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tome 1, Chapitre 8 « Chapitre 8 » tome 1, Chapitre 8

Les mois passèrent, les visites s’espacèrent. En même temps, je comprenais que les gens n’aient pas envie de venir. Après tout, ma mère ne faisait que rabâcher combien elle souffrait et était malheureuse. Elle se voulait l’héroïne d’une pièce tragique qu’elle jouait tous les jours sans connaître le succès.

Quant à moi, je me retrouvais prisonnière entre ces quatre murs en permanence. Ma seule sortie était pour me rendre à l’épicerie. Autant dire que personne ne me voyait plus et qu’inversement, je ne voyais plus personne. Les autres filles de notre ville continuaient leur vie sans penser à moi. Pour tout dire, même moi, j’oubliais de penser à ma propre personne.

Une nuit alors que je sentais le sommeil me prendre, le grincement de la porte de ma chambre me fit ouvrir les yeux. Une silhouette grande vint se glisser dans mon lit, paralysée par la peur, je fus incapable de crier.

– Albina…

Lorsque je reconnus la voix de mon père, je me détendis. Ce n’était pas un bandit ou autre inconnu. Rien de grave n’était donc arrivé à ma famille. Si bien sûr j’exceptais la mort de Marck…

– Est-ce que tu dors ?

Comment cela aurait-il pu être le cas alors qu’il venait de me réveiller ? La situation était tellement inattendue que je ne savais quoi faire. Mon envie première était de faire croire que le sommeil me tenait encore. Ce qui ne ferait pas avancer le problème.

– Non…

Ma voix n’était qu’un murmure dans cette pièce qui me paraissait brusquement vide et froide. La main de mon père se posa sur mes cheveux nattés pour la nuit. Son souffle chaud venait glisser sur ma joue.

– Je suis très triste en ce moment…

C’était aussi mon cas, sauf que cela était en partie dû au comportement de mes parents.

Son corps se rapprocha du mien pour m’enlacer.

– Je me sens seul… Toi, tu es gentille… Tu aimes ton papa, n’est-ce pas ?

Que répondre à cette question dirigée ? Je ne pouvais lui dire la vérité : que je lui en voulais profondément de cette situation. Malgré tout, je ne parvenais pas à le détester puisqu’il était mon père. Je gardais en moi l’espoir que les choses changent, que nous puissions redevenir une famille unie. Mon idéalisme était grand. Sans doute parce que j’étais encore une enfant.

De toute façon, avant que je ne puisse dire le moindre mot, j’avais senti ses lèvres se poser dans mon cou. Je frissonnais devant ce baiser inattendu. Quelque chose me déplaisait. La situation me mettait mal à l’aise et j’avais envie de sortir de mon lit. Pourtant, c’était mon père. Je n’aurais pas dû me être gênée.

– J’ai fait de gros efforts. Comme tu me l’avais demandé, j’ai arrêté de boire. Tu es gentille. Tous les soirs, tu me fais un café comme tu l’avais promis.

Son corps se colla contre le mien alors que je continuais à lui tourner le dos.

– Cela n’a pas été simple, tu sais…

Sans doute avait-il envie de parler ? Peut-être se sentait-il seul depuis la mort de Marck ? Avant, ils passaient du temps ensemble à discuter des différents cas ou maladies qu’ils rencontraient.

– Je suis très fière de vous, papa, lui murmurais-je.

Comme un signal, sa main se glissa sous la couverture pour se poser sur mon ventre. Il m’enlaça. Je sentais la chaleur de son torse sur mon dos. Mais j’étais tendue et un mal-être m’habiter sans que je n’en comprenne la raison.

– J’ai… J’avais besoin de ça… Besoin qu’on prenne soin de moi… Ta mère en ce moment… Tu sais que c’est très difficile à gérer… Peut-être qu’on pourrait se réconforter tous les deux…

Mes yeux se fermèrent. Ma peine reprenait le dessus. Je me sentais très seule. Les baisers que mon père déposait sur ma nuque ne m’aidaient guère, pas plus que ses bras qui m’enlaçaient. Cependant, je ne dis rien. J’en vins même à savourer la chaleur de son corps contre le sien qui m’empêchait de frissonner. Détendue, je crus que je pourrais m’endormir dans cette position. Pour une fois, je me sentais soutenue. Demeurait pourtant ce malaise, cette sensation d’anormalité qui occupait mon esprit.

