Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 4, Chapitre 5 tome 4, Chapitre 5

Était-il beau ? Était-il laid ? Pouvait-elle seulement décrire l’inhumain, le surhumain, l’ahumain ?

Le temps dilaté, il lui semblait qu’un sortilège avait levé la cécité qui pesait sur elle, cependant que ses souvenirs lui revenaient, douloureux, tristes, nobles ; noble comme cet homme, cet homme au regard perçant. Sur la piste de danse, elle était seule, seule à se mouvoir, seule à voir, seule à entrevoir. Les autres ne bougeaient plus, semblables à des statues de cire, suspendue dans les airs, la boule à paillettes demeurait inerte, de même que les fins rayons de lumières qu’elle renvoyait. Du bout des doigts, elle se saisit de l’un d’entre eux, entre le pouce et l’index, et le tordit comme elle l’eut fait d’un simple fil, puis le brisa. Un son clair et métallique se répercuta dans la salle, cependant qu’il volait en un millier d’éclats.

Vêtu comme le serait n’importe quel voyageur de passage, quelque chose dans son regard démentait cet état.

Était-ce sa couleur, pour le moins inhabituel, ou bien encore sa profondeur ?

Un large chapeau de feutre, qui avait sans doute connu de meilleurs jours était posé sur sa tête, ombrageant toute la partie haute de son visage, sauf ses yeux.

Tristes ? Glacés ?

Elle n’aurait su dire. Il l’avait saluée, puis s’était éloigné. Voûté, alors même qu’il ne s’aidait d’une aucune canne, elle l’avait regardé disparaître derrière les fourrées.

Que reposait donc sur ses épaules pour qu’il eût ainsi l’allure d’un vieillard ?

Cependant que de son ombre s’était détaché une plume d’un noir de jais. Il avait jeté un sortilège sur elle et elle avait fait de même.

En avait-il seulement le droit, lui qui n’était pas de sa race ; lui, l’enfant du ciel né dans les ténèbres ? Et elle, avait-elle transgressé quelque interdit ; elle, l’enfant de la nature né dans la lumière ?

Car alors, grosse de cet émoi qui les avait réunis, elle avait vu le ciel davantage s’obscurcir et les lumières s’éteindre à mesure que les ombres pénétraient le cœur des êtres de ce monde. Et lorsqu’elle s’en était ouvert, il avait acquiescé. Il entrevoyait les futures par les failles suintantes du temps, de même qu’elle en percevait les murmures et les augures, visions d’un autre monde.

Dans la salle, désormais envahie de noir, elle les sentait qui l’enveloppaient, l’effleuraient tandis qu’une douce chaleur l’irradiait. Posée au creux de sa paume, l’une d’entre elles s’était égarée, mais s’était aussitôt volatilisée lorsqu’elle avait voulu s’en saisir. Soudain, le flot se rétracta et une silhouette se dessina, reflet de ses souvenirs errants. La main tendue, elle aurait désiré le toucher, le caresser, l’étreindre, mais elle savait que ce serait vain . Il était parti et de lui ne demeurait plus que ces visions, ces images tordues, perdues dans son esprit. Mélancolique, elle préféra se retirer et resta immobile à contempler le fleuve impétueux qui tournoyait, maintenant le linéament de sa personne.

— Est-ce à cela que ressemble mon père ?

Du foyer s’élevait un immense nuage de fumée condensé en un visage à la beauté inhumaine. Austère et dépouillé, son regard semblait se perdre dans la contemplation d’une chose qu’il aurait été seul à voir. La main tendue vers l’apparition, elle tentait d’en esquisser les contours flous, cependant qu’il se dérobait sans cesse à son désir. À côté d’elle, une femme, dont la peau cuivrée se colorait d’orage, acquiesça, cependant que couché, le museau presque collé contre les pierres chaudes, leur compagnon gémissait doucement. De mondes en continents, d’échappées en contrées, elle avait, de tout temps, marché, s’arrêtant selon son humeur ou bien sa volonté. Crainte ou bien vénérée, elle offrait toujours l’hospitalité, même dernier des vaunéants ou des forbans. Pourtant, il en était qu’elle craignait. Leur teint, comme leurs habits, serait de lumière et leur verbe serait façonné dans une langue morte et perverse. Ils montreraient des choses en les parant de merveilles pour mieux dissimuler leur misère, puis les échangeraient contre des corps vivants. La main plongée dans son corsage, elle en tira un collier où étaient passées deux billes cristallines : dans l’une était enchâssé un rubis, dans l’autre un saphir.

Les yeux dans le vague, elle fixait le tourbillon de plumes. Ce n’était plus la figure d’un homme dont les traits empruntaient à la perfection divine, mais une jeune fille au visage à la fois grave et paisible. En sa poitrine, son cœur manqua un battement, son souffle n’était plus qu’un murmure, son pouls un fil ténu, sa vision une ombre obscurcie.

— N’aies crainte, lui glissait une voix dans l’oreille, cependant qu’autour d’elle se répandait une odeur familière de musc et de sous-bois.

Debout sur la plage, elle fixait le corps seulement paré d’une étole ; autour était tracé un labyrinthe de symboles dont elle seule connaissait le sens. Auparavant, elle l’avait étreinte et elles avaient pleuré ensemble. Droite, elle fixait sa mère dans les yeux, cependant qu’elle avait planté sa lame ans le sable. Projetée sur le sol, son ombre s’était alors redressée et l’avait regardé :

— Je suis Ndjamulji, l’Antienne, avait-elle déclamé, avant de disparaître dans la nuée.

— Qui es-tu ? avait alors demandé sa mère en regardant la première.

— Je suis Gamayun, la porteuse d’âme, avait-elle rétorqué.

Silencieux, son compagnon s’était approché puis lui avait léché la main, avant de s’asseoir à son côté. Puis, peu à peu, ils s’étaient, à leur tour, fondus dans l’obscurité.

— D’aussi longtemps que vivent les histoires, alors son âme existera, poursuivit la voix.

— À trop habiter un costume qui n’est pas le sien, on finit par se fondre et ne devenir qu’un avec lui, objecta-t-elle.

Confondus dans le noir, deux yeux dissimulés des verres de vif-argent l’avaient scruté longuement avant de s’effacer.

Et lui, qu’était-il devenu ?

À cette question sans réponse, elle poussa un long soupir. Dans la salle, le temps reprenait peu à peu sa marche, les notes s’élevaient, graves, lugubres, les corps se déliaient, la lumière revenait. D’un regard empli de tristesse, elle balaya la salle, les hommes en noir n’étaient pas là ; elle se retourna.

Une porte était grande ouverte et, de l’autre côté, elle apercevait des flammes qui dansaient.


Texte publié par Diogene, 10 mai 2021 à 18h14
© tous droits réservés.
«
»
tome 4, Chapitre 5 tome 4, Chapitre 5
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2621 histoires publiées
1170 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Eli
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés