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tome 8, Chapitre 7 tome 8, Chapitre 7

Depuis combien de temps était-il là ?

Derrière lui, dressés de tout leur orgueil, les battants de fer étaient demeurés clos. Immobile, il semblait s’amuser de ses interrogations, de ses réflexions à son sujet. Dans l’ombre d’un chapeau, qui n’était pas sans lui rappeler les sombreros mexicains, elle ne devinait que l’éclat de ses yeux, brillants, luisants, incandescents.

Était-ce un sourire qui lui barrait ainsi la figure, ou seulement une cicatrice ?

Encore une fois, elle n’aurait su répondre. En fait, elle s’attendait presque à ce qu’il l’appelât auprès de lui et lui glissât un bonbon entre les doigts. Mais rien ne se passa ; il restait là, stoïque, perché sur la pointe d’un rocher acéré, le regard tourné vers l’horizon embrasé, les bras croisés sur la poitrine. Intriguée, à moins qu’elle ne fût déçue, elle s’avança de quelques pas dans sa direction.

Était-ce un jeu d’optique ou de lumière ?

Cependant, à mesure qu’elle s’approchait, elle croyait voir son visage s’assombrir de plus en plus, en regard de ses yeux, dont l’éclat s’accroîtrait à l’inverse. En son cœur, le souvenir vacillant de cet être aux ailes immenses, dont elle avait aperçu l’image, se fit soudain plus pesant, comme si sa présence l’avait tout à coup ébranlée.

Cela était-il possible ? Cela se pouvait-il ?

Au fond d’elle-même, une chose ancienne reprenait vie et l’assaillait, une chose primaire et lumineuse. Le souffle coupé, elle était tombée, retenue de justesse par les bras puissants de l’étranger. La main sur la poitrine, ses doigts enserrant sa tunique, elle sentait son palpitant tambouriné à l’intérieur, alors qu’une chaleur jusque-là contenue l’envahissait, prenait possession de son être.

Soudain, elle s’arracha à l’étreinte, tandis que de sa gorge, s’échappait un hurlement, une éructation rauque et profonde, le cri d’un fauve sur le point de fondre sur sa proie. À terre, les genoux enfoncés dans la boue, les mains plongées dans la glaise, en extirpant la substance mère, elle bondit tout à coup dans sa direction, toutes griffes dehors, prête à déchiqueter la figure humaine et ricanante, qui se tenait face à elle.

Toutefois, il n’avait pas bougé, pas plus qu’il n’avait cherché à l’esquiver lorsqu’elle s’était jetée sur lui. Souple, il lui avait saisi les poignets tandis qu’il basculait en avant dans un lent mouvement de rotation, accompagnant par là même sa chute. Son dos heurta brutalement le sol. Preste, de sa dextre, il maintint ses bras à terre quand, de sa senestre, il recueillit un peu de la cendre sèche. Mouillée de sa salive, il traça aussitôt sur son front la silhouette du Yurlungur ; dans ses yeux, le feu refluait peu à peu.

Que s’était-il passé ? Quelle force vive s’était-elle emparée de son être, au point de faire d’elle, presque une meurtrière ?

En son sein, les flammes de l’incendie s’apaisaient sans toutefois s’éteindre tout à fait. Au-dessus de son visage, l’étranger la fixait de ce regard imperturbable et impénétrable. Néanmoins, elle n’y distinguait aucune volonté de la soumettre, encore moins de l’humilier, ou de la violer ; c’était seulement la figure d’une personne inquiète, qui ne se défaisait pas de son sourire énigmatique. Il n’avait pas relâché la pression autour de ses poignets et elle lui en fut gréée ; la pulsion n’avait pas disparu et elle la devinait capable de se surgir au moindre moment d’inattention de sa part. Ce faisant, il traça de nouveau sur son front, puis sur ses joues et sa poitrine, de mystérieux symboles. Dans son cœur, le fauve semblait s’être à présent assoupi.

— Qu’était-ce ? coassa-t-elle, la bouche soudain sèche.

L’étranger avait relâché ses membres entravés. Redressé, il lui avait tendu une main dont elle s’était saisie, cependant qu’il l’avait hissée. Fait singulier, il avait ôté ses lorgnons, dévoilant des yeux couleur vert-de-gris, puis les avait replacés sans un mot. À l’intérieur des flammes scélérates brûlaient.

— Est-ce que cela répond à ta question ? semblait-il lui murmurer au travers de son sourire.

Elle remarqua qu’elle n’avait pas retiré sa main de la sienne, alors même qu’elle répugnait au contact humain de toutes sortes. Pourtant, elle ne ressentait à son égard aucune envie, aucun désir, aucun sentiment d’attachement, seulement une profonde sérénité : ce calme qui l’habitait quand, s’imaginant rejoindre cet ange au regard si mélancolique, elle s’abîmait dans le lac de feu.

Était-ce lui, sous ses oripeaux de cowboy dépenaillé ? Ou cette sensation n’était que le fruit d’une illusion, un artifice ?

Une part d’elle-même le souhaitait, quand la seconde lui soufflait qu’il était autre.

Décontenancée, elle glissa sa main hors de la sienne, sans qu’il ne s’y opposât. Les bras recroquevillés sur sa poitrine, elle aperçut le corvidé, à l’œil opalescent, perché sur la branche d’un vieil eucalyptus, à côté de son double à la prunelle obscure. Soulagée, elle fit quelques pas en leur direction, puis s’arrêta. Derrière elle, l’étranger n’avait pas esquissé le moindre mouvement. Le vent s’était levé et son poncho bouffait, révélant par la même la maigreur de son corps. Une main posée sur sa tête, il retenait le sombrero qui menaçait d’être emporté par les bourrasques, cependant qu’il ne la quittait pas du regard.

La peau de son visage et de sa poitrine la brûlait là où il avait dessiné ses symboles avec la cendre. Ils contenaient la force qui l’habitait, l’empêchaient de la consumer. Mais cela ne durerait pas, elle le devinait. Devant elle, un mur de flammes s’élevait. La lance entre les bras, presque à bout de forces, elle savait que c’était un combat perdu d’avance. Mais là-bas, pris au piège du brasier qui s’était refermé, il y avait ses compagnons et, pour eux, elles ne pouvaient renoncer. Hélas, sous l’effet de l’intense chaleur l’eau se décomposait et alimentait un incendie toujours plus féroce.

Que s’était-il produit alors ? Elle l’ignorait, elle se souvenait seulement qu’elle l’avait déposée et s’était fondue dans les flammes immenses.

Était-ce là sa nature ? Un esprit de feu ?

Une voix incandescente ronronnait dans sa poitrine :

— Tu es Ndjamulji, l’Antienne

En face d’elle, l’étranger lui sourit de plus belle.

— Je suis Shahar, l’homme du rêve, celui qui arpente les songes et les ténèbres.

Autour d’eux, la ville avait disparu.


Texte publié par Diogene, 24 août 2021 à 21h18
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