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On dit que le vent a une âme et qu’il gémit à la mort d’un être. Pour ma part, j’eus beau tendre l’oreille, je n’ai rien entendu. Et croyez bien que je me suis efforcé, tout était prêt, même l’instant infime qui me séparerait de l’état d’inanité. Oh ! J’avais bien calculé les choses. Que d’heures passées devant ces tableaux empoussiérés, perdus dans les nuages blancs de craie, à cracher mes poumons parce que j’avais respiré trop de cette infâme poussière, à hurler des insanités chaque fois que retentissait le bruit de cette maudite sonnette.

Enfin ! quelle riche idée avais-je eue que de louer une chambre dans ce motel de passes. Pas le choix c’était le moins cher du coin !

Sans rire ! quelle naïveté de ma part ! Déjà, les murs : à peine plus épais qu’un papier à cigarettes ! j’eus dû me douter que mes nuits ne seraient pas de tout repos, mais si je pouvais faire abstraction de ces bruitages bestiaux qui résonnait à tous les étages ; la chose était facile, entendue même, toutefois, il en était un, insidieux, pervers, méchant, grotesque,, infâme, une espèce de petit bruit aigu et cassant, la frappe d’une minuscule tige de laiton, sur une cloche en bronze : ting, ting, ting. Ô désespoir insupportable ! Il fallut sévir. Vite, propre et sans douleur, ma spécialité quoi. Une bourre de coton glissé en dessous, quelques points de colle bien placés et le tour fut joué ; la sonnette à la fin balancée dans un coin.

Quel soulagement ce fut !

J’eus pu en pleur de joie, si je n’avais pas fait autant résonner mes entrailles, explosant par la même le trône sur lequel je m’étais posé séant. Une chance, en dessous, les caves et leurs immenses bacs débordants d’ordures avaient amorti sa chute. En revanche, les odeurs remontaient à présent. Même une rose, fût-elle fécale, eut senti meilleur. Ainsi, penché au-dessus, se posait-il la question, non de camoufler le trou béant dans la pièce, mais plutôt de savoir où je serai en mesure d’officier la prochaine fois. Ma foi, au fond, peu m’importait, pourvu que je pusse soulager ma conscience, même en des lieux étrangers.

L’important, toutefois, en cet instant critique, était de trouver un moyen, non de maquiller – cela eut été parfaitement grossier de ma part – seulement de trouver un moyen de ne pas tomber plus bas. Le trou n’était qu’à une dizaine de centimètres de mes pieds et la porte s’ouvrait par l’intérieur. Étirant donc une jambe d’un bord à l’autre, autrement dit un orteil à 3,4 centimètres du pas de la porte, à un angle de 34,5°, l’autre touchant, si ce n’était affleurant, le couvercle en faïence de la chasse d’eau ; entre les deux, un puits ordurier et, vraisemblablement, assez haut. Rouge, suant, ahanant, j’ouvrais avec d’infinies précautions le vantail de bois, les jambes en grand écart ; j’eus dû être plus assidu aux cours de gymnastique dans ma jeunesse. Car, hélas, l’ayant à peine entrouvert, que le panneau vint buter dans la pointe de ma chaussure. Seulement, j’étais dans l’impossibilité de bouger la moindre phalange, sous peine de glisser et de me préparer pour un grand plongeon.

Néanmoins, avisant un cutter oublié sur une étagère – je n’ai qu’à tendre le bras pour m’en saisir –, je m’en emparais et, d’un coup sec, je tranchais dans le vif, cependant que ma main, toujours en équilibre sur le pan de la porte, se repliait, mon corps basculant en avant, enroulé sur lui-même. L’instant d’après, j’étais les quatre fers en l’air, à la limite du syndrome céphalo-anal, projeté contre un vieux fauteuil poussiéreux, auquel je me raccrochais à la manière d’un naufragé sur sa méduse. Tétanisé par la peur ? Que nenni ! Terrorisé par l’odeur, oui ! En fait, plutôt que de poser une caisse par-dessus le trou, comme tel avait été ma première intention, condamner et étanchéifier était la plus logique des solutions ; impossible de se concentrer, entouré par ce fumet, des plus délicatement, parfumé.

