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tome 4, Chapitre 8 tome 4, Chapitre 8

Longuement, il avait tiré sur sa pipe, longuement elle l’avait observé, scrutée son cœur et son âme, tenter de comprendre cette attirance qu’elle éprouvait pour lui. Soudain, il avait cessé, puis s’était retourné, ses yeux mercuriels dardés sur elle.

— Je ne suis pas celui que tu cherches Akonandi, pas plus qu’il ne l’était.

Il avait craché un jet de fumée et, de l’index, avait dessiné le portrait d’un loup au regard trop humain.

— Je te sens qui dissèques mon âme, mon esprit ; si proche et si différent de lui, je suis. S’il est fils de l’humanité, alors moi, je suis fils de l’Homme.

Ses mots l’avaient-ils emplie d’effroi ? Se morigénait-elle, de ne pas avoir su le voir ? Ou bien, n’était-ce seulement que la surprise, de se voir ainsi prise en faute ?

Le vertige l’avait saisi, l’abîme s’était ouvert. Penchée au-dessus, le regard plongés dans ce gouffre sans fond qu’était l’ombre de sa mémoire, elle l’apercevait. Immense, les ailes déployées, les paupières closes, ses membres passés autour de sa poitrine. Soudain, il écartait les bras et s’envolait. Derrière lui, deux choses s’éveillaient : deux corbeaux, l’un avait les yeux aussi noir que les ténèbres, l’autre les avait aussi pâle que les étoiles.

— He puts a spell on you, like you put a spell on him, avait susurré le lycan dans le rêve.

Chicaneur, rieur, il était assis à côté d’elle, les jambes croisées, une coupe empli d’une liqueur ambré entre les doigts. Derrière ses verres fumés, ses prunelles scintillaient de mille feux. Pourtant, malgré sa sérénité, elle devinait les tremblements qui agitaient son corps. Inquiète, elle tendit une main vers lui, mais il la repoussa :

— Je ne suis qu’une image, un écho. Ce n’est pas moi qui ai besoin de toi.

D’un trait, il avala son cocktail, puis reposa son verre avant de se dissoudre dans les ténèbres.

— … elle, murmura sa voix dans l’éther.

La silhouette d’une jeune femme, habillée d’un chaperon, qui cheminait dans le désert, apparue. Penchée sur son compagnon, son regard plongeant dans l’obscurité incandescente de ses prunelles.

Un ange, un lycan, un marcheur.

Tous trois partageaient en eux le même cœur, la même noirceur.

Silencieux, un bras replié sur la poitrine, l’autre soutenant sa pipe, il tirait toujours dessus, relarguant de larges traits de fumées bleutées. Tout à coup, il la lui offrit. Portée à ses lèvres, une saveur claire et fraîche envahit aussitôt son être. Les yeux fermés, elle voyait les volutes s’enrouler, tandis qu’elle les façonnait.

Un ange, un lycan, un marcheur.

Des souvenirs ? Non, un devenir !

Amoureuse, elle l’était encore. Les yeux dans le vague, elle caressait du bout des doigts leurs silhouettes ainsi dessinées. Dans sa poitrine résonnait un bruit sourd, l’écho des tambours ; d’innombrables mains qui frappaient à l’unisson les peaux tendues. Elle se sentait prête, elle se savait prête. Éveillée du rêve, elle accomplirait le rituel. Elle se saisirait de l’ombre et de la chair puis les assemblerait, alors sa fille reviendrait.

— Es-tu prête, Akonandi ? l’avait interrogé le marcheur.

D’un hochement de tête, elle avait acquiescé. Qu’arriverait-il ensuite ? Un cataclysme ? Une chute ? Une renaissance ? Sans doute tout cela à la fois.

Un voile inquiet obombrait son visage, tandis qu’elle tirait une dernière fois sur la pipe en bois d’ouvrage. Dans le foyer, les herbes rougeoyèrent vivement, des étincelles s’échappèrent, un long jet de fumée jaillit d’entre ses lèvres.

Sereine, elle lui avait rendu son instrument. Dans le fourreau, les cendres, une à une, s’éteignaient et une fine poussière s’envolait. Sa main avait effleuré la sienne, mais rien ne s’était passé. Elle avait senti le contact rêche de sa peau contre la sienne ; une chair brute et burinée, comme les roches qui peuplaient ce désert. Derrière ses yeux de vif-argent, ses réflexions demeuraient des énigmes.

— Es-tu fils de l’Homme comme tu le dis ? Ou bien, es-tu fils de l’Humain comme tu le penses ? demanda-t-elle, tout à coup.

Agenouillé, il avait plongé sa senestre dans le sol et s’était emparé d’une poignée de sable, qui s’écoulait à présent d’entre ses doigts.

— N’as-tu point encore compris, Akonandi ? Et quelle importance cela peut-il revêtir ? susurra-t-il comme un vent violent sifflait à leurs oreilles, couvert par le rugissement des tam-tam qui résonnaient de toute part.

— Deux âmes souffrent, l’une a été guérie, point la seconde. Cette tempête n’est autre que le reflet des doutes qui hante ton cœur.

Il avait jeté un sort sur elle, comme elle avait jeté un sort sur lui ; un sortilège d’amour.

Soudain, leurs yeux se croisèrent et, à l’envers des verres mercuriels, elle aperçut une silhouette : une femme habillée d’écarlate qui passait un bras autour de sa taille, puis s’en fut une seconde, une jeune fille parée d’un chaperon rouge, la main posée sur la nuque d’un loup couché sur le flanc, enfin un ange aux ailes immenses.

Un ange, un lycan, un marcheur.

Tous l’avaient rencontré et tous avaient succombé.

— Fils de l’Homme, je marche dans le Temps Présent, dans la lumière. Fils de l’Humain, je marche dans le Temps du Rêve, dans les Ténèbres.

Autour d’eux, les vents perdaient de leur vigueur. Dans sa poitrine, une vieille douleur se réveillait, tandis que le bruit infernal des percussions s’amplifiait, l’assourdissait. Les mains nouées à hauteur de son cœur, elle s’était saisie du manche de la lame enfoncée dans son sein, celle-là même qui avait scellé ses pouvoirs. Hélas, ses forces avaient décliné et elle ne pouvait plus l’en retirer.

— You put a spell on me, soupira soudain une voix, comme d’autres se posait sur les siennes.

— Because you’re mine, murmura-t-elle en écho, sa dextre et sa senestre retirant, de concert, la lame prisonnière.

Projetée sur le sol, elle voyait son ombre grandir. Ses ailes se déployaient, pour mieux contenir le flot de magie qui se dégageait de son être, à mesure que le poignard s’éloignait de son cœur. Fermant les yeux, elle ne ressentait, cette fois, aucune souffrance, aucune douleur, rien qui ne lui inspirât terreur, seulement la tendresse de son amant à son égard.


Texte publié par Diogene, 14 mai 2021 à 12h48
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