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tome 2, Chapitre 2 tome 2, Chapitre 2

Endurant, il l’était, il le savait. Aussi était-ce pour cette raison qu’on lui avait confié le rôle, ô combien ingrat, mais si essentiel, d’éclaireur et, dans ce labyrinthe qu’était l’entrelacs des rues et des coursives, il était un prince. Chaque lassis, chaque recoin, chaque pan d’obscur était pour lui une échappée, une dérobée, une faille pour se cacher et fuir, non la réalité ou l’obscurité, mais les yeux ; ces yeux qui les traquaient dans la nuit, deux taches écarlates enchâssées dans les ténèbres.

Il se souvenait encore de sa première sortie, sa première peur, sa première terreur ; Joshua avait eu moins de chance que lui. La balle – une balle non létale ; une balle de défense comme il était murmuré ; une balle de défonce – l’avait cueilli en plein dans le plexus et il n’avait jamais retrouvé son souffle. Il la portait toujours autour de son cou, comme un fétiche, à moins que ce ne fût un trompe-la-mort à défaut d’un porte-bonheur ; l’obus en caoutchouc. Le soleil embrasait alors l’horizon tandis qu’il guettait par la fenêtre d’un appartement délabré, l’instant où ils pourraient se retirer et emprunter la cage d’escalier. À l’abri derrière des rideaux miteux, ils observaient les massives silhouettes qui déambulaient en contrebas.

Engoncés dans d’épaisses carapaces, ils se déplaçaient d’une démarche tout à la fois souple et inquiétante. Chaque pas était pesé, chaque enjambée était mesurée. Harnaché à leur bras, gauche ou droit, un lourd bouclier les protégeait, tandis que leur tête était coiffée d’un casque épais, le visage dissimulé par un masque, d’où s’échappait un long tube en accordéon relié à leur armure, hérissée de picots à hauteur des épaules. Mais le plus impressionnant, le plus horrifiant sans doute, était leur regard, un regard vide et sanglant, que rien ne semblait devoir éprouver, que rien ne pouvait émousser, ni même émouvoir, lorsque leurs figures se tournaient vers le crépuscule renaissant.

Bordé d’un liseré orangé, le soleil descendait sur l’horizon, colorant le ciel de ces chaudes couleurs que l’on nommait rouge, feu, cramoisi, vermeil, rouille, ou encore pourpre, violine ou améthyste. Effrayés et tout à la fois fascinés, ils les voyaient qui achevaient leur maraude. Bien sûr, ils en viendraient d’autres. Mais le jour disparu, ils redevenaient, non pas les maîtres, cela ne se pouvait, mais des écumeurs sillonnant dans le soir les rumeurs de la nuit noire.

Le plus long encore était l’Attente : instant indéfini, moment spasmodique, où les gardes s’éclipsaient pour ne plus reparaître ; sorte de continuum où le temps cessait d’exister. Les yeux rivés sur le parc, alors baigné d’orange, ils fixaient leurs ombres qui s’étiraient sans jamais vouloir disparaître ; eux n’étaient plus que de minuscules points arrivés à hauteur des grilles fatiguées, soldats las d’une guerre qui ne disait pas son nom.

Joshua lui avait donné un coup de coude dans les côtés, pointant de l’index la porte dont ils devinaient les battements anarchiques. Sur le sol, les formes sombres n’étaient plus ; seuls les arbres nus dessinaient d’étranges arabesques sur le lit de poussière balayé par le vent. Il avait alors acquiescé, se reculant hors du champ de la fenêtre ; le cœur battant il écoutait le silence. Pendant ce temps Joshua avait déjà remonté la fermeture éclair de son blouson et, bientôt, on ne verrait plus de lui que son visage, sur lequel il enfilerait une cagoule volée au surplus de l’armée. Elle était taillée dans un tissu si noir, qu’il se confondrait alors les ténèbres les plus épaisses. Sans un mot, il lui en avait tendu une.

À la lueur de la torche, il avait failli hurler, alors qu’il découvrait l’abysse qu’était devenue sa main. Mais le toucher de la fibre l’avait rassuré et il avait souri, cela lui avait, sur le moment, paru magique. Dommage, il n’avait pas pu se procurer le reste de l’équipement. Intimidé, il l’avait contemplé un long moment, puis l’avait enfilée. Douce, elle épousait les contours de son visage, sans qu’il n’en ressentît la moindre gêne. Dans un coin de l’appartement, un miroir brisé était encore suspendu au mur, il s’en était approché et avait découvert, à l’intérieur, son reflet sans tête. Une main s’était alors posée sur son épaule ; dans la psyché, deux spectres évoluaient désormais, ils étaient prêts.

Légère, elle l’était, il s’en était rendu compte dès qu’il l’avait prise entre ses bras ; ses jambes refusant toujours de se mouvoir. Hélas, d’esquives en courses de fond, ses forces s’amenuisaient aussi endurant fût-il, et les pauses s’allongeaient. Elle devinait son épuisement et il la voyait qui se morigénait de la mauvaise volonté de ses membres rétifs. Plusieurs fois elle avait serré les poings, mais ces doigts se relâchaient aussitôt, comme un après un effort trop vain. Butée, elle fixait d’un air rageur son corps qu’elle semblait croire trop étriqué. Cependant, elle ne semblait plus gêner par la lumière, le crépuscule et la couverture nuageuse aidant, elle ne clignait plus des paupières avec frénésie ; les seules sources lumineuses n’étaient plus les halos fantomatiques et spasmodiques des quelques trop présents lampadaires encore en état de marche. Au cours de l’un de ses, devenus trop fréquents, arrêts, il avait tenté de lui demander son nom. Mais il avait, chaque fois, été dérouté par sa réaction, comme si la question avait quelque chose d’incongru, de déplacer, voire de grossier ; il avait renoncé. Peut-être que muette, ou pas, peut-être ne pouvait-elle que l’écrire et le lieu, comme le moment, n’était pas des plus propices.

Maintenant que l’entrée du nid n’était plus qu’à quelques pas de leur cachette, il savait qu’il ne devrait pas relâcher son attention. Assise à côté de lui, elle le dévisageait avec un air étonné.


Texte publié par Diogene, 22 avril 2021 à 15h12
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