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tome 1, Chapitre 17 tome 1, Chapitre 17

Dimanche 2 janvier 2033

« croui, crouiii », fit la petite clef en tournant dans la serrure rouillée de la boîte aux lettres.

Le rabat s’ouvrit en grinçant, révélant ses trésors : une jolie pile de courrier et prospectus. Étonnant… Un dimanche, lendemain de Nouvel An, Théodore ne s’attendait pas à trouver quoique ce soit. N’avait-il pas vérifié la veille ? Et le jour d’avant ? Il pensait que si. Mais peut-être que non, en fait. Il avait dû oublier.

Peu importe.

Il récupéra le tout puis se hâta de rentrer de sa promenade matinale. Il essayait de sortir tous les jours pour faire travailler ses articulations. La plupart du temps, il se rendait seulement à la boulangerie acheter du pain. Parfois il poussait jusqu’aux bords de la Garonne et offrait quelques miettes aux canards. Mais pas aujourd’hui… Il faisait bien trop froid dehors !

« croui, crouiii » gémit la serrure qu’on verrouillait à nouveau.

Tas de papiers coincé sous un bras, baguette sous l’autre, Théodore rejoignit la douce chaleur de sa maison aussi vite que le lui permettaient ses jambes abîmées. Lorsqu’il ouvrit la porte, Ernestine accourut dans l’entrée avec un petit miaulement de contentement, puis se frotta à l’ourlet de son pantalon.

« Ma titine… Je t’ai manqué, déjà ? »

Il voulut se baisser pour la caresser, mais un violent élancement partant d’un genou jusque dans sa colonne vertébrale le fit renoncer. Maudite arthrose… Il ôta son manteau et ses chaussures, déposa le pain dans la cuisine, puis se laissa tomber dans le canapé avec une grimace de douleur. Ah, s’il pouvait retrouver sa jeunesse ! Oui, s’il pouvait tout recommencer, il promettait de ne pas commettre les mêmes erreurs : dix ans d’escrime intensive et trop peu de temps passé à s’échauffer. Hélas, tout avait un coût dans la vie… Sa coach l’avait pourtant prévenu. Avait-il écouté, lui la tête brûlée ? Bien sûr que non…

Théodore pivota d’un quart de tour pour admirer sa collection de trophées, bien alignés dans le buffet du salon. Quelle valeur avait-elle aujourd’hui ? Aucune. Plutôt que de jouer les fiers et s’user les genoux à manier le fleuret, il aurait mieux fait de s’en tenir à ses livres et ses leçons d’histoire… Il soupira et se laissa aller contre le dossier du sofa. Un bruit de chute attira son attention. Il semblait provenir des chambres. Suzanne était-elle rentrée ? Ou pas encore partie ? Devait-elle sortir, aujourd’hui ? Il ne s'en souvenait plus…

« Je suis rentré ! » annonça-t-il d’une voix forte.

Il tendit l’oreille. Pas de réponse… Sa femme multipliait les activités de bénévolat, si bien qu’il avait toujours du mal à retenir son emploi du temps. Elle le savait et lui rappelait son programme tous les matins au petit déjeuner – ce qui n’empêchait pas Théodore d’oublier quelques heures plus tard…

Le salon semblait bien vide depuis le départ de sa fille et de son américain de mari. Il y avait bien longtemps que sa famille ne s’était pas ainsi réunie pour Noël. Heureusement, son fils Antoine habitait à côté, lui – ce qui permettait à Théodore de voir grandir ses deux adorables petits enfants.

Ernestine revint à l’assaut et bondit sur le canapé dans un bruit de papier froissé. Le courrier ! Théodore tira dessus avec insistance jusqu’à ce que son chat accepte, en protestant, de s’asseoir ailleurs. Voyons, qu’avons-nous là ? Des pubs, pour changer… Un catalogue de jouets… Une jolie carte de vœux… et une lettre officielle. Il mit de côté les éléments à jeter et parcourut des yeux la carte de sa belle-famille, rédigée en anglais. Rien de très intéressant, juste quelques banalités d’usage… Quelle barbe, il allait devoir leur répondre, maintenant ! Il ne les avait pourtant rencontrés qu’une fois dans sa vie : le jour du mariage de sa fille. Le jeune homme était charmant, les parents exécrables. Enfin, tant que Charlotte était heureuse… Il n’en demandait pas davantage.

Quand il ne resta plus que l’enveloppe aux caractères imprimés, Théodore la prit entre ses mains pour en lire l’intitulé :

« M. Théodore Leroux — Agence Rhapsody Blue France »

Un sourire satisfait se dessina sur ses lèvres. Deux mois… Ils n’avaient pas menti. Sa confirmation d’enregistrement venait d’arriver, saluant sa maigre contribution dans la lutte contre les grandes épidémies, la sécurité nationale et le progrès en général. Même s’il ne connaîtrait jamais, il possédait maintenant un Rhapso-code, emprunte musicale de son cerveau vieillissant, rangé aux côtés de milliers d’autres dans les tiroirs numériques de l’État. Faire partie d’un système si intelligent avait quelque chose de grisant…

Un museau apparut près de l’enveloppe. En quête d’affection, Ernestine frottait sa tête au papier en faisant le dos rond.

« Oui oui… On va l’ouvrir. »

Il accorda une caresse à son chat, puis extirpa la lettre de son écrin froissé.

« Blablabla nous vous informons que votre profil est bien enregistré blablabla et vous remercions… »

Il lut en diagonale le premier paragraphe et sauta à la partie centrale. Bientôt, les commissures de ses lèvres s’affaissèrent. Et tandis qu’il progressait dans sa lecture, les traits de son visage se décomposaient un peu plus. Lorsqu’il eut terminé, il était carrément blême. La main tenant le papier retomba mollement sur ses genoux. Et il resta là, prostré, le regard vide et la bouche entrouverte.

Le bruit d’une clef dans la serrure de l’entrée le projeta hors de son état de stupeur. Suzanne… Elle ne devait pas voir ça ! Théodore replia la lettre, la replaça dans son enveloppe et glissa le tout dans la première cachette qu’il put trouver. Enfin, il plaqua un sourire sur son visage, puis se tourna vers le vestibule pour accueillir son épouse.


Texte publié par Natsu, 16 avril 2021 à 10h37
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