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tome 2, Chapitre 5 tome 2, Chapitre 5

La balle était partie. Il avait entendu la détonation si caractéristique, comme le coup sec d’une baguette qui frapperait un mur en pierre.

Il l’avait sentie, une brûlure sur sa joue, la chair qui cuit, qui se faisait ensuite douleur. Puis s’en était venue la peur, cette peur qui le saisissait, la terreur qui agissait, l’adrénaline qui se déversait depuis les glandes surrénaliennes et saturait les récepteurs. Dans ses cellules musculaires, le glucose pénétrait alors en masse. Par ses yeux, il voyait la course du temps se ralentir, les images devenaient de noir et de blanc, les mouvements se décomposaient. Son esprit demeurait, c’était son corps qui s’élançait.

À ses oreilles, des ordres le percutaient, semblables à des vagues qui s’échoueraient sur la grève. Pendant ce temps, ses jambes le portaient, l’emportaient, alors même que le souffle lui manquait.

Combien d’étages ? Combien de mètres ? Combien de secondes avant de toucher le sol ?

La main sur la rampe, ses pieds l’avaient propulsé dans les airs. Son corps avait alors décrit l’ellipse parfaite. L’air avait sifflé à ses oreilles et des hommes avaient juré. À peine le sol bétonné effleuré, il s’était de nouveau élancé, sourd à toutes les douleurs qui l’accablaient. Dans le parc, les yeux rouges surgissaient de toute part, leurs mains refermées sur leur gueule noire.

Joshua ! voulut-il hurler.

Mais ce n’était pas Joshua qui se tenait là, Joshua était mort et il ne possédait plus, que pour seul souvenir de lui, que cette balle, cette balle qui l’avait fait passer de vie à trépas.

Non ! Ce n’était pas Joshua, mais un ange noir, dont les ailes gigantesques absorbaient même la lumière des ténèbres.

Pourtant, il en possédait les traits, le sourire même, à moins que ce ne fût un artifice pour lui faciliter le passage vers, ce qu’il appelait, le grand au-delà tapi derrière le voile noir qui couvre les étoiles.

Un trou béait dans sa poitrine, à l’endroit exact où l’avait transpercé la barre de métal, quand il avait heurté la rambarde.

— N’aies pas peur, semblait-il lui murmuré, les lèvres entrouvertes.

Un peu de cette chaleur, qu’une voix tapie au fond de son cœur appelait humaine, s’attardait sur sa chair. Stupéfait, le garçon le fixait, les larmes au bord des yeux, le poing serré.

Joshua avait-il entendu.

Joshua avait-elle répété et une image avait surgi des cieux.

C’était un garçon lui aussi, avec de longs cheveux raides qu’il attachait et dissimulait dans le col de sa combinaison. Ses yeux étaient étranges, l’un était vert, l’autre bleu, comme l’était cette mèche blanche qu’il cachait sans cesse. Mais ce n’était qu’une apparence, une coquille destinée à l’apaiser, tandis qu’elle sentait grandir en elle une flamme, une flamme qu’elle peinait à contenir tant elle devenait gigantesque. Des voix, une multitude, venues de tous lieux, de tout temps semblaient se presser en elle. Cacophonie, chacune appelait, chacune hurlait sa souffrance, sa douleur, son impuissance. Pourtant, elle savait qu’elle devait les contenir, les empêcher de la submerger. Certaines désiraient la vengeance, d’autres la tempérance, mais nulle ne voulait la clémence.

Le souffle court, il percevait les déclics si caractéristiques des percuteurs lorsqu’ils étaient armés, prêts à frapper le projectile qui serait ensuite propulsé. Bientôt les armes parleraient et les chiens aboieraient. Ce fut alors qu’il l’aperçut, minuscule tache argentée dans un recoin d’obscurité.

— Attends !

Joshua avait alors braqué une torche en direction du pignon, éclairant par là même une vieille trappe entrebâillée. Autrefois, les habitants avaient à leur disposition un service de lingerie et ils n’avaient qu’à déposer, dans ces larges conduites, leurs draps sales.

Élancé, il frappa du pied la porte d’accès à l’escalier des souterrains, tandis qu’il plongeait la tête la première dans les ténèbres, cependant qu’il entendait les échos des détonations.

Les balles filaient en sa direction, véloces, meurtrières, elle en distinguait la silhouette, la matière, les molécules d’air qui s’entrechoquaient et s’échauffaient tandis qu’elles fonçaient vers elle. Et il y avait lui, lui dont le regard sanglant illuminait les ténèbres.

Qui avait-il derrière ce masque ? Mortuaire ? Tutélaire ?

Pendant ce temps, les projectiles meurtriers poursuivaient leur course et, bientôt, ils la heurteraient de plein fouet. Déjà, elle sentait l’impact du métal dans son être, sa chair qui s’arrachait, leurs pointes qui ressortaient et emportaient avec elle un peu de sa matière. ¨Pourtant, aucune douleur, aucune sensation ne la troublait, elle épousait seulement la situation. La balle l’avait traversé comme si elle n’avait été qu’un rêve, un songe jaillit des ténèbres.

Au fond de sa poitrine, les clameurs avaient enflé, puis s’étaient condensées et des flammes avaient jailli de ses mains ; jaunes, rouge, orangées, bleutées, argentées. Tout d’abord minuscules, elles avaient grandi jusqu’à recouvrir entièrement ses paumes. Sans comprendre, elle les avait contemplées un long moment, comme la gueule noire vomissait toujours sa haine. Les balles la pénétraient, déchiquetaient son visage et sa silhouette, qui aussitôt se reconstituaient. Indifférente, elle n’était plus qu’à quelques mètres de l’instrument de mort. Avec une douceur presque effrayante, elle s’avança encore et apposa ses mains sur l’engin qui s’illumina et vola en éclats. Nullement effrayé, le soldat s’était saisi d’un couteau à large lame et le brandissait à présent devant son visage. Elle, la figure éclairée par la vive lumière, souriait, sa main tendue vers son poitrail de métal.

— Tu n’es pas un loup solitaire, seulement un chien de garde qui erre, car il y a longtemps que tu n’as plus de maître.

Non ! voulut-il hurler tandis que son regard croisait celui sanglant de la silhouette.

En face de lui, le soldat braquait son lourd fusil. Mais, il n’appuyait pas sur la détente, pas plus qu’il n’avait armé le chien. À la place, il avait ôté son casque et leurs yeux s’étaient rencontrés ; l’un était vert, l’autre bleu.

— File ! avait-il alors sifflé entre ses dents.

Les jambes endolories, il n’en avait pas moins obéi et avait disparu dans le dédale obscur, tandis que derrière lui, il percevait le cliquetis si caractéristique de la machine que l’on arme. Ensuite, il y avait eu la détonation mate, puis le bruit sourd de la balle qui pénétrait la chair.

Mais ce n’était pas lui qu’il visait ; c’était l’autre, l’autre qui se tenait derrière.


Texte publié par Diogene, 22 avril 2021 à 15h14
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