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tome 5, Chapitre 7 tome 5, Chapitre 7

Silencieuses, sentencieuses, imperturbables, les silhouettes poursuivaient leur inlassable et harassant ballet.

Devinaient-elles que par leur tâche, elles libéreraient l’ombre de la fin des temps ? Certaines nourrissaient des doutes, d’autres non, quand de rares rêvaient de folie et de grandeur. Parfois, leurs regards se croisaient ; instant éphémère, pendant lequel il croyait apercevoir au fond de leurs prunelles l’infinité des cieux. En réalité, ce n’était que les éclats d’une fièvre laborieuse. Aussitôt, leurs yeux se déliaient et il s’éloignait. Au loin, la guerre grondait et charriait, chaque jour qui passait, son lot de morts et de souffrances. Pendant ce temps, dans des camps, des humains devenaient des choses. Poussés dans leurs retranchements, des hommes, des femmes s’apprêtaient à libérer le feu de l’atome nourricier. Puis ils l’offriraient en holocauste à la mégamachine, qui les sauverait pour mieux les dévorer ensuite, alors même qu’ils appelaient, de leurs vœux, à la paix.

— Le chemin vers le passé est un temps infini, lui avait avoué son jumeau, à l’instant de franchir le seuil qui le séparerait du temps du Rêve

— Et chacun d’entre nous est un jalon, avait-il complété, comme la faille se refermait.

Maintenant seul, il clut ses paupières, emplissant des yeux du Rêve. Par delà les ténèbres, ils les voyaient qui cheminaient : l’une s’était enfermée dans un songe et, afin de protéger sa fille, en avait déchiré la chair et l’ombre, avant de les confier aux contes. Un autre avait, un jour, croisé les pas du premier des poètes et il en fut transfiguré à jamais. Lui, poursuivait sa marche dans le temps, épuisant les mondes, cependant qu’il rencontra la femme qui devait mettre un terme à tout. Enfin, il y avait lui, Shahar et son jumeau Shalim, Shalim qui, à présent qu’ils avaient échangé leur place, allait refermer la boucle, car le temps était un cercle, un cercle avec une infinité d’intersections.

Tous, il les avait retrouvés, chacun dans leur monde, chacun dans leur temps. Partout et nulle part à la fois, il était un, il était tous : une ombre dans un corridor puant l’urine et la crasse. Sur les murs, il était les mains anonymes qui avaient hurlé leurs colères, leurs souffrances, leurs espérances. De l’autre côté, il était ces hommes aux yeux sanglants, enfermés dans des carapaces, coupés de la vie et du dehors. Ailleurs, il était une créature dont les prunelles blanches avaient vu le néant, ou une fille dont la dernière vision serait celle du vermillon qui barbouillerait l’horizon. Il était eux, il était elles, eux, elles, dont l’âme pas encore tout à fait sèche les appelait, afin que du feu tout puisse renaître.

Agenouillé, il ramassa une poignée de ce sable phosphorescent qui baignait de son éclat la vallée entière. Debout, il écarta les doigts et regarda filer, entre ses phalanges, les grains de trinitite, si semblables à ces fragments incandescents, qui parsemaient sans le firmament luminescent. Un sourire mélancolique se dessina sur ses lèvres. Au creux de sa main, sa boussole lévitait toujours entre terre et ciel ; un univers en devenir. La tour ne serait bientôt plus qu’à quelque temps de lui.

Les hommes savants pensaient avoir dompté le feu. Mais le feu ne se dompte pas, ne se soumet pas, il s’apprivoise.

Le regard perdu dans la contemplation de l’horizon, il se laissa choir. D’avant en arrière, il entendait l’air sifflé à ses oreilles, cependant que son corps heurtait le sable fin, rebondissait. Il sentait les vibrations de l’onde de choc dans sa chair, distendant ses muscles et ses tendons, comprimant ses terminaisons nerveuses, le chaos dans sa boîte crânienne. Dans le ciel, les étoiles filaient, de plus en plus véloces, sous l’œil indifférent d’une lune indolente. Était-ce lui le temps qui accélérait ? Ou bien était-ce sa présence qui se rapprochait, étirant par là même les deux continuums ?

Car il en serait ainsi, indissociables, liés l’un à l’autre par un fil invisible, ils créeraient un nouveau pont, une nouvelle intersection, une nouvelle bifurcation dans la toile du temps.

Étendues, le regard tourné vers le ciel, les étoiles avaient disparu ; il n’était plus qu’ombres et ténèbres. Chacune à leurs manières, elles exprimaient leurs craintes, leurs joies, leurs peines, cependant que s’illuminaient dans leur poitrine, une flamme minuscule pareille à la sienne. Parmi elles, il en était une qui se détachait des autres, sans pour autant s’en distinguer. Était-ce son allure ? Son charisme ? Sa prestance ? Ou était-ce leur absence ?

Belle, douce, son visage avenant avait la pâleur de la lune. Perché sur son épaule, un oiseau le fixait de son œil noir, son bec luisant lui renvoyait les rayons d’une lune ardente. Soudain, il poussa un long cri plaintif et les ombres disparurent. Ne demeurait que lui, lui, la sombre créature, dont la prunelle obscure l’observait sans mot dire. Un mince sourire se dessinait sur ses lèvres parcheminées.

— Merci, murmura l’homme à l’adresse de son ombrageux compagnon.

Pour toute réponse, l’oiseau gonfla son ramage, puis se secoua un instant, cependant que de minuscules plumettes s’envolaient. Debout, il ramassa son sombrero couvert de sable et l’épousseta, avant de le poser sur son crâne. Le bras en avant, il invita l’animal à le rejoindre. Dans le lointain dansaient les échos enténébrés des temps futurs, présents et passés : un corbeau achevant un lézard figurant son repas, une femme s’emparant d’une assiette de gruau que lui tendait une silhouette au large chapeau, une jeune fille enlaçant un loup blessé, une autre devenue fauve, une cinquième dont les mains recueillaient les derniers espoirs d’un humain qui n’en était plus un. Enfin un homme au regard amer, dont les yeux avaient contemplé l’enfer, accompagné d’un être, qui en était revenu, accompagné d’une femme à qui il avait prêté serment..

Les yeux fermés, il prit une longue inspiration. Une saveur métallique se déposait sur ses muqueuses, comme de minuscules éclairs saturaient l’atmosphère. Le chemin était encore long vers le passé, long et pavé d’étranges attentions. Dans le ciel, une voix murmurait son nom : Trinity.


Texte publié par Diogene, 21 mai 2021 à 12h24
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