisonnette, à présent, avec un passage souterrain, peut-être.

Il se rendit bientôt compte qu'en réalité, ce n'était pas la donnée elle-même qui avait tendu ses sens mais bien l'absence de réaction, le silence lourd et pesant qui venait de tomber sur la pièce. Les habitants n'avaient pas dit un mot, ne s'étaient pas une seule seconde emportés, comme si... Nathan réfléchissait à tout va, laissant s'envoler son imagination. Comme s'ils avaient toujours su que le tueur passait par les catacombes, mais que cela n'avait jamais eu d'importance.

Sur scène, un grand gaillard dégingandé à la moustache fournie – Berthold, se souvint-il – venait de faire son apparition, dans un grincement sinistre d'une porte fatiguée qui ne demandait qu'à mourir, indolente, contre un encadrement de porte. Le grand personnage dégingandé vint murmurer à l'oreille de Lordevant, puis de l'étrange personnage avec un masque de crâne, puis tous trois partirent, tandis que le maire revenait parler.

Nathan n'entendit par ses paroles. Il suivit le masque grimaçant jusqu'à ce que ce dernier ne se dérobe à ses attentions, puis revint à la salle et remarqua à présent que chaque visage lui faisait l'effet d'un masque froid et morose, une pâle copie de crâne, une pâle copie de vie figée, entre formol et cendres, exhalant des soupirs d'ossuaire et des craquements de mausolée.

La pièce ne lui paraissait plus si accueillante, à présent.


Texte publié par 0eil, 23 mars 2014 à 19h47
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