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tome 1, Chapitre 25 tome 1, Chapitre 25

Tampa, vendredi 11 mars 2033

« Toc Toc Toc »

De l’autre côté de la porte, un chien se mit à aboyer. Gary grimaça. Une saleté de roquet… Voilà qui n’arrangeait pas ses affaires…

Depuis le perron orné de colonnades, il dansait d’un pied sur l’autre, nerveux. Et s’il se faisait jeter, insulter ? Et si les propriétaires lâchaient leur bête sur lui ? L’espace d’une seconde, il hésita à faire demi-tour. Sa cible était peut-être mal choisie ; pour lancer sa nouvelle activité, il avait opté pour Hyde Park. L’un des quartiers les plus huppés de la ville, et celui qu’il connaissait le moins. Le sol blanc, aussi pur que celui des murs, le rendait mal à l’aise. Il leva la semelle droite, puis la gauche, de ses chaussures neuves pour s’assurer qu’elles n’étaient pas crottées.

Les aboiements avaient faibli. Face à lui, la porte demeurait fermée. Gary inspira, lentement, puis relâcha son air d’un coup. Il devait retenter, au moins une fois. Pourvu qu’il ne soit pas trop tôt… ou trop tard. 9 heures lui avait paru raisonnable, mais il n’était plus sûr de rien. Avant de frapper encore, il se remémora son discours de présentation. À force de le répéter, seul devant son petit miroir de salle de bain, il était parvenu à une certaine fluidité. Mais qui sait s’il ne perdrait pas tous ses moyens face à ses clients ? Un tel gouffre les séparait… Lui, le sale gosse des bas quartiers de Miami, qui passait ses journées à servir le café. Eux, les beaucoup-trop-friqués dans leurs jolies maisons qui puaient le détergent.

Pour combler – en partie – ce fossé, il avait tout misé sur l’apparence, quitte à y sacrifier une partie de ses économies. Mocassins vernis, costume d’excellent rapport qualité-prix, ainsi qu’une once d’eau de toilette. Il s’était rasé de près, avait attaché la masse de ses cheveux frisés d’un élastique tout neuf. Seul bémol qui, pour lui, n’en était pas un : l’absence de cravate. Plutôt mourir que porter une cravate. Personne ne le verrait jamais avec ce truc pendu au cou, il se l’était juré. Déjà qu’il se sentait à l’étroit dans sa nouvelle chemise ! Et puis la cravate, ça donnait l’air un peu trop apprêté. Un peu trop, comment dire… faux-cul. Voilà. Du genre à vendre de la camelote en faisant croire au pays des merveilles. Alors que lui, Gary, c’était différent. Il vendrait aussi de la camelote, mais sans se prendre pour le roi du monde. Il procéderait honnêtement et sans chichi. Car le respect envers la clientèle, c’était e-ssen-tiel. Et jamais il ne se prétendrait meilleur que son prochain.

Dans la coquette demeure, le silence était revenu.

« Toc Toc Toc »

Évidemment, le clebs recommença à s’égosiller. Plus près, cette fois. À travers les rideaux en dentelle des fenêtres, Gary crut distinguer du mouvement. Il redressa le buste, s’éclaircit la gorge et plaqua sur son visage son plus beau sourire commercial. De l’intérieur s’éleva une voix de femme.

« Veux-tu bien la fermer, s’il te plaît ? »

L’expression, à mi-chemin entre extrême politesse et vulgarité, lui arracha un sourire.

Faudra que j’m’en souvienne, de celle-là. Chiche, la prochaine fois qu’Joel débarque, j’lui sors un « veux-tu bien te barrer, s’il te plaît ? ». Il va pas comprendre.

Il perdit son hilarité et recula d’un pas lorsque la porte s’ouvrit d’un coup. En face de lui, une femme d’âge mûr. Ses cheveux courts et bouclés présentaient quelques faux plis. Une veste grise et informe recouvrait en partie sa chemise de nuit à grosses fleurs. Une odeur de pain grillé et de lait chaud flottait dans l’air. À ces quelques indices, Gary comprit qu’elle était levée depuis peu.

