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tome 1, Chapitre 4 tome 1, Chapitre 4

Drave était légèrement irrité. Une pointe d'irritation comme un goutte à goutte glacé qui tombait sur sa nuque et roulait poussivement jusqu'au bas de son échine, tandis qu'il poussait de sa main gantée la porte des Carnassiers. Le commissaire Lordevant se glissa doucement à sa suite et Drave n'aurait pas voulu que le commissaire soit présent, mais il ne pouvait faire autrement que de se voir collé par ce gros et grand bonhomme à la mine dépassé par l'âge et les excès. À chaque fois qu'il tentait de se concentrer, il entendait la respiration lourde et molle de l'homme derrière lui et cela semblait troubler la mélodie intérieure de ses pensées. Ce mouvement maîtrisé, ce chef-d’œuvre de déduction qui commençait à habiter son esprit se voyait tronquer, haché menu par Lordevant. Et pas moyen de renvoyer le gros personnage. « Par ici, lui indiqua ce dernier, tandis qu'intérieurement, Drave soupirait : il avait lu le dossier, il savait lui aussi que c'était à l'étage que cela s'était passé.

Laissant le commissaire prendre de l'avance, l'enquêteur prit son temps pour observer un peu l'endroit. La maison des Carnassiers disposait de quelques spécificités : elle était une des rares à disposer d'un garage, par exemple, un étroit appentis qui n'était qu'une petite pièce toute en longueur, de quoi loger deux voitures en profondeur. Les Carnassiers n'ayant qu'un seul véhicule, le fond du garage servait de laboratoire de bricolage. Depuis l'appentis, on pouvait accéder directement au débarras, pièce tampon avec la cuisine qui se trouvait donc à l'arrière de la maison. Le salon et la salle à manger formaient un « L » autour de l'entrée où s'ouvrait les escaliers qui menaient à l'étage.

Drave observa l'établi. Face à lui étaient exposés, sur une plaquette de contreplaqué, la plupart des outils. Il en manquait plusieurs, qui avaient laissé un détour à la craie blanche à l'endroit qui leur avaient été alloués. Lordevant les avait fait emmener, expliquait le dossier, pour analyse, « au cas où ». Avant sa mort, M. Carnassier avait travaillé sur une maison pour oiseaux. Et il était mal parti pour la finir convenablement.

Quittant le garage, Drave se dirigea au préalable vers la cuisine et ouvrit tranquillement le frigidaire. L'endroit avait été composé avec soin, la peinture au mur était rouge ocre, avec des meubles en bois ancien. Une ambiance chaude s'élevait de la pièce et il demeura un instant à observer l'endroit, avant d'ouvrir les placards. Boîtes de conserve, comprenant petits pois, carottes, lentilles et cassoulet. Quelque chose, toutefois, l'ennuyait. Il contempla longuement les boîtes de conserve alignées devant son visage, avant de se retourner. Lordevant était dans l'encadrement de la porte, l'attendant. « Vous avez trouvé quelque chose ? Demanda-t-il.

- Monsieur Carnassier avait deux fils, c'est cela ? Il ne faisait pas souvent les courses et achetait énormément pour éviter d'avoir à y retourner régulièrement.

- C'est un crime ? Suggéra Lordevant.

- Nourrir sa famille ? Non, répondit Drave en se mettant bien face au commissaire. Quel métier faisait son épouse ?

- Elle était femme au foyer. »

Drave n'ajouta rien et se rendit à la salle à manger. Un large buffet courait le long du mur, soutenant une imposante collection de bibelots. Les rideaux étaient en dentelles raffinées, écartés par des nœuds pour laisser voir le jardin. Un petit chemin de pierre menait à un étroit kiosque. Derrière ce dernier se trouvait le potager même. « Monsieur Carnassier avait la main verte, on dirait, remarqua-t-il.

- Certainement. Nous avons privilégié le fait que l'assassin ait pu venir du jardin. Au fond, il n'y a qu'une barrière d'un mètre de hauteur qui sépare ce terrain de celui du voisin et le sien donne directement accès à son allée de garages. Si le tueur s'était garé dans l'autre rue, il aurait pu entrer ici par la porte de la terrasse.

