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Les Fragments Apocryphes du Livre du Voyageur
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volume 1, Chapitre 6 « Cendrillon de Chair » volume 1, Chapitre 6

Suffocation ! Aspiration ! Expiration !

Dans la chambre numineuse, l’obscurité, le noir poisseux. Sur le mur l’ombre lumineuse de la lune gibbeuse. Sur le mur, des projections, formes tendancieuses et audacieuses, des formes amoureuses. Au milieu, le silence, lourd et sanglant, sourd et glaçant.

Inspiration ! Réflexion ! Fluxion !

Sur le lit, gisant d’une poupée de cendres, deux immenses yeux contemplent ; des yeux de verre, sans flamme ni chair, ou seulement le reflet d’une lampe mourante. Main flasque et ouverte, tendue en quête d’une offrande qui jamais ne vient ; dans sa paume un pétale de rosé fanée et brûlé. L’autre, accroche-cœur dérisoire, suspendue à la boutonnière, misérable miroir d’une nuit sans mémoire.

En dessous…

Mais qu’y a-t-il en dessous ? Deux chose, longues ; point aveugle dans la cendre qui envahit la chambre.

Exclamation ! Déclamation ! Exaspération !

– Maman !

La voix dans l’au-delà, blafarde, criarde ; timbre net et cassé d’une vie asphyxiée. Entre deux os, le filet d’une fumée consumée, comme jadis le prince. Dans les escaliers, des bruits familiers et étouffés, bruits de pas feutrés. Entre ses doigts, un peu de cendre, grise comme le levant ; l’extrémité rougeoyante, il y a si longtemps.

Interruption ! Stupéfaction ! Fascination !

Oubliée la petite fée. Bienvenue méchante fée. Et toujours la fumée, grise et éthérée qui asphyxie l’obscurité. Expulsion, inspiration. Expulsion, inspiration, comme les larmes sur les joues depuis ses yeux enflammés qui scrutent le noir horizon ; la dérision. Déjà la fumée. Déjà l’obscurité. Passé minuit et plus de petite fée ; ni bonne, ni méchante, juste plus. De l’autre côté, quelque part entre les degrés, passé le génie, l’effacé, précédé de l’effaré et de l’effrayé. Vite, vite, les bruits des pas affolés. Vite, vite, le bruit des pas pressés devant la chambre abandonnée.

Il est minuit, l’heure enchantée, l’heure oubliée.

Vite, vite, fuite effrénée loin de la vérité, loin de la maison de poupée. Vite, vite, loin de la prison de chair, prison de vair pour une poupée aux yeux de verre, à la figure tournée vers la senestre fenêtre, œil funeste perdu dans la voûte céleste. Rage, désespoir. Désespoir, rage. Tac, tac, tac, les pas de loin, les pas avides dans le lointain.

Entrechoqué les membres entravés. Agité l’être dégingandé, suspendu dans le vide le corps désarticulé ; dans le vide des mots perdus, dans le labyrinthe des pas perdus.

– Maman !

De nouveau, le cri jailli de la menue poitrine. Maudit ! Haï ! Marque indélébile sur sa chair, rappel à une vie impie, comme ses jambes, ces jambes muettes et grotesques, inertes sur le lit défait. Le poing fermé, presque saigné, hoquet désespéré sur les draps mous. Et derrière, toujours le crissement agacé du bois vieilli et patiné sur lequel les pieds viennent s’attarder.

– Pas par là, ma chérie !

– Pourquoi ?

– C’est ainsi. Nous te l’avons déjà expliqué.

Eclat de rire, éclat du pire, écho amer et sinistre dans une pièce obscure et terrible. Nocturne préambule. A quand la chute ? Sous les yeux voilés, les souvenirs glacés, les promesses dévoyées, l’enfant volé ; un cœur inhabité.

– A cause de la poupée ?

– A cause de la poupée.

Soupirs, les pas s’éloignent ; bruit feutré des mules sur le plancher. Heureux, c’est le coucher ; une nuit de tranquillité, elle perdue dans ses rêveries.

Soudain, le silence, lourd et glacé. Recroquevillée sur le lit, mine terrorisée, mine de papier mâché, elle guette son arrivée. Au mur suspendue, l’horloge et ses secondes égrainées, enchâssées dans le courant sans fin du temps. Tic, tic, tic ; semblables à la pluie de cendre, si fine et sans fins.

A ses pieds, la robe déchirée, dans la cheminée, les grains cendrés. Sale suie, elle trie, elle retient le cri. Et derrière ? Derrière, les rires, les doigts tendus, les doigts crochus.

– Trie ! Trie, ma pauvre fille !

Exaltation ! Exécration ! Humiliation !

