L’avion atterrit sur le béton mouillé. Les passagers peuvent se détacher. La voix du pilote se dégage des haut-parleurs.
— Merci d’avoir choisi notre compagnie, en espérant vous revoir très vite. A bientôt et bonne journée.
Les hôtesses sourient à tout le monde, ce métier est fascinant tout de même. Elles doivent paraitre si rassurées, si polies alors que des personnes sont les pires ordures. Bref, je me lève de mon siège lorsque je le peux, mes voisins me font un signe de la tête, on a passé des heures à côté, s’échangeant les banalités :
— La vue est belle quand même !
— On est un peu serré non ?
— Je ne prends pas trop de place, si ?
— Si ! Tu prends trop de place, mais je fais semblant que ça ne me gêne pas. Et laisse-moi te dire que je fais semblant d’écouter de la musique aussi, je n’ai plus de batterie dans mon téléphone depuis le décollage. Je ne veux juste pas te parler. Ah oui ! Et j’ai vu que tu m’as relooké avec tes yeux de pervers quand je suis allée aux toilettes, je sais aussi que tu as fait semblant de ne pas m’entendre quand je voulais passer, juste pour que je me colle à toi. Gros dégueulasse.
Ça évidemment je ne lui ai pas dit. Je suis trop gentille enfin c’est ce qu’on me dit :
— Roxanne, tu es trop gentille, un jour on te marchera sur les pieds, tu le sais ça ?
J’aimerais dire que ce n’est pas vrai, mais je mentirais. Les gentils ne gagnent jamais. Personne ne gagne jamais, pas même les méchants. A la fin on se fait toujours rattraper par une seule chose et cette chose, on la redoute tous.
Mon pied se pose sur la terre ferme, le même béton mouillé que j’ai quitté il y a quelques mois. Je suis partie vivre un rêve. J’ai pu barrer dans l’avion cette chose à faire dans cette très grande liste. Le voyage de mes rêves : l’Asie.
J’ai toujours adoré sa culture, sa nourriture, ses coutumes et cette différence entre la vie à la campagne et la vie citadine. Certains villages n’ont pas d’électricité, ni d’eau courante. Mais à côté il y a des grands buildings, des voitures, d’innombrables gens pressés d’aller au travail. Surtout au Japon. C’est là où c’est le plus flagrant. C’était le voyage de mes rêves et c’est fini. Je ne saurais pas comment décrire cette sensation qui me hante, je ne suis pas heureuse d’avoir accompli ce rêve. C’était le premier de ma longue liste, et celui-ci était si grand, si à porter de main mais si inaccessible que je suis déçue de l’avoir réaliser. Je ne suis pas malheureuse non plus, loin de là. Peut-être que je ne me rends pas vraiment compte de ce qui m’arrive. C’est une autre page tournée. Voilà tout. Une porte se ferme, une autre s’ouvre non ?
Je récupère mon sac à dos, j’ai préféré voyager léger. Ne pas se prendre la tête voilà ma devise du moins ne PLUS se prendre la tête. Je n’étais pas comme ça avant. Je ne partais pas sur un coup de tête à l’autre bout de la Terre, dépenser mes économies que je gardais si proche de moi tel Gollum et son précieux dans Le Seigneur des Anneaux. Il faut savoir se faire plaisir et ma liste n’est pas encore terminé. Il me reste encore quelques trucs à faire. La plupart des rêves est déjà barrée, accomplit, réalisé comme me faire un tatouage, me repercer ENFIN les oreilles, (j’ai une peur bleue des aiguilles et j’ai surmonté ma peur !) aller voir un opéra, manger dans un restaurant où il y a plein de chat. Je n’ai jamais dit que tous mes rêves étaient fous. Et le saut en parachute, entre autres, que j’ai fait au Japon. La plus merveilleuse chose au monde. Pendant trente secondes, mon cœur s’est arrêté de battre. Dans les airs, je ne sentais plus aucune pression sur mon corps comme si je n’y étais plus. Je volais, enfin non je tombais mais je n’avais pas peur. Je me disais que si c’était comme ça que je devais partir alors ça serait formidable. Alors j’ai souri. Puis j’ai pleuré. Parce que… Le paysage. La sensation. Les pensées. Ces trente secondes sont si longues en haut. J’ai eu le temps de faire la rétrospection de tout, même si je l’ai déjà faite il y a quelque temps. Le monde change quand on sait. Quand on garde des secrets. Mon retour ici, je le redoute. Je sais que c’est la fin d’une époque. La fin d’une liste. Le retour à la réalité. Quand j’étais loin, je ne pensais à rien. Du moins pas à ça. Cette chose qui s’éparpille, qui ronge, qui détruit. Parfois ça ne prend pas d’ampleur parfois c’est irréversible. On ne veut pas croire, parce que ça n’arrive qu’aux autres voyons. Mais quand on l’entend, plus rien n’a de sens. Ces rêves, ces choix, cet avenir, tout est balayé par un :
— Vous avez le cancer.
Tout se brouille, tout est flou, tout s’efface. Un soupir s’échappe d’entre les lèvres, et c’est la fin. Mais en posant le pied sur ce béton humide, tout me revient. Je l’ai oublié juste quelques instants. J’ai trop souvent voulu rêver ma vie, il était temps que je vive mes rêves. Ça peut paraitre cliché et à vrai dire je m’en fous complétement. J’aime être dans les clichés, j’aime faire les choses comme elles doivent être faites même si une liste doit être suivie pour qu’elles soient accomplies. J’ai trop souvent fait attention au regard des autres, fait attention à ce qu’on pourra bien dire de moi. Je n’ai pas besoin des autres, ils ne vivront pas ma vie à ma place alors, je vis comme il me chante, temps que je suis encore là. Je rentre dans mon appartement qui, malgré tout m’a beaucoup manqué. L’air humide pénètre dans les pièces trop petites, les rideaux bougent au rythme du vent frais. Je range mes affaires, je nettoie, des mois de poussières se sont accumulés. Je fais le tri. Je regarde les quelques photos d’enfance, de famille, assise par terre.
— Combien de temps docteur ?
— Trois mois…
Mettre de l’ordre, fait. Il me reste qu’une dernière chose à faire.
Dire à mes proches que je les aime.
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