J’vais me faire jeter, c’est sûr.

Quelque part dans la maison, son clébard continuait à japper ; il devait être enfermé dans une pièce. Avant de prendre la parole, Gary lança un rapide coup d’œil à l’intérieur. Un vestibule propret, meublé d’un porte-manteau et décoré de quelques plantes vertes. Sur un mur, une nature morte. Sur un autre, un crucifix. Mauvaise pioche…

La maîtresse de maison cligna des yeux plusieurs fois, puis leva son visage vers Gary — qui la dépassait d’une bonne tête et demie.

« Oui ?

— Bonjour Madame ! Je m’appelle Gary Morgan. J’fais le tour de votre quartier pour présenter mes nouveautés ! Mais d’abord, comment allez-vous ?

— Je euh… je vais bien merci. »

Elle resserra les pans de sa veste d’une main. L’autre tenait toujours la poignée. Elle se méfiait et Gary la comprenait : une femme seule, dans une grande maison, face à un homme de couleur… Évidemment qu’elle avait peur. Il devait trouver un moyen de la rassurer, et vite.

« Ça sent bien bon chez vous.

— Oui… C’est le café. D’ailleurs, je… Ça suffit, Jo’ ! cria-t-elle à son chien. Excusez-moi…

— Pas d’problème. Comme j’disais, j’pense avoir quelque chose qui pourrait vous intéresser ! »

Vu ce que la dame accrochait à ses murs, Gary n’y croyait pas un seul instant. Mais hey, il fallait bien essayer.

« … des nouvelles lunettes ? s’enquit la cliente.

— Euh. Pas exactement, mais…

— Alors ça ne m’intéresse pas, désolé.

— Att’ ! »

Trop tard, la porte s’était refermée sur lui. Gary soupira. Qu’est-ce qu’il s’imaginait ? Que ça marcherait du premier coup ? Il remonta son lourd paquetage d’un cran sur son épaule et descendit les escaliers du perron, direction la maison voisine.

Lui qui pensait ne pas pouvoir faire pire, il se trompait : les six tentatives suivantes se soldèrent par une succession de portes obstinément closes. À la septième, un enfant lui ouvrit, tout sourire. Sa mine réjouie s’évanouit sitôt qu’il découvrit l’identité du visiteur. Il s’attendait visiblement à quelqu’un d’autre. Et quand sa mère arriva, il devina à son air effrayé qu’il ne lui vendrait rien.

« Ça ne m’intéresse pas et j’ai du travail. Excusez-moi. »

« Vlam »

La porte se referma sur le vendeur en herbe – à ne pas confondre avec vendeur d’herbes, carrière où il excellait, plus jeune. Bien qu’il n’en soit pas fier, il avait espéré que cette expérience lui serve aujourd’hui. Il fallait croire que non.

Il bascula sa tête en avant et se gratta le cuir chevelu, l’air abattu. Quelque chose ne fonctionnait pas, mais quoi ? Il s’éloigna et marcha un moment le long de l’avenue bordée de palmiers. Autour de lui défilaient les riches demeures, bien rangées, bien sages au milieu de leur carré de pelouse tondue façon terrain de golf.

Ado, il se trompait rarement de cible ou d’arguments. Sauf que les produits qu’il proposait alors étaient d’une autre nature… et les drogués, jamais très difficiles à convaincre. Rien à voir avec tous ces gens de la haute qui semblaient le craindre.

Lassé de sa balade, il s’adossa contre un arbre, déposa son sac à ses pieds et leva la tête. Là-haut, quelques nuages voguaient, à la queue leu leu comme de petits moutons. D’une main, il tripota son unique boucle d’oreille. Qu’il était dur de se réinventer… de viser le ciel, quand on avait léché le goudron. Et tout ça, sans écraser personne. Non, cette fois, il ne se remplirait pas les poches au détriment de son prochain. Cette fois, il lui vendrait du rêve. De la magie. De l’espoir, même ! Trois éléments qui n’avaient jamais blessé personne – enfin, pas directement.

