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tome 1, Chapitre 3 tome 1, Chapitre 3

Lorvedant se mâchonnait l’intérieur de la joue en essayant de conserver toute l’autorité due à sa charge. Le commissaire n’était pas dans son assiette. D’ordinaire, la commune n’accueillait que des cas de cambriolage ou de tapage nocturne dont la malveillance était telle qu’après quelques excuses échangées entre les parties concernées, aucune suite n’était donnée à l’affaire. En de très rares occasions, il y avait des excès de vitesse à relever dans le coin, sur la nationale qui transitait au nord-est de Graveyard Land. Parfois, il y avait un accident. Lorvedant se souvenait de la jeune femme, ivre morte, qui avait tamponné un mur. La voiture, par un étrange effet de la physique, s’était levée d’un coup. La jeune femme avait été projetée dans la pierre. Cette image-là avait marqué l’esprit du commissaire, appelé, sans trop savoir pourquoi, sur les lieux. C’était la chose la plus violente qu’il lui ait été donné de voir jusqu’à ce que ses assistants lui apportent les photos prises sur les lieux du meurtre de Monsieur Carnassier.

Dans un premier temps, au milieu de l’effervescence qui avait touché le commissariat, Lorvedant était resté très pragmatique. Il avait compulsé les photos, puis avait adjoint à chacun des hommes mis sur l’affaire une tâche précise. Relever les empreintes dans toute la maison, prendre les témoignages des différents témoins, retracer la journée de monsieur Carnassier. Puis il demanda à sa secrétaire de prendre sa journée, ce qu’elle ne fit pas, puisqu’en réalité, elle se contenta de sortir. Se croyant seul, il s’était assis derrière son bureau, puis avait enfin pris conscience de ce qu’il avait sous les yeux et s’était mis à trembler de tout son corps devant l’effroi que lui provoquait cette simple compréhension.

Il n’avait vu le corps que sous la bâche et avait été secoué par l’indifférence avec laquelle monsieur Furec, le légiste, avait exprimé ses premières conclusions sur le corps. Le commissaire était resté planté sur le pas de la porte menant à la morgue et avait écouté de là le discours de Furec, sans oser s’approcher davantage. Le légiste, avec son sourire goguenard, formant un « v » effilé sur son visage anguleux, ne l’avait pas quitté du regard durant toute l’entrevue.

Il s’était juré de ne plus redescendre à la morgue. Mais à présent que Lordevant s’y trouvait à nouveau, en présence du légiste et de l’enquêteur de l’extérieur, il lui semblait que la tension était lointaine. En fait, en lisière de ses perceptions, prête à jaillir comme un diable hors de sa boîte.

Il fit le tour de la table, lançant parfois des regards au médecin légal qui lui, n’arborait qu’un sourire détaché, n’affectant qu’un intérêt nonchalant et scientifique pour toute l’affaire. Comme si confronter l’impossible était une simple inflexion de l’esprit, pour le docteur. Lui ne semblait pas du tout touché par la présence incongrue de la tiers-personne qui se tenait aux pieds du cadavre, se massant le menton avec distraction. Monsieur Drave, s’était-il présenté.

« Nous l’avons retrouvé dans sa chambre, entonna Lorvedant en se positionnant à la tête de la table d’autopsie. Il était en position assise. Nous avons retrouvé ça, à côté de lui. – Il tendit une paire de photos à l’enquêteur, qui s’en saisit. Elle présentait des outils de jardinage, dont un, particulièrement vicieux, composé de trois griffes, courbées comme des serres d’oiseau de proie. L'enquêteur hocha la tête et Lorvedant poursuivit. – Il était assis sur le drap pris sur le lit. Tous les meubles avaient été repoussés. Aucune trace d’agresseur. Aucune empreinte relevée d’une autre personne, pas même de la femme ou des deux enfants. Aucune trace de pas, pas un cheveu. – Il marqua une pause. – Normalement, la personne qui a commis ça aurait dû recevoir des projections de sang, on aurait dû pouvoir identifier une présence. De plus, le sang aurait dû agir un peu comme la farine dont on couvre un sol, marquant l'empreinte de l'impudent posant le pied dessus. Si quelqu’un avait perpétré ça, on aurait trouvé des traces de pas s’éloignant du corps – il grimaça en remarquant son propre usage du conditionnel – On… on en a déduit… eh ben… - il haussa les sourcils en pinçant les lèvres.

- Le découpage a été ferme, très précis, lui vint en aide le médecin. Il y a eu projections, mais nous n'en avons pas retrouvé sur le lieu du crime. Je peux vous dire que le tueur s’y est pris en professionnel. »

Un silence pesant fit écho aux paroles presque admiratives du légiste. Monsieur Drave massa doucement son masque, faisant le tour de la table. Il se pencha sur le gouffre qui occupait à présent la place de la bedaine de Monsieur Carnassier, ce qui colla à Lorvedant un sursaut de dégoût qu’il tenta de réprimer. « Il a tout mangé… cru ? demanda-t-il enfin.

- Oui, Monsieur, répondit le commissaire, se demandant si ce n’était pas là une question pour le mettre davantage dans l’embarras.

- Et où dites-vous que se trouve le reste de sa petite famille ? » Lorvedant et le médecin légiste s’échangèrent un regard.

- En fait, expliqua le commissaire, nous n’en avons aucune idée. Aucune trace d’eux sur la scène du crime. Nous avons relevé de leurs empreintes partout, mais pas une trace de bataille dans la chambre des enfants, par exemple. Ils n’ont pris aucun habit, aucune affaire. Notre hypothèse voudrait… - Nouveau regard au légiste – qu’ils aient suivi un quelconque agresseur sous la menace d’une arme. C’est ce qui nous paraît le plus cohérent.

- Une idée peut-être de pourquoi le tueur aurait emmené la famille de sa victime ? Une prise d’otages ?

- Ça paraît évident. Peut-être aurons-nous sous peu une demande de rançon, répliqua doucement Lorvedant, essayant de donner de l’emphase à sa réplique qui en manquait grandement. Le légiste opina pour signaler son approbation, mais Monsieur Drave, dont le masque inexpressif toisait les deux hommes, semblait ne pas vouloir lâcher le morceau. « Monsieur Carnassier aurait-il eu accès à une fortune particulière ? Ou peut-être son épouse elle-même est la fille d’un riche propriétaire ? J’attends, précisa Monsieur Drave.

- Pas spécialement, en conclut Lorvedant, en regardant ses semelles.

- Ils étaient revenus, souffla le légiste. Et ils sont repartis. »

Les deux larges orbites de Drave se posèrent sur lui, dans le long silence qui suivit la remarque. Puis ils s’en détachèrent lentement. « Il y a des traces de dents, sur une côte, votre légiste est passé à côté, lança l'enquêteur en regardant le commissaire bien en face, ignorant le médecin qui ouvrait de grands yeux. Il faudrait en faire un moulage. Vous pourriez les analyser ?

- Nous avons un dentiste, répondit prudemment Lordevant, essayant d'ignorer la moue décomposée de Furec, et de réprimer le sourire triomphal qui lui venait alors. Il commençait déjà à aimer ce Drave. «  Je vais les lui faire parvenir. Je vous montre le lieu du crime ? »


Texte publié par 0eil, 18 mars 2014 à 19h04
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