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tome 2, Chapitre 8 tome 2, Chapitre 8

Combien de temps avait-il dormi ? Mais que signifie, combien, dans un lieu où il coule s’il peut ? Longtemps lui avait-il semblé entendre au travers du voile. Gourd, il avait secoué la tête et entrouvert les paupières. Elle était toujours là, elle n’avait pas bougé.

À quoi pensait-elle ?

Elle lui avait d’abord souri, puis s’était levée. Quelque chose luisait dans son cœur, dans le sien aussi ; en fait, dans le leur à tous.

Qui étaient-ils ? Il l’ignorait. Debout, autour d’un feu, un homme filait, une femme piquait. Quand il ne filait pas, il nouait. Quand elle ne piquait pas, elle versait. À côté de lui, une silhouette se penchait sur sa personne, ses dents découvertes.

Était-ce un loup ? Était-ce un homme ? Un homme-loup, un lycan ?

Ses yeux brillaient d’or et d’argent. Dans sa main, il tenait un gobelet qu’il avait vidé d’un trait. Pendant ce temps, Shakti s’était dévêtue. Nue, sa peau cuivrée renvoyait dans les cieux les reflets des flammes.

Shakti.

Le regard tourné vers le firmament, elle contemplait cette chose blanche et gibbeuse qui éclaboussait la toile du ciel, que l’on avait nommé la Lune. Soudain, elle baissa la tête et s’avança vers les silhouettes qui la fixaient. Fait étrange, elle ne voyait rien de leurs figures, leurs traits gommés se fondaient en un masque de cire, lisse et imprécis. Pourtant, elle ne ressentait aucune peur, aucune terreur, seule la sérénité habitait son cœur. Autour d’elle, des voix murmuraient, bruissaient, soupiraient, gémissaient. Les paupières closes, elle sentait les souvenirs affluer, remonter à la surface de son esprit encore vierge : une plage, un feu, une femme, deux jeunes filles qui lui faisaient face.

Soudain, elles disparurent et à leur place, un homme était apparu. Demeuré quelque temps, il avait sculpté deux formes dans le sable, puis s’était éclipsé en s’élançant dans le noyau d’obscurité. Dans son sillage, deux oiseaux, au noir ramage, s’étaient envolés, l’un vers le levant, l’autre vers le couchant.

Ensuite ?

Ensuite, elle ne savait plus, elle se souvenait seulement de la chute et de la voix de ce jeune homme, dont elle avait saisi le tourment. Plus tard, elle avait ressenti une chose étrange quand elle avait découvert cette machine-homme. Du doigt, elle avait touché son âme, froide, desséchée et l’avait, malgré elle, à moins que ce ne fût de sa volonté, réanimée. Dans ses yeux, elle avait alors entrevu brûlée la dernière parcelle de son humanité, cependant qu’elle achevait de se consumer.

Était-ce de son fait ?

À cette pensée, elle avait frissonné, éprouvant un profond dégoût pour un acte qu’elle aurait qualifié de monstrueux. Mais non, il l’avait repoussée. Elle se rappelait sa lourde paume posée sur son épaule. Derrière le masque, elle avait deviné le sourire alors qu’il retournait sa lame contre lui ; il était libre.

Agenouillée, les mains plongées dans le foyer, elle en recueillit les flammes et les éleva ; elle entendait le hurlement glacé de l’humanité. Des larmes brouillaient sa vue, tandis que les visages qui l’entouraient s’éclairaient et que tous ses souvenirs rejaillissaient.

Elle était Shakti, fille d’un ange déchu et d’une sorcière, et il lui appartenait désormais de donner corps à toutes ces voix humaines étouffées et endeuillées. La destruction précédait toujours la reconstruction. Entre ses mains toutes ces choses mortes flamboieraient, entre ses doigts toutes ces âmes sèches se consumeraient.

Ce qu’il adviendrait après, elle l’ignorait et ne désirait pas le connaître. Seule l’humanité choisirait.

Sans doute y aurait-il des regrets. Sans doute, des choses belles demeuraient à jamais, des secrets éternels. Ou bien alors grandiraient-elles et deviendraient de nouveaux rêves. L’humain choisirait.

À l’horizon, le firmament, déjà, flamboyait et dans les yeux de l’Arpenteur se reflétait les flammes du premier incendie ; elle était prête.

1 microseconde, 107°K, 107°F, 107 °C

La réaction en chaîne s’achève, la matière se désintègre et incendie l’atmosphère.

Au creux de ses mains, le feu ; boule en suspensions au-dessus de ses paumes. Shahar sourit. Le temps est suspendu, le présent se fige, passé et futur n’existent plus. Une ombre l’enveloppe puis se dissout. Elle ne sera plus, elle sera autre. Du bout des doigts, elle caresse les ultimes ténèbres qui se désagrègent. L’homme n’est plus, l’humanité est. La figure tournée vers les étoiles, elle observe les nouveaux rêves qui s’allument, les anciens qui s’éteignent ; ses lèvres esquissent un sourire.

Sommes-nous des dieux ? Ou bien, seulement des messagers ?

Du regard, elle balaye l’assemblée : son père, sa mère, ses sœurs d’âme et de chair, le commencement, l’achèvement, le présent. Aux quatre points un jeune homme, dont le prénom lui évoque des choses de jadis : Txalers, un loup aux allures d’humain, à moins que ce ne fût un humain aux allures de loup : Lucifer et deux oiseaux : l’un reflète dans ses yeux la lumière, l’autre, les ténèbres.

Sont-ils des dieux ? Sommes-nous des dieux ?

Les mains ouvertes, elle embrasse les cieux. Au-dessus de sa tête, elle aperçoit la silhouette de Kwatee ; sa plume inscrit tous ces mots dont ils sont les porteurs.

Silencieux, il a vu, il a entendu. Les paumes levées, il se demande qui il est maintenant. En face de lui, le lycan ne dit rien, ses yeux sont pareils à des étoiles filantes. Changeant, tantôt homme tantôt loup, il demeure prisonnier un costume qu’il a gardé trop longtemps. À droite, à sa gauche, deux corbeaux qui s’envolent en direction du firmament. Tout paraît si soudainement étrange.

Est-ce son regard qui s'est métamorphosé ? Son âme ? Sa pensée ?

Il ne ressent plus la peur ni la terreur qui l’avait saisi, lorsqu’elle s’était avancée au cœur du brasier ; tout cela l’a quitté. Il lui semble, pendant un instant, apercevoir entre les flammes les visages de Joshua et de son frère Kenrou. Shakti s’est reculée. La main tendue elle l’invite.

Au loin, l’horizon flamboie, s’embrase : orange, sang, or, les couleurs du couchant. Orange, sang, or, les couleurs du levant. Orange, sang, or, les couleurs du néant, lorsque les Fleurs du mal traversaient le firmament.

Il a défait son pendentif, entre ses doigts, la balle glisse, dans le brasier la munition se consume. Joshua n’existe plus, Kenrou non plus, ou peut-être que si, puisqu’il est ici.

Son cœur se vide ; elle lui a pris la main. Son cœur se remplit ; elle l’a posée contre son sein.

Sa main dans la sienne, elle l’emmène avec elle. Sous leurs pieds, le sable se soulève.

Où iront-ils ?

Elle l’ignore et, sans doute, est-ce mieux ainsi.

Sur Terre l’Incendie.


Texte publié par Diogene, 28 avril 2021 à 19h25
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