Rasséréné, Gary ramassa son sac et repartit à la chasse au client. Tôt ou tard, ça finirait par marcher. À condition que personne ne lui demande de licence… Tant qu’il ne croisait aucun policier en civil – comme celui qui l’avait coffré autrefois – tout devrait bien se passer.

Trois maisons plus tard, la chance lui sourit enfin. Un vieux bonhomme lui ouvrit grand la porte et laissa Gary lui servir son speech habituel. Tout se déroulait à merveille jusqu’à ce qu’il finisse par éclater de rire, sans parvenir à se calmer. Pire : son hilarité grimpait au fur et à mesure de ses explications. Déçu et vexé, Gary comprit qu’il avait encore perdu.

« Désolé… J’vois que vous n’êtes pas intéressé. J’vous souhaite une bonne journée ! Merci d’m’avoir écouté.

— Mais non, attendez ! »

Le vieux s’était calmé d’un coup – suffisamment pour être capable d’aligner trois mots. Son visage luisait des larmes de rire qu’il venait de verser.

« Parlez-moi encore de votre machin qui fait renaître en femme… Comment ça marche, au juste ? En fait, j'aimerais vous l’acheter, mais à une seule condition. Non, trois conditions.

— Bien sûr ! J’vous écoute.

— Alors. Pour commencer, je veux des gros seins. Des cheveux roux. Et de longues jambes, aussi ! Sinon j’achète pas.

— Tout est possible, papi ! répondit Gary, le sourire retrouvé. Je vais vous montrer comment faire…

— Allez, entrez. On sera plus à l’aise à l’intérieur. »

Gary saisit cette chance inespérée et suivit son hôte jusqu’au salon. Tandis qu’on lui préparait le café, il sortit trois paquets de son sac qu’il déposa sur la table basse. Ses mains tremblaient d’anticipation. Il avait peut-être trouvé son premier client ! Appâté par son kit le plus improbable, compte tenu de son profil. Qu’est-ce qui pouvait bien pousser ce bonhomme, blanc de peau et beaucoup trop riche, à vouloir se réincarner en gonzesse ? C’était comme renoncer au sommet du podium, volontairement.

Il est peut-être trans ? Ou juste curieux. Ou aventureux. Ou pervers… ou juste très seul et j’étais là pour lui tenir compagnie. Va savoir…

Le vieux revint avec deux tasses fumantes.

« Alors, comment ça fonctionne, votre truc ?

— C’est suuuuper simple. En fait, ce kit habitue votre âme à l’idée d’devenir une femme. Ça lui donne envie d’changer d’sexe, 'voyez ! D’orienter son choix, quand l’moment s’ra venu.

— Je vois tout à fait, commenta le vieux en riant. »

Gary avait de plus en plus de mal à conserver son sérieux. Peu importe l’intérêt que ce type portait à ses produits, il l’appréciait déjà. Oh oui, ils allaient bien s’entendre !

« Pour ça, vous aurez besoin d’trois éléments. Vous voyez ces bougies ?

— Oui… Je ne sais pas ce que ça sent, mais c’est puissant !

— C’est tout à fait normal. Elles sont faites d’un matériel qui, en brûlant, va pénétrer votre âme en profondeur… »

Le grand-père rit de plus belle en claquant l’accoudoir de son fauteuil.

« Ahahaha… vraiment ?

— Eh oui, papi ! Deux fois par semaine, vous devrez procéder à un p’tit rituel. Le soir, vous allum'rez une de ces bougies dans un endroit calme. Ensuite, vous placerez un d’ces sachets dans une tasse d’eau bouillante…

— Attendez, attendez… Vos sachets, là. C’est pas de la drogue ou des médocs, j’espère ?