- Mais il n'y a aucune trace d'effraction, que ce soit sur la porte d'entrée ou la porte de derrière, n'est-ce pas ? Cela laisse entendre qu'un membre de la famille Carnassier a ouvert au tueur. Vous auriez ouvert, vous, à quelqu'un venant de votre jardin ? »

Lordevant fronça les sourcils, reprenant sa respiration alors qu'il essayait de faire le tri dans cette déduction. « Je vous taquine, commissaire. Votre idée est la plus vraisemblable : le tueur a sans doute fait le tour du pâté de maisons pour venir sonner ici, conclue Drave, dont le masque exposait un sourire goguenard.

- Mes hommes ont relevé les empreintes, ils en ont eu plusieurs jeux, nous comparons en ce moment avec l'ensemble du voisinage, pour éviter d'arrêter quelqu'un qui venait uniquement se servir dans les salades de Monsieur Carnassier.

- Vous n'avez trouvé aucune empreinte de la famille pour l'instant ?

- Si mais... - le commissaire parut hésiter. - Il n'y a pas d'empreintes des enfants : le tueur et la mère devaient les porter. Ils étaient sans doute inconscients.

- Très bonne observation », lui concéda Drave avec un hochement de tête approbateur. Il quitta enfin le rebord de fenêtre où il s'était arrêté et lança un regard vers le bout de la pièce, le salon. Il s'arrêta derrière le large canapé cuir. Ce dernier était entouré de deux larges fauteuils en cuir noir, tout lustré et brillant. L'enquêteur ne dit rien, mais darda un regard vers Lordevant. « J'ai vu ici ce que je voulais voir, passons en haut. »

La chambre de Monsieur et Madame Carnassier n'était plus l'ombre d'elle-même. Auparavant, elle avait contenu un lit deux places ancien, peint en blanc, une commode, une armoire, un coffret au pied du lit et deux tables de nuit. Tout avait été repoussé dans les coins, le sommier soulevé pour être calé au mur contre lequel s'appuyait la tête de lit auparavant. Le drap sur lequel la victime avait été retrouvé avait été embarqué par les policiers, découpé pour y prélever du sang et envoyé à la ville voisine pour analyse. Autant dire, ils ne sauraient pas avant une bonne semaine s'il y avait uniquement du sang de la victime – et vue la gravité du meurtre, ils étaient pourtant prioritaire. Toutefois, Drave doutait que le tueur ait versé son sang. Il s'accroupit à l'entrée de la chambre, tandis que Lordevant déclamait, l'articulation mécanique : « On a retrouvé les restes de Monsieur Carnassier à 23h. Le légiste dit que la mort remonte à deux heures avant. On suppose que l'assassin a préparé minutieusement sa scène de crime. Il aurait bâché la pièce pour éviter de couvrir de sang les meubles. Mais pourquoi croyez-vous qu'il ait fait ça ?

- Il respectait sa victime. Il ne voulait pas tâcher l'intérieur, murmura Drave, pensif. Ce ne doit pas être la première fois que le tueur fait cela. Il y a un soin du détail et une sophistication dans la mise en place qui a du demander des essais antérieurs. Il faudra que vous vérifiez dans vos registres.

Lordevant parut surpris mais hocha la tête rapidement, tirant un carnet de notes de son par-dessus pour y griffonner les indications, et demeura attentif aux remarques de l'enquêteur. « Tout ce qui a rapport avec un corps mutilé, que se soit de la main de l'homme ou pas, il faut simplement que le corps ait été méconnaissable, ce pourrait être un crime commis par notre tueur.

- J'y vais de ce pas, M. Drave. Et vous ?

- Je reste ici, je vais interroger nos témoins potentiels », répondit l'enquêteur en tournant son masque en crâne vers le commissaire. Ce dernier n'aurait su dire, mais il suspectait un sourire de s'être dessiné derrière la face funeste.


Texte publié par 0eil, 18 mars 2014 à 19h05
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