La porte qui bouge, la cendre qui bouge, la porte qui s’entrouvre. Sur le mur, découpée, fanée, la silhouette incertaine d’un être. Sur le lit de chair, sur le lit de vair, les yeux glacés scrutent l’obscurité. Mutique, nu, tendu, prédateur nocturne, il avance en silence. Sous ses pieds, le plancher ; le temps arrêté.

– Fais !

Docile, immobile, poupée de cire sur un lit. Le regard fixe, sur le mur les ombres chantent, les ombres dansent, indifférentes. Coup de rein, coup de rien. Va et vient mécaniques, halètements asthmatiques, à peine le sens du devoir accompli.

– Le Bal ! Le Bal !

– Oui, le Bal !

Le bal et ses regards. Le bal et ses charmes. Le bal et ses drames. Précipitée au bas des escaliers, la belle ensorcelée et dans la cheminée la robe déchirée.

Supplication ! Révocation ! Répudiation !

Et toujours les coups, sourds, lourds, gourds. Pour qui le supplice dans le silence brisé de la nuit ? Han ! Han ! Han ! Tic, tic, tic. Han ! Han ! Han Tic, tic, tic. Tous s’imbriquent. Dans le lit les bras le long du corps, les yeux vides, vit l’accomplissement.

Et froid ! Froid comme les marches, froid comme les marches de l’escalier en marbre, froid comme ce cœur qui ne marche pas.

– Pourquoi pleurer ?

Pas de robe, pas de danse, pas de prince charmant. Qui mène mène la danse ? Elle ou lui ? Lui ou elle ? Le regard vide, sur le mur l’ombre blanchie de la lune. Pas de vengeance, pas de clémence, seulement la démence.

– Attention ! Minuit passé ! Le charme envolé !

Le charme envolé, envolé au milieu des marches d’un escalier, brisé au pied de l’escalier. Et pas de fée, ni bonne ni mauvaise, juste pas de fée, à la place un sorcier.

– Jolie poupée ! Jolie puinée ! Dévalée les escaliers de marbre doré ; en bas les os brisés.

Dans les degrés, la pantoufle abandonnée. Mais à qui la confier, maintenant qu’elle a les os brisés.

– Jolie poupée ! Jolie égarée, chantonne le sorcier toujours penché sur le corps brisé, caché dans les fourrés. Dans les escaliers, le prince aimé, atterré, désespéré ; les yeux perdus dans l’obscurité bleutée. Que ne ferait-elle point pour le retrouver ?

– Jolie poupée ! Jolie damnée ! chante le sorcier, la poupée entre ses doigts crochus. Accepté le marché ? D’un corps brisé, l’âme envolée vers une poupée alors animée ?

En bas des escaliers, sur le dernier degré, le prince terrorisé a ramassé le chausson égaré.

– Jolie poupée ! Jolie mariée ! Veux-tu voir le prince s’échapper ? s’enquiert le sorcier de sa vois si sucrée.

Et dans l’obscurité, l’absurdité d’un corps dégingandé, délivré et prisonnier. Absurdité ! Minuit passé et rien n’est achevé.

– Non ! Non !

Le cri effrayé d’une jeune fille aux os brisés et le prince, attristé, apeuré, cherche l’égarée.

– Ouh ! Ouh ! hulule le hibou en écho, sous l’œil amusé du sorcier.

– Alors jolie poupée ! Jolie ruinée ! Acceptes-tu le marché ? De vie à trépas tu es passé lorsque tu as dévalé les escaliers ; sur la dernière marche ton cou s’est brisé. De ton image j’ai confectionné une poupée, de ton âme je me suis emparé. Que le prince te préfère à ton mirage et alors je te rendrai ton âme et alors tu vivras.

Et dans les yeux rougis, le fol espoir ; attracteur fatal. Pendant ce temps, les coups, encore et encore, ainsi de suite jusqu’au bout de la nuit, ravivent les souvenirs.

– Sorcière ! Sorcière ! hurlait la foule agglutinée au pied de l’escalier.

A côté d’elle, le prince aimé et son reflet.

– Voleuse ! Voleuse !

Et le prince, le regard étonné, tourné vers cette mégère à la figure de sorcière.

– Sorcière ! Sorcière ! scandait la masse en colère. Sorcière revenue des enfers, meurtrière de la mère, martelaient les voix autour d’elle.

Et plus loin encore, le sorcier.

– Jolie poupée ! Jolie bûcher ! La mort vient par le pêché. Poupée née de la cendre, à la cendre s’en est retournée.

Jeune fille au teint de cire, tant désiré, tant convoité, dans les escaliers elle s’est précipitée, dans les escaliers elle a chuté, dans les escaliers elle s’est brisée et le diable s’en est allé.


Texte publié par Diogene, 22 janvier 2022 à 12h13
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