— Bien sûr que non ! Tenez, sentez-les… Ce sont des tisanes. Un mélange d’épices connu pour rendre votre conscience plus réceptive. Vous verrez, celles-ci ont un p’tit goût fruité très agréable !

— Ah bon… »

Son client avait cessé de rire. Les rides de son front se creusèrent un peu plus, ce qui lui donnait un air méfiant. Gary réfléchit à un moyen de redresser la barre. Qu’est-ce qu’il disait déjà, cet article du Cosmopolitan sur la routine-bien-être-des-femmes-qui-se-respectent ? Ah oui…

« Après ça, vous ferez l’vide dans votre esprit, improvisa-t-il en s’inspirant de ses lectures. Faudra respirer profondément pour laisser l’parfum des bougies vous imprégner. Puis vous boirez votre tisane d’épices à petites gorgées, sans penser à rien. Vous sentirez vos muscles se détendre… »

Gary mimait chaque action avec emphase, un peu comme au théâtre. Sa voix n’était plus qu’un murmure, si bien que le vieux dut se pencher pour entendre la suite.

« Et quand vous aurez atteint la paix intérieure, votre âme s’ra prête à vous écouter. C’est l’moment où vous pourrez lui transmettre un message : le genre de femme que vous aimeriez devenir dans votre prochaine vie… Vous pouvez imaginer tout c’que vous voulez ! L’important, c’est d’rester constant. J’vous promets pas qu’le résultat s’ra fameux si vous changez d’avis toutes les semaines. »

Le vieux retrouva le sourire. Il se caressait le menton, songeur.

« C’est vrai, ça. J’aimerais pas finir avec un sein plus gros que l’autre… Ce serait gênant pour acheter mes soutien-gorge. »

Gary ne put se retenir plus longtemps : il approuva en riant de bon cœur.

« Vous avez raison, papi. Ce serait dommage.

— Oh mais j’y pense ! C’est sans doute comme ça que ma nièce s'est retrouvée avec des yeux vairons ! L’un marron, l’autre bleu. C’est très étrange, croyez-moi.

— Eh oui, voilà c’qui arrive quand on est trop gourmand. Tenez, ma mère à moi a une jambe plus longue que l’autre. Ça lui provoque de terribles maux de dos. Faut vraiment faire gaffe avec ça. Vous m’le promettez ? »

Le grand-père hocha la tête, amusé.

« Quand vous aurez fini, vous n’aurez plus qu’à éteindre la bougie pour mettre fin au rituel.

— Je crois que j’ai bien compris.

— Dans ce cas, c’est parfait ! »

Gary se leva pour lui serrer la main et ranger ses affaires.

« Vous reviendrez me voir tantôt ? Je vous servirai le café. Et faudra bien que je refasse mes stocks, n’est-ce pas ? ajouta-t-il avec un clin d’œil appuyé.

— Ce sera un plaisir. »

Une fois dehors, il frappa l’air de son poing pour marquer sa victoire. Il se sentait fier de lui : cent dollars de marchandises, dont 90 de marge, c’était plutôt pas mal pour une première. En fait, c’était même extraordinaire ! Son estomac lui rappela soudain qu’il avait oublié de déjeuner. Il se rapprocha d’un arrêt de bus pour se rendre au centre-ville et grignoter un bout.

Plus tard, assis dans un fast-food, il sortit un carnet de sa poche et prit, entre deux bouchées de burger, quelques notes sur les rues qu’il avait couvertes et les personnes rencontrées. Il ajouta un petit cœur à côté de son dernier client, le vieux bonhomme rieur. Cet après-midi, il changerait de tactique. Fini, les riches. Cette fois, il se rendrait dans les quartiers est de la ville, plus modestes.