Encore sonné, je scrutais la pièce à la recherche de la seule chose qui eût pu faire office de bouchon et, hormis un matelas aussi mou qu’une guimauve, je ne voyais rien d’autre. Me relevant, la tête toujours gourde de ma roulade, je m’avançais cahin-caha à la manière de ces nez couperosés qui se hissaient dans les escaliers. Entre les murs, il me sembla que les bruits de ruts avaient cessé, ce qui ne m’eut point déplu, s’il n’y eut de nouveau ces infernaux coups de trille métallique. Ting, ting, ting. Ah ! les gens foutre, les freluquets, les galopins, les jocrisses, ils avaient découvert le pot aux roses. Pour autant, je n’allais pas me percer les tympans, déjà qu’un bout d’orteil y était passé. Un peu de décence tout de même, je tiens à rester présentable. Qu’aura dit le médecin légiste qui m’aura examiné ? Sans compter, les flics qui auront à découvrir mon corps.

Non, non !

De plus, si je m’eus infligé une telle chose, comment aurais-je alors pu entendre, ou non – la nuance est de mise – le vent gémir, cependant que je m’en irai expirer ma vie ?

Fort heureusement pour moi, je découvris bientôt au fond d’un tiroir crasseux des boules quies, certes vieilles, sèches et salles, mais tout de même des bouchons de cire. Les ayant malaxées le temps nécessaire, je n’eus plus qu’à les enfoncer dans mes conduites auditives. Oh ! quel soulagement ce fut, un silence pur, cristallin, si ce n’était en fond odorant les roses qui émanaient du sous-sol qui peu à peu s’évanouissait à mesure que mes yeux s’agrandissaient en découvrant les signes cabalistiques tracés sur mon tableau. Une main merveilleuse y avait mis le point final et j’allais, enfin, savoir si le vent possède véritablement une âme et s’il gémit lorsqu’un être meurt.

De joie, je sentais mon âme, mon corps, mes entrailles s’émouvoir et se relâcher ; j’étais prêt. Sans doute me faudrait-il prendre de la hauteur, car je doutais que la distance me séparant des caves fût suffisante. Toutefois, si j’en croyais les équations que j’avais sous le nez, bien visé, j’eus le crâne fracassé, peut-être même la dure-mère déchirée par un bout de faïence ébréchée. Qui sait ! qui sait ! une vis enfoncée dans le corps calleux.

Oublié le matelas, le trou dans les lieux d’aisance. Heureux, je bondissais, je virevoltais au travers de la pièce, puis me calma, car il me fallait me montrer digne de ma mort et ce vent.

Miré dans la psyché, j’eux observé d’un œil critique ma mise, sobre avec des babouches à lampion, un pantalon vert pomme, une chemise canari par dessus laquelle j’avais passée une veste sans manche couleur anthracite avec une bonne cinquantaine de gris – entre nous, je n’aurai jamais compris pourquoi celui qui me l’aura vendu, aura autant insisté pour que je lui achète, en plus, tout un tas de colifichets : dieu assis, corde à vent, extenseurs, main cloutée, tire-bouchons en caoutchouc et j’en passe –, cravate hurlante en peau de fesse et borsalino fraise aglagla, si de nouveau je n’eus perçu l’infâme et infime trille de la sonnette du comptoir. Il n’y avait rien à dire ni rien à redire, j’eus été tout simplement magnifique, sublime même, s’il n’y eut cette grimace qui me déformait les lèvres.

Prenant donc mon courage des deux mains, je m’assénais deux monumentales et sonores gifles qui me raidirent les zygomatiques. Instant trop court, car mes bajoues retombèrent aussitôt. Toutefois, par un coup du sort, j’avais pris soin, lors de mes préparatifs, d’oublier – était-ce un lapsus ? Je n’en saurai jamais rien, surtout dans mon état. Néanmoins, il serait fort présomptueux, à défaut de prétention, de ma part de m’avancer plus – de la gomme à moustache. Soigneusement ointe sur les prébendes charnelles, elle vous eût retendu une peau, encore mieux que celle d’un tambour.

Aussitôt, fulguré par la violence de mon idée, je me mis d’entrain à la tâche, enfonçant derechef les petites boules de cire dans mes conduits auditifs. Attablé au-dessus du lavabo, je m’étais déjà longuement étiré les muscles du visage et des mains, car toute la souplesse me serait requise pour une opération aussi soignée que délicate. En aucune manière, je n’eus désiré découvrir mon doux visage se métamorphoser en peau de fesse ; seul l’écartement serein et, hélas, forcé de mes zygomatiques m’intéressait en l’instant. Tout d’abord, il me fallut chausser de chasubles mes pavillons sensibles ; la moindre irritation et ils deviennent aussi écarlates qu’un derrière de babouin. Qu’eus-je l’allure d’un clown mal réveillé m’importait peu. Le ridicule était-il à son comble ?