– Je suis là, me chuchota-t-il au creux de l’oreille. Toi et moi… Est-ce que tu veux bien me réconforter ? Je prendrais soin de toi, n’aie crainte.

En vérité, je crois que je ne souhaitais rien. J’étais fatiguée, j’étais malheureuse et Marck me manquait. Répliquer que ce n’était pas le moment et que l’on verrait ensemble le lendemain me paraissait difficile, plus encore parce qu’une partie de moi aimait mon père. Celui qui m’offrait des livres lorsqu’il revenait de la ville voisine, celui qui me complimentait pour mes cahiers soignés et m’expliquait les mots difficiles que je ne connaissais pas.

Sans que je ne sache comment nous en étions arrivés là, je sentis ses doigts glissaient sur mon épaule. Petit à petit, ils descendirent au creux de mon décolleté. Ses gestes, je ne les comprenais pas. Toutes mes pensées me soufflaient cela n’aurait pas dû être à mon père de me toucher ainsi. Malgré tout, je me sentis frissonner sous ses caresses.

– Tu as grandi et tu es devenue une belle jeune fille !

Je ne l’imaginais pas. Vu le peu de temps dont je disposais, je n’y pensais pas. Même si je gardais au fond de moi, le rêve de pouvoir me marier puis fonder une famille. Cela me permettrait de quitter cette maison, de tirer un trait sur cette ambiance néfaste.

Mes paupières se fermèrent à nouveau, mon corps se figea. Je laissais les mains de mon père descendre le long de mes côtes. Celui-ci se contracta face à cette caresse inconnue. Les sensations qu’il provoquait en moi me mettaient dans l’embarras. Ses lèvres vinrent se poser sur les miennes. Avec force, je plissais les yeux pour qu’ils restent fermés. À aucun moment, je ne bougeais. Même lorsqu’il remonta ma chemise de nuit sur mon ventre. Ou que ses doigts se glissèrent le long de mes cuisses.

Un froissement d’étoffe m’apprit qu’il retirait ses vêtements. Son corps massif vint se positionner au-dessus du mien. Sa bouche toujours contre la mienne. Sa moustache piquait le coin de mes lèvres. Face à cette avalanche d’émotions contradictoires, mon esprit se voilait. J’ignorais où j’étais et ce qui se passait. D’ailleurs, je le laissais faire ce qu’il voulait.

De cette première fois, je n’aurais su dire si cela avait été plaisant ou déplaisant. Sans doute, un mélange des deux. Contrairement à l’idée que l’on pourrait se faire, mon père s’était montré doux dans ses gestes. Ce qui ne faisait que brouiller mes repères. Bien que j’aie quelque peu souffert au moment où il était entré en moi, la sensation avait fini par disparaître remplacer par une autre que je ne parvenais pas à identifier.

Lorsqu’il eut terminé, il se laissa tomber à mon côté. Là non plus, je ne bougeais pas. Je ne prenais même pas la peine de rabattre le tissu sur mes jambes nues. Ce fut lui qui me recouvrir avec délicatesse, comme s’il craignait que je prenne froid. Longtemps, je restais immobile, les yeux, à présent, grands ouverts. Seul le souffle régulier de mon parent me rappelait que ce que je venais de vivre était la vérité. Le sommeil finit par me gagner.

Le lendemain, je n’en parlais pas parce que je ne voyais pas quoi dire. J’étais perdue en moi-même. Alors je repris ma vie là où je l’avais laissé. J’effectuais mes gestes de manière machinale. Pour peu, j’aurais pu me convaincre que tout ceci n’était qu’un songe.

Seulement, les choses ne s’arrêtèrent pas. D’autres nuits, mon père vint s’installer dans mon lit. Je ne disais rien. Le jour, je me contentais d’éviter son regard. Tout se déroulait comme dans un rêve. Perdu dans mes tâches quotidiennes, je n’avais plus la notion du temps. Mon goût de la vie s’étiolait. Mon appétit avait disparu. Mon corps maigrissait. Personne n’en eut conscience, puisque personne ne s’intéressait à moi.

