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tome 4, Chapitre 7 tome 4, Chapitre 7

— She puts a spell on her, ronronnait le chœur.

— You put a spell on you, répétait l’homme en écho.

Sur la plage, les flammes s’élevaient de plus en plus hautes.

Auraient-elles incendié le ciel, si elle ne les avait arrêtées ? Peut-être.

Le regard vide, elle fixait la grève déserte. Ni le ressac des vagues qui s’échouaient ni le murmure du vent de terre ne la distrayait ; les yeux secs, elle tentait de contenir la colère et l’amertume qui la consumait. Chassant ses sentiments, elle arracha la lame encore plantée dans le sol et la tint face elle, pointé à hauteur de son cœur. Dans le secret de son reflet, elle apercevait sa figure, femme à la peau sombre et à la mine sévère. Le tranchant posé sur sa paume, elle poussa un long soupir, suivi d’un cri terrible. Un genou à terre, le bras tendu, le sabre passé dans son dos, du sang dégouttant sur le sable sec, la tête relevée, elle contemplait la faille qui béait devant elle. La vitae avait parlé, l’espace s’était fendu et un visage était apparu.

Silencieux, l’homme l’observait au travers de ses verres mercuriels, dans lesquels dansaient les luminescences des cieux. Assis sur un gros rocher, il tournait une cuillère en bois dans une marmite, dans laquelle mijotait un gruau épicé. Perché sur son épaule, l’oiseau la fixait, cependant qu’il s’ébrouait par instant. D’un geste de la main, il l’avait invité à prendre place, puis lui avait tendu une assiette et un gobelet d’étain.

Combien d’autres viendraient ?

Cela, elle le savait, car elle les avait vus au travers de ses rêves : il y aurait tout d’abord le faiseur ; un homme dont la magie créatrice éclairerait les ténèbres. Il serait accompagné du premier rêveur ; celui qui, le premier et le dernier, avait fait chavirer son cœur. Ensuite arriveraient deux sœurs, jumelles et si dissemblables à la fois. À la première elle avait confié une âme et envoyé un compagnon pour la protéger. À la seconde, elle avait octroyé un pouvoir dont elle ne devrait jamais faire usage. Puis il y aurait une femme, la femme qui ne devait pas exister, celle dont la vie reniée marquait l’achèvement de l’humanité, l’avènement de l’ahumanité, grimée en transhumanité. Enfin, sa fille, fille de sa chair et de l’humanité, fille d’une sorcière et d’une créature issue des ténèbres, celle par qui s’exprimerait la rage et la colère de tous ces humains meurtris et soumis, pour qui le silence et l’indifférence étaient la seule récompense.

Penchée sur son assiette, elle plongea dedans la cuillère en bois, puis souffla sur le mélange brûlant. Les fumées l’entouraient, s’enroulaient autour de sa figure. Certaines odeurs lui étaient familières, d’autres, pas. Par instants, elle relevait la tête et leurs regards se croisaient.

Était-il cet homme aux allures de fauves et aux yeux de velours qui alors susurrait à son oreille des mots d’or et d’amour ?

La présence de ce corbeau perché sur son épaule l’assurait que non, car il n’était pas de ce monde.

Troublée, elle se remémorait la douleur qui l’avait étreinte quand elle avait percé son sein, sa main refermée sur la garde, les dents serrées lorsqu’elle l’avait retirée, le sang qui avait jailli de la plaie, accompagné de sa magie. Répandue, elle en avait oint l’homoncule étendu, puis l’avait drapé de ses habits, sous l’œil attentif de sa fille.

— À quoi penses-tu, Akonandi ?

Il avait achevé son repas, offrant les reliefs à picorer à son compagnon. Le bras tendu vers le firmament, il reliait de l’index les étoiles entre elles, donnant naissance à des constellations inconnues encore. Douce, rugueuse, sa voix l’avait ramené depuis ses souvenirs jusqu’à lui.

Combien de temps s’était écoulé depuis qu’elle était entrée ? Combien de générations avaient vu le jour ? Combien de guerres, de révolutions, de rébellions ?

Soudain lasse, elle ramassa une poignée de sable et le laissa s’échapper entre ses doigts. Fuyants, les grains glissaient, roulaient entre ses phalanges. Parfois, ils se dispersaient ; c’était le vent. Bientôt, il n’en eut plus, seulement quelques-uns perdus au creux de sa paume humide ; elle souffla dessus.

À quoi penses-tu, Akonandi ?

Les mots tournoyaient en boucle. Ses pensées étaient à l’image de ces gouttes de silice, des choses qui coulaient entre les mailles de son esprit. Des souvenirs épars et fragmentés dont elle retrouvait peu à peu l’ordre et les pièces, à mesure que s’effaçait sa présence du rêve ; un rêve enchâssé dans le Rêve. À l’intérieur, il y avait des douleurs et des malheurs, des joies et des bonheurs, des moments de paix, des moments de querelles, tous ces temps, tous ces instants qui composaient cette chose insubstancielle et éthérée que l’on appelait memnos.

— Tant de choses, homme du Rêve.

Les mots s’étaient échappés de sa bouche, fugaces, volatiles, éphémères ; la seconde suivante, ils n’étaient plus. Les yeux tournés vers le ciel, elle contemplait les étoiles immobiles et innombrables. Qu’avaient-elles vu ? Qu’avaient-elles entendu ? Elle dont la vie s’étirait presque à l’infini pour les plus petites, même pour les plus grandes d’entre elles leur longévité demeurait incommensurable, en regard d’une vie humaine ; si proches et si lointaines à la fois, témoins muets de la fresque universelle. Eux qui n’étaient, en fait, que des grains de poussière, les voilà qui se croyaient en géants de l’univers. Le cœur serré, elle ne retenait plus les larmes de ses prunelles longtemps taries, longtemps meurtries.

— Et toi, homme du Rêve ? Où sont donc passées tes pensées ?

Était-ce un rire ? Était-ce un soupir ?

Dans la pénombre de son visage, elle vit ses lèvres s’étirer en l’ombre d’un sourire.

— Partout et nulle part à la fois, Sorcière. L’une chemine dans le temps, lorsque les autres évoluent dans le Rêve ; chacune à la recherche de nos songes.

Plongeant une main dans sa poche, il en sortit un immense fourreau, dont il bourra la cheminée d’herbes parfumées. Puis il se saisit, comme si de rien n’était, d’un brandon, dont il se servit pour allumer sa pipe. Lentement, il prit une longue inspiration, avant d’expulser par le nez un large jet de fumée bleutée ; ses yeux brillants dans l’obscurité.


Texte publié par Diogene, 12 mai 2021 à 22h00
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