Que nenni ! je n’avais pas encore harponné mes bajoues. Ainsi fait à l’aide de trombones dégottés au fond de trousse à écrire, je les passais de part et d’autre de mes lèvres à leurs commissures. Tous égards confondus, cela n’avait rien d’agréable, encore moins lorsque je me mis à tirer dessus à l’aide de cordelette, soigneusement passé derrière mes pavillons, ces derniers me servant de poulies. Ainsi étirées, je bavochais à qui mieux mieux, répandant sur le carrelage sale – il n’eut pas démérité qu’on le frottât tant il était couvert de crasse, – une salive transparente et gluante. Ce n’était que le début de supplice, car alors, il m’était nécessaire de garder la pose le temps voulu, afin que se figeât la gomme sur mon visage. Mal m’en prit, car lorsque j’eus voulu ôté les agrafes de métal, elles étaient si bien tenues que je m’eux arraché la peau de la figure avec. Aussi, fut-ce avec d’infinies précautions que j’ôtais les bouts de ficelle. Au moins souriais-je de toutes mes dents, même si j’avais l’air niais ; ce n’était pas pire que la soupe à la grimace que je me servais auparavant.

Un jour, j’avais, il y a de cela fort, fort, fort longtemps, joué ma maison ; excuse en carton, j’avais trop bu. Or donc nous pariâmes que les anges n’avaient pas de sexe. Hélas, encore aurait-il fallu que je le susse, cela m’eut bien évité des déboires, car de sexe, ils en ont. Et je devais bien m’avouer que la situation présente me rappelait à cette bien aussi douloureuse que, je n’ose le confesser, agréable situation. Toutefois, trêve de parenthèse et fermons-là. Car, beau de visage en cape, je pouvais enfin me présenter de bon aloi devant mon trou. Inspiré, le matelas déplacé, je m’étais emparé de quelques ressorts que je me fusse ceint afin de me donner de la constance et de la détermination. Calé contre la porte, je m’étais un instant plus tôt écrasé le nez dessus, de manière à marquer d’une croix rouge l’endroit précis de mon atterrissage, un trou noir et oblong, au milieu d’une faïence blanche.

Ultime précaution, je cassais la clé dans la serrure afin que personne ne s’en vînt me déranger alors que je m’apprêtais à exécuter la plus fabuleuse expérience du monde. Mal à propos, je ne pouvais que blâmer ma maladresse, je m’enfonçais le reste de la clé dans le pouce. Bien que fort douloureux, j’en avais plus qu’assez d’attendre, d’autant que je redoutais plus que tout, la résurgence de ce satané et agaçant trille. Aussi, ayant calé avec soin la porte dégondée entre le chambranle et le sommier, je prenais d’imposantes inspirations.

Serein, chaque fois que j’expirai cet air vicié et fétide qui s’échappait de la fosse puante, je reculais d’un pas, écrasant un peu plus les ressorts, bientôt je volerai comme un papillon, imitant les anges dans leur saut, je plongerai la tête la première. Ah, mais que je n’eusse encore entendu ce bruit maudit, car il me fit lâcher le bras qui me retenait et je fus alors catapulté, cul par-dessus tête dans les toilettes. Précipité, je tentais par une manœuvre désespérée de mes pieds heurtant le panneau, de me redresser la trajectoire ellipsoïde et non plus parabolique de ma chute. Néanmoins, je dus avoir bien visé, car je sentis tel que les équations l’avaient décrit, la situation, des échardes dans le cuir chevelu, les os de la boîte crânienne disloquée par la cuvette, la dure-mère déchiquetée par les bris de verre et le corps calleux enfoncé par la faïence cassée.

Tout était parfait, à un détail près, car nulle part je n’avais souligné le fait qu’il me fallait les oreilles libres pour entendre le vent gémir. S’il n’y avait eu cette maudite sonnette, je l’eus entendu. N’est-ce pas ce que les mortels appellent l’ironie du sort. Par ailleurs, je dois dire que je suis fort satisfait du mien, violé par un ange parce que j’eus l’outrecuidance de douter de sa raison d’être, je suis resté très attaché à ce motel mortel. Ma position n’était pas des plus ordinaires, surtout quand il fallut aux pompiers une masse pour défoncer le trône dans lequel je m’étais intronisé, ne débordait que le bas de mon tronc et mes jambes ; mes bras, sectionnés à hauteur des épaules, gisaient au milieu des ordures, de la gomme à moustache plein les doigts.

Au final, on ne sut que dire de moi, entre suicidé des commodités, ou bien accidenté des petits lieux.


Texte publié par Diogene, 7 mars 2021 à 14h04
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