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tome 9, Chapitre 7 tome 9, Chapitre 7

Silencieux, il se tenait accroupi devant elle. Singulier comme il l’avait été dans ses rêves, elle le découvrait enfin de chair et de sang, de songes et de matière, cependant qu’il lui tendait sa senestre.

Hésitante, elle contemplait la fleur, qu’il lui avait logée entre les doigts. Blanche, ourlée d’une jaune très pâle, son centre pourpre, presque noir, semblait vouloir attirer à lui tous les regards. Soudain, il la lui reprit et la posa avec délicatesse au-dessus du lobe de son oreille. Ses yeux, dérobés derrière une paire de lorgnons couleur de vif-argent, elle avait glissé sa main dans la sienne. Dans sa poitrine, son cœur avait bondi et un frisson lui avait parcouru l’échine ; un étrange sentiment l’avait saisie. Sur sa figure, un sourire empli de mystère s’était dessiné sur ses lèvres, puis il avait secoué la tête ; son compagnon toujours perché sur son épaule.

Relevée, elle le voyait se déployer, comme l’eussent été les ailes d’un ange ou d’un oiseau. Grand, immense même, sa taille était encore accentuée par la maigreur de son corps sec. Au-dessus de son foulard, elle devinait la silhouette proéminente de sa pomme d’Adam, cependant qu’elle accompagnait son mouvement. Ses os, ses muscles, ses tissus, son être en entier, lui parut tout à coup douloureux.

— La femme qui ne devait pas exister.

Les mots s’étaient échappés de sa bouche, comme si ses volontés n’étaient point faites, comme si une autre elle-même venait de s’éveiller. Mais n’était-ce point là la promesse qu’il lui avait faite ? Sur son épiderme, ses poils se dressaient. L’homme n’avait pas bougé.

La regardait-il ? L’admirait-il ? L’appréciait-il ?

Elle l’ignorait. Peut-être, s’en moquait-elle ? Soudain, son compagnon poussa un long cri rauque, dont l’écho se perdit dans l’étendue désertique. Toujours immobile, il ne la retiendrait pas.

Ses habits gisaient en tas sur le sable sec. Lui était resté en arrière, ses pensées enchâssées dans ses verres mercuriels. Les paupières closes, elle laissait les sensations envahir son être, non plus factice, de métal et d’artifices, mais charnel, né de la rencontre de l’éros et du rêve. Un vent léger et tiède l’enveloppait ; le sirocco avait susurré une voix à son oreille, cependant que de minuscules aiguilles s’incrustaient dans sa peau. Sous ses pieds, la dune se dérobait à chacune de ses foulées, lui rendant à mesure la marche de plus en plus pénible, alors que s’éveillait dans ses articulations une douleur qu’elle n’avait jamais connue auparavant.

Était-ce cela qu’être vivant ?

Elle se remémorait ce temps passionné, passé entre les bras d’un homme aussi étrange que fascinant, puis les jours qui avaient suivi, la Nuit, la dernière, la pluie qui tombait en torrent du ciel, le vent qui lui fouettait le visage.

Qu’avait-elle ressenti en cet instant, sinon le néant, une information vide de sens ?

Allongée sur la dalle bitumée, le fusil collé contre sa joue, l’œil dans le viseur, le doigt sur la gâchette, une sensation brusque de chaleur et la balle qui filait.

Les paupières soudainement grandes ouvertes, la tête penchée en arrière, les bras écartés, comme si elle avait désiré embrasser la voûte céleste, elle contemplait la Voie lactée, traînée laiteuse et numineuse, qui déchirait le firmament, sous le regard patient d’une lune gibbeuse et ombrageuse. Le vent avait asséché son corps, assoiffé sa langue, mais elle s’en moquait ; elle était vivante, faite de chair et de sang.

Les bras recroquevillés sur sa poitrine, elle se griffa et des perles écarlates jaillirent pour disparaître dans le sable avide, cependant qu’elle relâchait ses membres. Atone, elle fixait l’horizon. D’autres arriveraient. Elle le savait, car elle les avait vus dans ses rêves : une femme à la peau tannée dont les yeux reflétaient le ciel, deux jeunes filles aussi semblables qu’elles étaient dissemblables, jumelles d’âme ; l’une aurait un loup pour compagnon, la seconde un oiseau, un corbeau ; ensuite s’en viendrait un homme d’un temps qu’elle n’aura jamais, mais dont elle portait, peut-être, l’héritage, il serait accompagné d’un autre.

Dans sa poitrine son cœur manqua à un battement, sa peau devint brûlante, souvenance d’une nuit étrange et mystérieuse.

L’avait-elle jamais vécu ?

Un long soupir s’échappa d’entre ses lèvres, des sensations la saisissaient, l’étreignaient, la possédaient.

Devait-elle encore douter ?

Elle rit ; un rire cristallin et mélodieux qui se perdait dans l’immensité de la vallée. Agenouillée, elle recueillit un peu de ce sable entre ses doigts et le laissa filer. Les grains se glissaient entre les moindres interstices de son anatomie et seuls les plus volumineux étaient retenus. Soudain, ses lèvres esquissèrent un sourire. À quelques pas de là, elle aperçut l’homme et ses yeux d’argent, il avait ramassé ses habits, que le vent avait presque enfouis. Encore une fois, elle s’interrogeait.

Quelles pensées pouvaient donc l’habiter ?

D’une démarche toute féline, elle s’approcha et lui reprit ses vêtements, le remerciant d’un hochement de tête. Il n’avait pas bougé, ou alors imperceptiblement. Seul son sourire paraissait le trahir.

Était-ce provocation de sa part ? Ou seulement était-ce parce que cela l’indifférait ? À moins que ce ne fût une relique de sa non-vie ?

Elle ne possédait pas la réponse à cette question, tandis qu’elle se rhabillait sans pudeur aucune. Droit, aussi stoïque que l’aurait été une statue antique, il était demeuré immobile ; les bras toujours croisés sur sa poitrine, son oiseau perché sur son épaule gauche, son regard rendu impénétrable. Soudain, quelque chose lui chatouilla le lobe de l’oreille. Par réflexe, elle voulut chasser l’importun, puis se souvint ; une fleur du désert. Avec délicatesse, elle s’en saisit. Quelques pétales avaient été arrachés.

— Pour la femme qui ne devait pas exister, murmura-t-elle, comme elle la glissait dans sa boutonnière.

Le visage tourné vers la voûte, elle la contempla encore un instant, puis se détourna. S’il lui en avait été loisible, sans doute se serait-elle noyée en son sein. Mais cela ne serait pas et demeurerait à jamais un fantasme ; l’une de ces choses qui jamais ne se réalisent, mais dont on caresse pour toujours le désir.

Soudain, d’une longue détente, elle s’était élancée et elle lui avait arraché ses verres mercuriels. Leurs yeux se croisèrent, leurs lèvres s’effleurèrent.


Texte publié par Diogene, 9 novembre 2021 à 17h54
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