✲°˖✧*✧˖°✲

Ce n’est qu’à 20 heures qu’il rentra chez lui. Il déposa ses affaires en plein milieu de son studio, se massa l’épaule, s’écroula sur une chaise et resta là, immobile, pendant plusieurs minutes. La journée avait été épuisante… Enfin, il récupéra son carnet pour y inscrire les visites de l’après-midi. Il avait vu juste : les quartiers pauvres rapportaient bien plus que les chics. Et pour cause : il y avait vendu trois kits contre un seul le matin. Par contre, si les gens s’étaient montrés plus réceptifs à ses salades, il avait dû ajuster ses tarifs à la baisse. Quand on vit dans un cabanon, difficile de sortir cent dollars de sa poche pour trois grigris et deux boîtes de tisane, quels que soient ses arguments.

Autre mauvais point : cette dernière expérience lui laissait un goût amer. Poser un pied dans la misère lui avait rappelé la sienne, gamin. Et ses clients ressemblaient un peu trop à ceux dont il avait précipité la chute à cette même période. En particulier, l’image de cette jeune femme aux yeux caves ne cessait de revenir le troubler. Enceinte de quelques semaines, elle lui avait acheté un kit permettant de renaître dans une riche famille de Californie. Quelques bijoux en toc, un livret d’incantations et dix bougies parfumées. « Est-ce que ça marche si c’est pour quelqu’un d’autre ? lui avait-elle demandé. C’est pour le bébé. ».

Il chassa ces paroles de son esprit, referma son carnet et commença à vider son grand sac. Comme il comptait aller soulever quelques haltères le lendemain après le travail, il en aurait besoin pour transporter ses affaires.

Un claquement suivi d'un bruit de pas lui fit lever les yeux. Quelqu’un montait les escaliers ! Gary pesta. Il était tellement pressé de retrouver son lit qu’il avait oublié de verrouiller en bas. Il se doutait de l’identité de son visiteur. Trop tard pour le retenir, la porte de son studio s’ouvrait déjà et un pied se glissa à l’intérieur.

« On rentre comme dans un moulin chez toi !

— Bonsoir, Joel… Au cas où, tu m’as pas manqué. Laisse-moi deviner, t’es encore venu quémander, c’est ça ? J’suis pas ta mère, tu sais. »

Son ancien frère de galère pénétra complètement dans la pièce et siffla à la vue des marchandises étalées au sol.

« Qu’est-ce que tu trafiques ici ? demanda-t-il, ignorant sa question. C’est quoi tout c’bordel ? Encore pire que la dernière fois. Ta mère à toi ne t’a jamais dit de ranger ta chambre ?

— C’est… pas tes affaires. D’ailleurs, y m’semble t’avoir dit de plus rev'nir ici. J’ai p’t-être pas été assez clair ? »

Joel s’était accroupi en face de lui et commençait à examiner chaque paquet.

« Des… bougies ? Et ça, c’est quoi… Y’a quoi dans ces flacons ?

— De la terre. Ou du sable, répondit Gary à contrecœur. Ça fait partie d’un kit de réincarnation. Pour renaître dans un pays, genre le Népal… ou une région différente. »

Joel le dévisagea, puis explosa de rire au point de basculer en arrière.

« Aaah Cap’tain. Tu m’as fait peur… J’me suis imaginé un instant que tu croyais à toutes ces conneries ! Hey mais je vois qu’tu reprends les affaires ? Ça vient d’où tout ça ?

— Nulle part. J’ai tout acheté. Ou fabriqué.

— Ok, attends… Attends une minute ! Tu m’as pas dit que t’étais réglo maintenant ? Moi j’suis devenu un honnête gars, blablabla… C’est bien ça, non ? Allez, va pas me raconter que la terre, là, t’es vraiment allé la cueillir au Népal ? Qu’est-ce qu’il y a à foutre là-bas, d’ailleurs ? Et puis tu crois que les gens y savent où c’est le Népal ?

— Pas toi en tout cas, clairement.

— Non, mais avoue… Ta terre magique, j’parie qu’elle vient du fleuriste du coin !

