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tome 6, Chapitre 1 tome 6, Chapitre 1

Rien ! rien ! Il n’y avait rien. Les yeux grands ouverts, elle scrutait la voûte en croisée d’ogives.

Agenouillé sur le prie-Dieu, ses coudes s’enfonçaient dans le dossier, dont le cuir craquelé laissait s’échappait des débris d’une mousse jaune et puante. Les mains encore jointes, elle baissa les yeux et soupira ; les pierres d’albâtre ne lui renvoyaient rien d’autres que les échos de sa respiration.

Pourquoi était-elle venue ici ? Pourquoi se recueillir ?

Elle qui n’avait jamais, auparavant, mis les pieds dans un lieu de culte, sinon lors de promenades ou de visites à caractères pédagogiques. Ses articulations lui faisaient mal et ses phalanges étaient devenues blanches. Le menton posé sur ses mains croisées, elle ferma alors les yeux, s’imprégnant du silence qui s’était depuis abattu sur les lieux.

Dans le chœur, assis derrière l’ambon, allongé sur le sol froid, la tête couchée entre ses pattes, il avait ouvert un œil doré, dans lequel dansaient d’exquises lueurs. Une odeur tout à la fois familière et étrangère flottait dans l’atmosphère, cependant que lui revenait en mémoire des souvenirs ombrageux et douloureux. Soudain, un froufroutement s’éleva de la nef, pareil au bruit des feuilles mortes qu’il foulait autrefois, avant que les forêts ne s’éteignissent. Dans sa poitrine, son cœur se serrait et la faim se faisait sentir.

Les mains encore plus douloureuses, elle s’était finalement relevée. Un genou toujours posé sur le prie-Dieu, elle croyait avoir entendu le son d’une autre respiration. Le souffle coupé, elle demeurait les sens aux aguets, prête à se défendre, ou à prendre la fuite de cas échéant. Elle était arrivée au crépuscule naissant. À présent l’obscurité envahissait peu à peu les lieux, teintant d’ombre et d’argent les vitraux, chargés d’histoire et de couleurs. Debout au milieu de la nef délabrée, elle scrutait le chœur, toujours fermé par les hautes grilles. À sa gauche, le prie-Dieu était renversé et éventré, quant à la chaire suspendue à la colonne, il n’en demeurait plus que les armatures fichées dans la pierre calcaire ; le reste gisait sur le sol en marbre à demi calciné.

Sans un bruit, il s’était redressé. Un instant, il s’était raidi lorsqu’il avait senti son coussinet raclé le sol lisse, mais la présence ne l’avait pas remarqué et il en avait été soulagé. La forêt était là, telle qu’elle avait toujours été dans ses souvenirs, avec ses arbres immenses, dont la cime se perdait dans des hauteurs vertigineuses et ce petit ruisseau, dont le chant troublait à merveille l’atmosphère si paisible des lieux. Parfois, il se dissimulait dans un fourré et attendait ; il attendait et observait les bêtes sauvages qui, comme lui, venaient s’y abreuver. Fauve, il ne les attaquait jamais, pas mêmes les vieux ou les faibles. Solitaire, il errait à la recherche d’un être qui hantait ses nuits et ses rêves, délaissant proies et compagnes ou compagnons. Des yeux, il scrutait l’obscurité épaisse ; la nuit était pour lui comme une seconde maîtresse. Maladroite, il devinait la forme qui évoluait à tâtons dans le noir, aidée seulement par les taches lumineuses qui traversaient les panneaux colorés.

Les mains recroquevillées à hauteur de son cœur, elle poussa un long soupir. Avec précaution, elle enjambait les débris noircis, le mobilier brisé, en direction de chœur si mystérieux, toujours enfermé dans son cocon de métal.

Qu’était-elle venue chercher en ce lieu abandonné ?

Encore une fois, elle s’interrogeait.

Pendant ce temps, le froid avait peu à peu établi ses quartiers et elle frissonna. Gelée, elle referma sur sa poitrine sa pelisse, avant de rabattre son chaperon en feutrine. Élimé, il lui laissait chaque fois sur les doigts de minuscules peluches écarlates. Elle fixa sa paume un instant, puis la frotta contre l’autre, tandis que les fins débris s’envolaient, pris dans les tourments des courants d’air. La main entrouverte, elle contemplait les dernières soies, demeurées accrochées, puis souffla dessus ; une haleine chaude et blanche s’exhala de sa bouche. Devant elle, s’élevaient, majestueuses, les ouvrages métalliques du jubé, gardiens silencieux d’une résidence liturgique, désormais sans vie. Timide, elle s’approcha des hautes colonnes de pierres, le bras tendu.

La forme caressait à présent les épaisses colonnes. Son visage était dissimulé sous une large capuche de laine, il n’en devinait ni les traits ni l’aspect. Cependant, quelque chose en elle éveillait les souvenirs lointains d’une vie qui ne semblait plus lui appartenir. Assis sur le marbre gelé, il huma l’air, capturant les molécules si particulières de cette créature qui évoluait dans la pénombre. Odeur de cendres et de sous-bois, lui revenait en mémoire le goût des baies lorsque l’automne s’en venait, de la chair quand le printemps renaissait ; il s’étira, poussant du plus loin qu’il le pût ses pattes sur le sol glacé et glissant. En ses entrailles, la faim le tenaillait, pourtant il étouffa sa voix ; encore une fois, quelque chose retenait sa nature première, malgré la douleur que cela lui infligeait. Retenant son souffle, il suivait du regard la silhouette qui cheminait dans le déambulatoire ; ses yeux dorés brillaient de mille feux. En lui, deux âmes s’affrontaient, l’une désirait la dévorer, quand l’autre voulait l’aimer ; il hurla.

Figée par le cri qui lui avait déchiré les tympans et qui, à présent, résonnait dans l’édifice silencieux, elle sentit son sang se glacer dans ses veines, tandis que ses mains se recroquevillaient sur sa poitrine, enserrant un vieux pendentif qu’elle avait trouvé en chemin. Gravé sur une pierre d’agate, un portrait y était sculpté ; une femme, à moins que ce ne fût un homme. Il était si abîmé qu’il lui était impossible d’en deviner les traits, elle devinait seulement une figure penchée sur le côté, sculptée de trois quarts. Suspendu autour d’un trépied couvert d’une couche de cire plus épaisse qu’une coudée, elle s’en était saisie. Placée au creux de ses paumes, elle avait, à force de patience, ôté toute la substance blanche qui s’y était incrustée et elle avait découvert l’étrange portrait. Cependant qu’agenouillée et recueillie sur le prie-Dieu, elle n’avait rien ressenti, en cet instant, les doigts serrés autour de la figure minérale, il lui semblait qu’elle la rassurait, alors qu’une forme indistincte, ornée de prunelles aux éclats mordorés, évoluait dans le chœur, à hauteur de la crédence.


Texte publié par Diogene, 22 avril 2021 à 15h04
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