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tome 6, Chapitre 7 tome 6, Chapitre 7

Un souffle tiède lui caressait le visage, presque aussi semblable que les frôlements des flammes du brasero sur sa figure.

Auparavant, alors qu’il l’enjoignait à emprunter le passage qui les conduiraient au siège de l’organiste, il lui avait tendu une paire de lunettes fumées mêmement noire que les ténèbres elle-même. Ensuite, agenouillé, il avait placé un bandeau de laine au-dessus des paupières de son compagnon. Troublée, elle avait examiné longuement l’objet. Finalement, elle avait posé les verres sur son nez et sa vision s’était aussitôt obscurcie. Ainsi pourvue, elle n’entendait plus que les soupirs des marches qui travaillaient, les gémissements des vitraux soumis aux assauts incessants de la bise, les murmures des pierres sur lesquelles glissaient ses souvenirs. Une main dans celle de son guide, une autre enfouie dans la fourrure épaisse, elle avait marqué une hésitation, puis s’était agenouillée auprès de lui. Soigneuse,

Penchée sur lui, il sentait ses bras se refermer sur son cou, l’envelopper de toute son affection, tandis que sa tunique de laine l’enserrerait de sa chaleur. Le museau relevé, il lui avait longuement léché les paumes, comme pour la rassurer. Sa blessure au flanc le meurtrissait toujours, mais ce n’était que peu d’enjeu en regard du serment qu’il avait prêté. Claudiquant, il s’était avancé de quelques pas, avant de s’arrêter. Du sang suintait encore de sa plaie, cependant qu’il s’effondrait sur le sol nu. Alors un hurlement avait déchiré la nuit, suivi de sanglots. Amer, il se morigénait de sa faiblesse, de cet autre qui l’abattait et qu’il avait vaincu par le sacrifice de sa chair, sinon de sa vie.

Soudain, des bras puissants le soulevèrent de terre et l’emportèrent, tandis qu’un corbeau poussait un cri rauque.

— N’aie crainte, avait murmuré l’homme au regard d’argent. Si je ne puis le soigner moi-même, un autre le fera.

L’homme la dominait de toute sa hauteur ; son ombre, gigantesque, semblait avaler jusqu’au moindre des grains de lumière. Sur son épaule, son oiseau la fixait de cet œil étrange, tout à la fois noir et brillant, dans lequel se reflétait sa figure. Agenouillé, il avait glissé ses bras sous le corps de son compagnon, dont l’éclat mordoré de ses yeux n’avait rien perdu de leur intensité, et l’avait soulevé comme si de rien n’était ; à son flanc, un liquide vermeil suintait et tachait son pelage couleur cendre.

Combien de temps avaient-ils ainsi cheminé ?

Elle était incapable de répondre. Autour d’eux, le paysage fluctuait. Par instant, elle croyait reconnaître une silhouette familière, l’instant d’après ce n’était plus qu’une ombre étrangère. En d’autres moments, c’était un panorama qu’elle pensait connaître, cependant la vision la détrompait aussitôt. Partout, à tout moment, les images changeaient, se transformaient, se métamorphosaient, explosaient, si semblables à ces figures chatoyantes, qui accomplissaient leur lente révolution colorée à mesure qu’elles tournaient sur elles-mêmes. Surprise, elle s’était arrêtée ; un feu brûlait sur une plage et éclairait le corps d’une femme à la peau cuivrée.

Torse nu, lui avait-il semblé. Un animal au pelage sombre était assis à ses côtés, ses grands yeux mordorés luisant dans la nuit éthérée. Penchée sur lui, elle lui avait murmuré quelque chose à l’oreille, avant de pointer sa main en direction de l’obscurité ; la bête s’était élancée.

Indécise, elle avait tenté, en vain, de la dévisager, mais la séquence s’était effacée.

À quelques pas de là, l’homme s’était immobilisé, son regard luminescent dardé sur elle, ses lèvres étirées en un mince sourire ; entre ses bras, le fauve blessé avait redressé la tête.

Était-ce lui qu’elle avait aperçu, se précipitant selon les ordres de sa maîtresse ?

En son âme quelque chose se réveillait, quelque chose que sa présence avait ébranlé et tiré de son sommeil.

— Viens ! lui avait alors susurré l’étranger.

Elle avait marqué une hésitation, puis avait repris sa marche, les mains serrées autour de ce singulier pendentif qu’elle avait ramassé quelque temps plus tôt, dont la figure n’était pas sans lui rappeler le visage de cette femme au regard saturnien. Tourbillonnantes, les images se mélangeaient toujours, comme si quelque génie facétieux soufflait des mondes dans des bulles de savon, qui explosaient ou fusionnaient au gré de leur rencontre. Égayée par ces projections drôles ou grotesques, graves ou sinistres, elle en avait perdu toute notion de temps d’espace, quand soudain elle faillit heurter le dos du géant. De l’index, il avait pointé une tache jaune qui crevait le paysage psychédélique. Puis, d’un signe de la tête, l’avait enjointe à chausser ses lorgnons, tandis qu’il baissait le bandeau sur les yeux de son compagnon.

Acquiesçant, elle avait obscurci sa vision. Aveugle, elle avait alors glissé de nouveau sa main dans celle de l’étranger.

Rugueuse, calleuse, elle lui rappelait celle de sa mère quand elle tentait de la réchauffer, lorsque le bois venait à manquer.

Ferme, chaude, elle lui rappelait celle de son père quand il la guidait pour tailler le tenon et la mortaise.

Douce, tendre, elle lui rappelait une femme qui la tint jadis dans ses bras.

Ferme, sûre, elle lui rappelait ce double qui l’enlaça au cœur des ténèbres.

Elle avait repris sa marche. Derrière les verres, ses yeux s’accommodaient sans peine à ce soleil éblouissant qu’elle n’apercevait alors qu’au travers de la brume d’un hiver presque éternel, cet hiver voulu de certains, mais dont tous avaient et payaient encore le tribut. Soudain, une onde chaude, presque brûlante pour elle qui n’était qu’habituée qu’à la bise et à l’helm, caressa sa peau qui la picota subitement. La main portée à sa joue, elle avait découvert, quand elle l’avait ôtée, de minuscules points brillants au creux de sa paume. De la silice ainsi lui avait-il expliqué, cependant qu’ils avaient poursuivi leur marche dans la même matière.

Émerveillée, elle avait, de longs instants, contemplé le sable qui s’élevait à chacun de leur pas, les grains qui tressautaient comme leurs pieds heurtaient le sol sec, le ciel dégagé de toute poussière. Perché sur son épaule, l’oiseau s’était tout à coup envolé, puis s’était posé sur la branche d’un arbre desséché, d’où il paraissait, à présent, les attendre.


Texte publié par Diogene, 8 juin 2021 à 16h59
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