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tome 9, Chapitre 8 tome 9, Chapitre 8

Ses poignets, elle ne les avait pas lâchés, non plus qu’il ne l’avait repoussée. De longues minutes, ils étaient demeurés ainsi, enveloppé par le souffle chaud du Sirocco. Dans le ciel, les heures avaient défilé, lorsqu’ils avaient relevé la tête, les étoiles avaient envahi le firmament. Frissonnante, elle avait, par réflexe, enroulé ses bras autour de ses épaules. La chaleur, la fraîcheur, toutes des sensations qui, autrefois, n’étaient que des mots pour signifier des choses qu’elle comprenait enfin. Les yeux tournés vers le croissant lunaire, elle crut l’apercevoir, mais ce n’était que l’ombre de cet oiseau, au cri rauque et au ramage aussi noir que du charbon. Soudain une étoffe lui couvrit le dos, puis la poitrine. Rêche, urticante, elle sentait comme de minuscules poils lui rentrer dans la chair, déclenchant une irrépressible envie de se gratter, qui s’apaisa bien vite.

Silencieux, il se tenait derrière elle, son visage saisi dans l’ombre de son chapeau, ses yeux étincelants de mille feux. Le bras tendu, l’index dirigé en direction de l’horizon, il pointait un point luminescent dans le lointain, semblable à un soleil miniature. Les mains jointes, elle retenait fermement les pans de l’étoffe que le vent lui arrachait, cependant qu’ils reprenaient leur marche dans le désert. Chose singulière, alors que du jour à la nuit, le temps avait filé, du crépuscule à l’aube, il paraissait s’être figé, comme si l’obscurité devenait éternité. Sous leurs pieds, la poussière se soulevait, les cailloux roulaient et s’entrechoquaient. Comme dans ses rêves, elle cheminait dans les ténèbres sous un ciel tapissé de chandelles, lui à sa droite, le corps dissimulé par son poncho, le regard pareil à des étoiles, la lune réduite à simple trait. Penchée un instant, elle recueillit un peu de cette matière étrange, tout à la fois solide et liquide, qui s’échappait doucement d’entre ses doigts. Arraché par le souffle du Zéphir, elle contemplait les grains s’éparpillant aux quatre vents.

Regrettait-elle sa décision ?

Dans sa poitrine, elle sentit un pincement au niveau du cœur ; une sensation douce et amère, comme un appel à revenir en arrière, alors même que derrière tout n’était que poussière.

N’avait-il pas exaucé son souhait le plus cher ? Ne l’avait-il pas choisi pour cette raison même ? Parce qu’il savait que jamais elle n’hésiterait.

De ses lèvres s’échappa un long soupir. Pendant ce temps, son compagnon s’était arrêté et s’était retourné. D’une main portée à son visage, il avait ôté ses verres miroir, dévoilant ses yeux couleurs orages, au fond lesquels se reflétaient des mondes mirages.

Avait-elle peur ? Était-elle saisie de terreur ?

Les doigts agrippés au pli de la couverture, elle sentait sa raison s’égarer, son être s’évader, perdu dans les apparences d’une infinie liberté. Elle qui avait toujours été entravée, jouissant d’une surhumanité illusionnée, tributaire des désirs de ses maîtres, elle ne ressentait plus sur ses épaules le poids de ses chaînes. Tombée à genoux, les poings enfoncés dans le sable frais, elle contemplait les reflets de la nuit à la surface des innombrables grains de silice.

Ainsi donc les choses avaient-elles une fin ? Elle n’osait le croire. Dans sa chair, le souvenir de son étreinte se raviva soudain, de même que ses paroles. La tête relevée, ses yeux croisèrent les siens, ni monde ni mirage ne les habitaient, seulement les couleurs bleue et grise de l’orage.

— Qu’arrivera-t-il ensuite ? soupira-t-elle, les doigts plongée dans le sable. Vais-je me flétrir et me dessécher comme toutes ses âmes ?

Des choses humides débordaient de ses yeux et roulaient le long de ses joues.

— Pourquoi en serait-il ainsi ?

Grave, son compagnon avait tendu une main vers son visage et en avait recueilli le fruit de ses peines.

— La fin est écrite, non le commencement. C’est à vous qu’il appartient, non à moi ou à d’autres.

À la surface de ses rétines, elle devinait l’ombre d’une figure : la sienne qu’un pâle sourire illuminait. Sa main glissée dans la sienne, elle se releva, puis se saisit de ses verres qu’elle remis sur l’arête de son nez ; il était redevenu cet être fabuleux entouré de silhouettes et de mystères qui répondait au nom de Shahar. Toujours perché sur son épaule, son compagnon avait sauté pour prendre place sur la sienne, non sans pousser un long cri plaintif. Au loin, elle devinait les couleurs d’un foyer, autour seraient assis quatre femmes et deux hommes, un troisième se tiendrait dans l’ombre, partout et nulle part à la fois.

— Le fin est écrite, non le commencement. Mais qui la rédigera alors ? soupira-t-elle, comme elle se relevait.

— Lui, susurra l’homme du rêve, le bras tendu vers un homme à la figure ravagée, non par le temps, mais par l’alcool et les médicaments.

Pourtant, perdus au milieu de ce chaos de chair, ses yeux brillaient les flammes de la renaissance. Il tenait entre ses mains un épais cahier qu’il maniait avec délicatesse ; un sourire léger traversait ses lèvres desséchées.

Du regard, elle balaya l’assemblée, quatre femmes et deux hommes, cinq et trois à présent. Le vent calme soufflait et attisait le feu qui grandissait, cependant qu’une douce chaleur l’envahissait. Elle était Fukasan, la femme qui ne devait pas exister, la femme née des rêves et des fantasmes d’une humanité perdue dans le complexe de sa honte prométhéenne, dont le monde illusionné n’était qu’un masque pour dissimuler la vérité : une planète à l’agonie qui ne serait bientôt qu’un désert aride, presque dépourvue de vie. En face d’elle était assis un ange, ses ailes ébènes repliées sur lui-même. Malgré son air étrange, elle ne pouvait que le reconnaître. À côté de lui se tenait une femme au regard mystique. Enfin, il y avait les autres, une triade, trois jeunes filles qui n’en étaient qu’une. Comment le savait-elle ? Elle le savait, cela lui suffisait.

— Merci, murmura-t-elle, les yeux embués.

La figure tournée vers l’arpenteur, elle contemplait longuement ses prunelles incandescentes, ses traits burinés, sa peau tannée par l’orbe solaire. Son univers effacé, elle ne pouvait plus exister. L’ange l’avait, alors il l’avait ressuscité, ici, dans le temps du Rêve, où elle vivrait aux côtés de cet homme, dont le nom lui-même était celui d’une ombre.


Texte publié par Diogene, 13 novembre 2021 à 10h42
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