Les jours passaient et la fatigue se faisait de plus en plus présente. Sans me plaindre, je luttais contre. Ma mère avait replongé dans l’une des phases où elle ne désirait plus quitter son lit. Sans doute parce que plus personne ne venait à la maison et que mon père n’entrait plus dans cette pièce.

Le plus étrange était que mes robes me serraient au niveau du ventre alors même que je prenais conscience que mes bras étaient devenus plus minces. Cependant, mon esprit éprouvait par cette vie, ne cherchait pas à comprendre le pourquoi de ce problème.

Un jour alors que je me rendais à l’épicerie, je m’aperçus que les gens chuchotaient sur mon passage. Je n’y prêtais guère attention puisque je les imaginais parlés de mon air triste ou de mon visage fatigué. Comme à mon habitude, je récupérais les denrées dont j’avais besoin avant de repartir.

Rapidement, j’oubliais ce qui venait de se passer pour me consacrer à la préparation du repas. Dans le même temps, je devais rejoindre ma mère à l’étage pour satisfaire ses demandes. Celles-ci avaient d’ailleurs une fâcheuse manie de coïncider avec les moments où je cuisinais. De sorte qu’il m’était arrivé plusieurs fois de faire brûler la nourriture, chose qui m’avait valu les remontrances de mon père. Depuis j’avais compris que ma mère était devenue mon ennemie. Savait-elle que son mari venait se perdre dans mon lit ou avait-elle besoin de quelqu’un sur qui passer sa hargne ? Je l’ignorais.

La porte d’entrée s’ouvrit, signe que mon père était de retour. Je me devais de l’accueillir avec le sourire. Une chose que je prenais soin de faire chaque jour.

– Bonsoir, papa !

Sans me répondre, il entra en trombe dans la cuisine. Son empressement me surprit. Cela faisait longtemps que je ne lui avais plus connu une telle énergie. Sa main se saisit de mon poignet et il m’attira dans sa direction. Effrayée par sa précipitation, je tentais de reculer sans succès. Ses yeux me détaillèrent de bas en haut. Dans un geste d’énervement, il tira sur mon tablier.

– Retire-moi ça !

Je n’osais le braver et lui obéit sans comprendre ce qu’il attendait vraiment de moi. À peine fis-je ce geste qu’une claque résonna dans la pièce. La joue en feu, je peinais à savoir quelle était la raison de cette punition. Les larmes me montèrent aux yeux. L’injustice me serrait le cœur. En cet instant, je crois que j’aurais aimé disparaître totalement.

– Pourquoi as-tu fait ça ?

Le sens de ces paroles demeurait un mystère pour moi.

– Est-ce que ça t’amuse ?

À nouveau, je restais muette puisque je ne comprenais pas de quoi il parlait.

– Pourquoi ne m’en as-tu pas parlé avant ? On aurait pu faire quelque chose ! Maintenant que tout le monde le sait, c’est beaucoup trop tard !

Comme je ne disais mot, mon père m’attrapa par les épaules pour me secouer.

– Réponds !

Les larmes qui dégoulinaient sur mes joues ne l’arrêtaient pas dans ses gestes, pas plus que mon air perdu.

– J’ignore de quoi vous parlez…

Ses paroles, je finis par les lâcher avec l’espoir qu’il cesse de hurler. Sinon, ma mère l’entendrait et me ferait sûrement payer le fait d’avoir brisé sa tranquillité.

– Tu ne sais pas de quoi je parle ? Tu te fiches de moi, j’espère !

Sa main vint se poser sur mon ventre.

– Tu vas me dire que tu ne vois pas le problème ?

Comment lui expliquer que c’était le cas ?

Face à mon silence, il reprit.

– Peste ! Tu vas me faire croire que tu ne savais pas pour ta grossesse !

Ses mots résonnèrent dans mon esprit. J’avais du mal à les comprendre. Comment cela pouvait-il être possible ? Plusieurs sensations m’envahirent : la peur de cet état nouveau que je ne connaissais pas, l’incompréhension et la tristesse. La première question qui me traversa l’esprit fut de me demander ce que j’avais pu faire pour attendre un enfant. Mais le souvenir des nuits où mon père me rendait visite me revint en mémoire. Ce devait être ça. Pourtant puisqu’il était mon père comment pourrait-il être aussi celui du bébé ? J’étais si naïve à l’époque. Pleine de rêves et de bonnes intentions, je n’avais pas compris que cela importait peu tant que l’homme et la femme étaient en âge de se reproduire. Nous n’étions pas différents des animaux, malgré ce que nous pensions.

Le souvenir des chuchotements sur mon passage me glaça d’effroi. Tout le monde savait. J’étais la seule ignorante dans cette ville. Mes jambes se mirent à trembler en comprenant tout ce que cette nouvelle impliquait.

Ainsi, il me serait sûrement impossible de me marier. Quel homme voudrait d’une épouse telle que moi. À moins de voyager pour trouver un promis… Quelqu’un dont je ne connaîtrais rien et qui serait peut-être violent… En plus, dans ce cas, que ferais-je de l’enfant ?

La colère grandit dans mon coeur sans que je ne puisse rien faire. J’en voulais à mon père pour ce qu’il m’avait fait. Au fond, je n’avais aucune envie qu’il me rejoigne dans mon lit, c’était lui qui s’était octroyé ce droit et avait bousculé à jamais toute ma vie.

– Tu n’es vraiment qu’une idiote ! À présent, tout le monde va savoir que tu n’es plus une fille vierge !

Mes genoux se dérobèrent sous mon poids. Je tombais sur le sol de la cuisine.

– Tu n’es qu’une source de honte pour moi. Tu as osé sortir ainsi ! Toutes les femmes de la ville connaissent ton état ! Mais le pire, c’est que tu t’es joué de moi. Tu m’as menti !

Sa voix se répercutait dans toute la pièce, tonnant contre les murs. Mon corps tremblait alors que mon esprit ne parvenait plus à réfléchir. Je cherchais ce que j’avais mal fait et ce que j’aurais dû faire.

– Je n’ai rien fait de tel…

Je soufflais ses mots avec tout le courage dont j’étais capable.

– Tu as maigri exprès pour que je ne me rende pas compte de ton état !

L’accusation me blessa. Il ne comprenait même pas que c’était mon malheur qui m’avait fait perdre l’appétit.

– Jusqu’à quand croyais-tu pouvoir me cacher la situation ?

J’ignorais depuis combien de temps durait mon état. Quand mon père s’était-il glissé pour la première fois dans mon lit ? Je ne parvenais plus à m’en souvenir.

– Je…

Ma main se posa sur mon ventre rebondi. Était-ce si visible que ça ? Je ne m’en rendais pas compte. D’ailleurs, j’avais l’impression de prendre conscience de mon état pour la première fois.

– Je ne savais pas. Papa, croyez-moi, je l’ignorais…

Comme une idiote, je restais sur le parquet. Mon père me dominait de toute sa hauteur et l’espace d’un instant, je craignis qu’il ne me frappe une nouvelle fois. Peut-être se retint-il par égard pour mon enfant qui était aussi le sien ?

– Que dois-je faire ? murmurais-je.

– À ton avis ? Je pensais que ma fille était moins cruche !

Ses mots me blessèrent. Plus encore parce qu’il était responsable de mon état. Qu’allaient donc dire les gens ? En voudrait-il à papa ? Est-ce qu’ils feraient appel à un autre médecin ? Dans ma grande naïveté, je n’avais pas pensé que le monde était aussi méchant.

– Tu vas le garder. Tu devras assumer le prix de tes erreurs !

Quelles étaient ces erreurs que j’avais commises ? Ne pas l’avoir repoussé lorsqu’il était dans mon lit ?

Le silence se fit. Je ne bougeais toujours pas.

– Termine le repas ! Ensuite, je t’examinerais !

Tout en disant ces mots, mon père disparut. Immobile, je réfléchissais. Quel avenir pourrais-je donner à ce petit être ? J’avais eu envie d’être une épouse et une mère. Aujourd’hui, je prenais conscience que l’on m’avait privé de cette possibilité. La peur m’étreignit à l’idée que la femme qui dormait à l’étage se décide à me voler le fruit de mes entrailles. Mon poing se serra. Puisque ce serait là, ma seule et unique chance d’avoir un enfant, je ne le laisserai à personne. C’était moi, et moi seule, qui en prendrais soin.


Texte publié par Nascana, 15 janvier 2022 à 18h24
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