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tome 8, Chapitre 3 tome 8, Chapitre 3

Collante, poisseuse, l’eau coulait sur elle, charriant avec elle toutes les exhalaisons, les miasmes, les rumeurs, toutes ces choses incrustées dans sa peau, ses cheveux, sa caverne inexplorée, partout où sa chair affleurait.

D’une main, elle s’accrochait à la barre métallique qui supportait le pommeau de douche vomissant des flots bouillonnants. Brûlante, elle sentait son corps se charger des calories superflues, se gonfler de la chaleur inutile, rougir sous les assauts incessants du jet transparent et incandescent. De l’autre, elle mimait le geste, les phalanges resserrées sur un objet invisible et son pouce qui caressait le vide. La tête penchée en avant, elle offrait sa nuque dénudée au regard, le rideau aquatique dévalant le long de son épine dorsale couverte de cratères et de lézardes. Les paupières closes, ce n’était plus du monoxyde de dihydrogène, additionné d’acide hypochloreux, mais les suées noires qui s’échappaient de la roche-mère ; plaies suppurantes auxquelles une humanité affamée s’abreuvait. Coulant entre ses doigts, elle la regardait qui l’enrobait puis se solidifiait en une lourde carapace. Le sourire aux lèvres, elle tendait le bras, recueillant la matière noire, avant d’en inonder son corps, obstruant le moindre de ses pores, son méat, son fondement, sa gorge ; seuls ses yeux grands ouverts demeureraient tandis qu’elle se verrait, dans le reflet de la vitre de sa cabine, vivre les derniers instants de son agonie.

La main tendue, il serait là, pâle, ses cheveux défaits qui tomberaient en cascade sur ses épaules ; il lui sourirait et au fond de ses yeux les flammes grandiraient, puis jailliraient ; sa chair d’asphalte luisant en serait le carburant. Torche humaine, elle se contemplerait jusqu’à ce que son corps ne fût plus que charbons ardents.

Soudain, la source se tarit, le front posé sur la faïence inondée, elle fixa le trou noir de la bonde, le tourbillon à sa surface qui aspirait avec un disgracieux bruit de succion l’élément eau. Dégoulinante, elle attrapa la masse souple de ses cheveux et les tordit. Encore chaude, l’aqua lui procura d’étranges frissons comme elle épousait les courbes de son corps. Défaits, sa chevelure tombait à présent en boucles disgracieuses sur sa poitrine menue. Perdue dans la touffeur embuée de la cabine, elle respirait avec difficulté tandis que les volutes condensées s’enroulaient autour d’elle. Ses bras s’agrippant l’un l’autre, elle tentait de se rappeler ce frisson, cette peur tendre et délicieuse qu’elle avait ressenti quand elle avait croisé pour la première fois son regard ; un regard vide au fond duquel s’élevaient des flammes comme elle n’en avait jamais vu.

Accroupie, recroquevillée, adossée contre les carreaux glacés, elle avait chu. La tête penchée en arrière, les bras enroulés autour de ses jambes, elle fixait les gouttes minuscules qui dégringolaient du pommeau, avant de s’écraser sur le fond émaillé du bac, pour être aspirées et disparaître dans la bonde vorace. Les volutes blanches tournoyaient toujours cependant qu’elles devenaient de plus en plus ténues, tandis que sur les vitres de minces filets d’eau filaient soudain, entraînant dans le sillage la masse liquide accumulée et condensée. Tiède, l’atmosphère humide se refroidissait de plus en plus vite, son corps se roidissait et bientôt il deviendrait de pierre ; elle étira ses pieds, puis ses mollets ; ses cuisses, puis ses hanches ; son abdomen, puis sa poitrine ; ses doigts, puis ses bras. Féline, elle se releva à la manière d’un serpent, s’enroulant autour d’une colonne invisible. Une main posée sur la poignée, elle fit coulisser le panneau, expulsant les dernières bribes vaporeuses hors de leur prison de verre.

Mince, une barbe de trois jours grisonnait ses joues, il lui tendait une serviette, cependant qu’une fumée âcre et piquante s’en échappait. Ses cheveux noirs ondulaient et se déroulaient en une cascade moirée autour de son visage, tandis que de son dos émergeaient deux masses sombres. Le temps avait passé, pourtant il semblait glisser entre ses mailles ; il n’avait en rien changé, même pas après toutes ces années. Elle voulut ouvrir la bouche, mais déjà il avait posé son index sur ses lèvres. Ses habits semblaient flotter sur lui, de même qu’elle remarqua que ses souliers ne portaient la marque d’aucune souillure liquide. Chue sur le tapis de bain, le linge gît à demi chiffonnée, ainsi qu’elle l’avait laissée lorsqu’elle l’avait dénouée. La main tendue, il lui caressait la joue, mais elle ne ressentait ni chaleur ni fraîcheur, seulement une terrible sensation d’indicible profondeur, pareille à l’abysse auquel le regard s’attache, à jamais prisonnier, à jamais fasciné. Sa main gauche dans la poche de sa veste, il en tira un objet aux reflets argentés. De ses doigts, il jouait de la chose comme un enfant aurait fait de ses osselets. Du pouce, il le décapitait, puis le redressait, découvrant à chaque fois une minuscule flamme, reflet parfait de celles qui dansaient au fond de ses prunelles ; de noires et d’ébène, elles brillaient pareilles à des étoiles.

Hélas, ce n’était que des fantasmes, des souvenirs ravivés et déformés. Résignée, elle ramassa l’étoffe ; elle sentait la suie et l’humidité. Nouée au-dessus de sa poitrine, elle s’avança vers la fenêtre qu’elle ouvrit en grand, chassant par là même la vapeur accumulée dans la pièce. Perché sur le garde-fou, un corbeau au regard impavide la fixait. La blancheur ivoire de sa pupille tranchait avec la noirceur de son plumage. Silencieux, il s’ébroua et un peu de duvet se détacha ; les plumes tournoyaient autour de lui, avant de retomber. Un instant, elle faillit tendre la main vers lui, mais renonça. Elle demeurait là, immobile.

Sa serviette avait glissé, offrant sa chair nue aux lueurs crépusculaires du soleil au couchant. Au loin, l’horizon cendré ruisselait de sang.


Texte publié par Diogene, 30 juillet 2021 à 17h18
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