— Ça t’regarde pas. Et j’fais rien de mal : je vole personne et je vends rien d’illégal. C’est un commerce parfaitement honnête et transparent !

— Mmh… Voyons. Tu racontes des conneries à des gens crédules, tu leur mens sur la marchandise… Et ça f’rait pas d’toi un escroc ? Avec tout le respect que j’ai pour toi, cap’tain, excuse-moi d’en douter. Non pas qu’j’aime pas l’idée, hein ? J’suis même super fan ! Et tu t’fais combien par jour avec ça ? Y’a moyen d’se faire pas mal, non ? »

Gary se renfrogna. Il ne l’admettrait pour rien au monde mais les arguments de Joel faisaient écho à ses inquiétudes.

« Tu sais quoi, Joel ? Ferme-la. T’es bien naïf si tu crois que toutes les pubs que tu t’prends dans les dents tous les jours n’essaient pas déjà d’te vendre de la merde. Et d’après toi, ça veut dire quoi ? Qu’la plupart des entreprises sont des voleuses ou des escrocs ? Si les gens veulent pas d’mes produits, ils ont qu’à pas les acheter, point barre. Maintenant, laisse-moi vendre mes bougies tranquillos, et fous-le-camp d’ici. »

Joel cligna des yeux plusieurs fois avant d’éclater de rire de nouveau.

« Ma parole, j’en crois pas mes oreilles ! Ok, très bien, monsieur l’honnête commerçant. Mais dans ce cas, puisque les affaires marchent si bien, tu pourrais pas, au passage, aider un vieux pote en difficulté ? À moins que t’aies déjà pris la grosse tête ? »

Gary serra les poings, crispa la mâchoire et se leva en trombe. Il nota le mouvement de recul de Joel et s’en réjouit.

« J’ai compris. Mais cette fois, c’est vraiment la dernière. Si t’oses te re-pointer ici, j’te sors à coups de pieds au cul ! Et compte sur moi pour ne plus oublier de verrouiller cette foutue porte. »

Il retrouva l’enveloppe dans laquelle il avait inséré les recettes de sa journée et en tira… le billet de cent dollars du papi rieur. À regret, il le jeta à la tête de Joel.

« Merci Cap’tain ! J’savais bien que tu m’laisserais pas tomber…

— Joel… Veux-tu bien te barrer, s’te plaît ? »

Pari tenu.

« Hey tu sais, poursuivit l’autre en prenant la direction de la porte, j’crois bien avoir trouvé un moyen d’m’en sortir et d’remonter la pente ! J’te raconterai plus tard. En tout cas… »

J’me doutais qu’il pigerait pas.

« DEHORS, J’AI DIT ! »

Joel parti, Gary flanqua un coup de pied rageur à son matelas. Avant que cette sangsue n’ait l’idée de revenir, il partit verrouiller la porte d’en bas et celle de son studio. Enfin, il se rassit à même la moquette et finit de ranger ses produits dans un placard, ce qui l’aida à calmer ses nerfs. L’enveloppe contenant ses recettes du jour gisait encore au sol. Combien restait-il à l’intérieur ? 135 dollars. L’équivalent d’une journée de travail de 8 heures au Coco Loco, à 30 dollars près. Avec le billet qu’il avait cédé à Joel, il aurait multiplié par deux son salaire quotidien.

Il soupira, sortit machinalement son téléphone et composa un numéro. Toujours le même. Avec la visite surprise de Joel, il n’était pas près de trouver le sommeil, de toute façon…

Il tomba, hélas, sur le répondeur et laissa un message :

« Bonsoir m’man ! Comment ça va ? Bien, j’espère ? Je t’appelais car j’ai une bonne nouvelle à t’annoncer. J’ai commencé une activité qui nous aidera, peu à peu, à rembourser les dettes de papa. T’inquiète pas m’man, on va s’en sortir. Rappelle-moi quand tu peux… »


Texte publié par Natsu, 24 mai 2021 à 09h25
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