« Salut Pois ! Comment vas ?

- Avec toutes ces disparitions qu’il y a d’un peu partout en ce moment et puis cette vague soudaine de froid, c’est pas la grande forme. J’suis pas dans ma barquette. J’ai envie de me casser ! T’en est ?

- J’vois bien que t’es vert ces derniers temps, et en soi c’est pas une mauvaise chose d’avoir des couleurs. Synthèse, photosynthèse, c’est cool la vie ! Mais tu veux qu’on aille où ? Faudrait déjà qu’on ai un plan d’évasion… J’suis pas trop fan de partir comme ça, moi !

- T'inquiètes, Blette ! J’ai ma petite idée derrière le bulbe. T’as vu le Frisé c’soir ? J’l’ai appelé, il m’a pas répondu !

- Ben il doit pas végéter bien loin. Il t’aura juste pas entendu. J’le trouve de plus en plus dur de la feuille, celui-là. Je sais pas si c’est à cause de la fumette... Il arrête pas d'enchaîner les bédos à l'eucalyptus. Sinon faudrait l’attendrir un peu, lui redonner du croquant. P’t’être qu’un bon essorage sous le robinet… »

Un courant d’air glacial fit frissonner les feuilles de Blette. Elle poursuivit en grelottant, une goutte de rosée au nez.

« Fait trop froid, ici, on s’congèle ! Ca va mal finir ! J’ai horreur des adieux lors des mises en sachets.

- Pas mieux. Bon tant pis pour le plan ! J’commence pas les discussions sans le Frisé, sinon il va encore nous en faire toute une salade ! Et puis, faut réunir les pot’s, les fruit’s et peut-être ceux des produits laitiers. Eux aussi, si on les mets pas au jus, ils vont nous en faire tout un fromage !

- Moi j’veux bien sonner le rassemblement. Parce que là, comme d’hab, dès le soir venu tout le monde s’est dispersé dans les rayons… On va passer de journée d’inventaire à soirée d’anarchie. Après le comptage, faut que tout le monde décompresse, j’crois bien !

- Car’ tu sais où il est ? Ca fait trois jours qu’il était planté dans son coin à pas bouger, et quand on a besoin de lui, faut qu’il se décide à rouler quelque part.

- J’sais pas trop, j’crois qu’il faisait une fixette sur retour à la nature et chantilly. Il doit être parti se ressourcer côté forêts noires.

- Ouais... ben moi la pâtisserie, c’est pas trop ma tête de gondole. Faut toujours qu’elles s’affichent bien en vue, et cerise sur le gâteau, qu’elles essayent de se jeter dans le caddie du moindre chaland, celles-là.

- Ça sent le retour en caisse tout ça !

- Au pire voilà Rave. Elle sait peut-être où il est. Je vais te la cuisiner, elle va vite passer à table ! Y a pas un saladier quelque part ?

- Qu’est-ce que vous mijoter les gars ? Restez pas là où vous allez vous faire assaisonner sévère par le gardien !

- Quoi ? Le poivron a fini de cuver son whisky et il viendrait nous chercher des pucerons entre les tiges ?

- C’est le pire des soupes au lait, celui-là, je le supporte pas ! Limite indigeste ! Toujours la fleur en bataille, il soigne jamais ses entrées ! Pour une mise en bouche, il repassera ! Et d’un mauvais goût, il sait pas modérer ses aigreurs !

- Il faudrait qu’il apprenne un peu à mâcher ses mots et à mettre de l’eau dans son bouillon. Quand il est trop imbibé, il sait pas se tenir. A la moindre contrariété, il passe vite du vert au jaune ou au violet, on dirait le feu tricolore du parking un jour de destokage !

- Clair ! J'espère qu’il est pas de ronde ce soir, et qu’on va pas se le farcir entre deux allées

- Tiens v’la Ban’ ! Toujours aussi élancée, dis-moi ! Ça fart ?

- Dites y' a que moi qui me les pèles ? Ils ont fait quoi avec le thermostat ? J’ai l’impression d’être au congèle. Je veux pas finir en sorbet !

- Parle pas de malheur, on serait tous bien chocolats et toi plutôt split

- Ça me rappelle une chanson vintage, ça, vous voulez que je vous la chante ? proposa Blette, déjà prête pour le récital.

- Non merci ! répondirent les autres en cœur, une pointe de crainte dans les voix.

- Mais qu’est-ce qu’elle fait déjà en robe de chambre, Patate à cette heure-ci ?

- Va pas nous la jeter dans l’huile, elle va se vexer ! J’ai jamais été trop sûr de ses goûts vestimentaires. Je crois juste que c’est un peignoir… moche…, ou alors le morceau d’une serpillère usagée...

- Ah pas faux… Non mais elle sait pas s’habiller, elle ressemble toujours à un sac. Hey Pat’ approche ! T’sais que Marie est pas encore ouverte, là ? Tu devras attendre un peu avant d’espérer aller aux bains ! Tu dois avoir un gros problème de minuteur.

- Ah dommage ! J’comptais en profiter pour me la couler douce et un peu éplucher mes comptes au tiède… Elle te plait pas ma polaire ? Eh ben tant pis ! Il fait un froid de canard ces temps-ci, paix à leurs âmes en promo au rayon boucherie, et le moindre coup de gèle ça me fait gâter le tubercule ! Alors, quitte à faire un four et éviter de finir en frites ou en germes, j’ai préféré prendre mes précautions, ne t’en déplaise.

- Oh ! Fais pas ta diva, la Rosalie Hollandaise, on est tous dans le même panier garnis, hein ! Alors faut se serrer en rangs d’oignons au maximum et faire front commun !

- Si tu savais comme j’en avais rien à beurrer de tes critiques !

- C’est juste du racisme. C’est pas parce qu’on ne possède pas les mêmes racines qu’il faudrait en oublier que nos cultures sont en fait identiques, hein, Ban’ !

- Allez hop tous dans le même pot ! Pas de distinctions fard-feuillues pour nous voiler la face.

- Moi, quand je sens que j’ai une poussée de rejets, j’utilise une lotion contre les points noirs, cru bon de préciser Rave, dans son monde.

- Et ça marche ?

- Pas vraiment ! Par contre c’est un excellent répulsif. On te tâte et on te rejette vite fait à l’étale. Trois fois que j’ai repoussé le grand départ rien que la semaine dernière.

- J’ai jamais compris pourquoi certains voulaient partir. Au-delà des grandes portes, le monde paraît si hostile quand tu tombes entre les mains de tous ces humains. Ici notre avenir n’est pas plus radieux : finir emporté ou trop fripé pour plaire. Cruel dilemme pour une betterave ! Je veux retrouver la terre natale et continuer d’y prospérer

- C’est profond ce que tu dis là ! J’ai ressenti comme un pincement au coeur

- Oh ! Arrête un peu de te moquer de mon côté fleur bleue

- Ben quoi ? J’ai un cousin éloigné qui est artichaut, donc normal que dans la famille on ressente des choses...

- Au lieu de dire des bêtises, j’suis d’avis de pas moisir ici. On bouge avant de prendre racine ? Faut trouver les autres

- Ouais, bonne idée ! J’ai un plan dont la graine ne demande qu’à s’épanouir et j’ai besoin de l’avis de tous pour le mener à bien

- Toi aussi tu rejettes ?

- Euh non, pourquoi tu dis ça ?

- Tu parles de graines... De plan... Je pensais que tu étais en germes

- Mais non ! C’est une expression ! Tout ça pour dire qu’une idée avait germée dans mon esprit

- Ah ben tu vois que tu es en germes !

- Oh laisse tomber !

- Raconte quand même ce que t’as prévu, Pois, avant qu’on arrive aux autres

- Ben il s’agit de quitter cet enfer gelé, de rejoindre nos Terres Natales. Et puis se repiquer dedans ni vu ni connu. Bon après ça, surtout il ne faut pas se faire choper à la récolte de l’année suivante, sinon c’est retour à la case départ. Le détail a son importance, et on l’étudiera à loisir quand on sera sorti.

- Il est bizarre ton plan, non ?

- Ben pourquoi ?

- Pour nous autres les pot’s je dis pas. Mais, pour les fruit’s y a pas un pépin ? Et alors pour les laitiers, là, je vois pas trop ce que ça peut donner des semailles de fromages. Ça s'enterre profond ça ? J’y connais pas grand chose en laitier… J’me souviens pas avoir vu des arbres à camembert en tout cas... Bien qu’on m'ait déjà rapporté une sombre histoire de querelle entre un corbeau et une autre bestiole de la forêt. C’était avant la distribution de plombs gratos d’une ouverture de chasse, j’crois bien.

- Est-ce que les laitiers, ils pousseraient pas comme par magie sous le sabot des vaches, plutôt ?

- Oh ! Hey ! Moi je suis juste un petit pois, j’ai pas encore bien eu le temps de penser tout le truc ! C’est pour ça que j’ai besoin de...

- Hey les gars ! Zieutez l’attroupement aux surgelés ! Il se passe quoi là-bas ? »