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Partie 1 (du chapitre 15)

Mercredi 22 décembre 2032

« Pling ! Pling ! Pling ! »

Angélica fit tinter son verre de champagne contre celui de ses collègues. Dans une salle aux allures d’amphithéâtre décorée pour la soirée de Noël, James Palmer – le président de Rhapsody Blue – venait de porter un toast en l’honneur de sa petite équipe. C’était la première fois qu’elle le voyait en vrai, et d’aussi près. L’homme, dont le visage apparaissait régulièrement dans les médias, ne se présentait que rarement dans leurs bureaux. À ce qu’elle avait entendu, il préférait travailler à distance depuis chez lui ou quelque résidence secondaire, et ne se déplaçait qu’aux événements et réunions d’importance.

Elle l’imaginait plus grand. Plus jeune, aussi ; sans le maquillage des plateaux TV, elle distinguait maintenant quelques pattes d’oie au coin de ses yeux, ainsi que les ridules qui striaient son front. On le disait bon surfeur et il en possédait l’allure avec ses longues dreads blond cendré et sa peau tannée par le soleil. Quel curieux personnage. Si riche et si puissant, et pourtant si… désinvolte ? Aussi peu soucieux de l’image qu’il renvoyait qu’un dieu en claquettes et chemisette à fleurs. Mais s’il répondait fréquemment aux interviews télévisées en tee-shirt, il leur avait fait l’honneur, ce soir, d’enfiler un costume – occurrence tout à fait exceptionnelle et réservée aux grandes occasions. Angélica en déduisit que la bonne nouvelle qu’il venait de leur annoncer lui tenait à cœur.

Lorsque monsieur Palmer descendit de la tribune pour se mêler aux employés, elle se retourna vers son équipe :

« Les choses sérieuses vont enfin pouvoir commencer.

— Exact, confirma Emilio. Nous voici avec sept nouveaux cas de Rhapso-codes dupliqués ! Beau travail, Keitaro.

— Ahah, merci. Mais Denzel m’a beaucoup aidé. »

Après quelques cafouillages sans queue ni tête, leur chef se résigna à utiliser son téléphone pour leur communiquer la suite de sa réponse. À cause du bruit ambiant, Angélica et les autres se penchèrent pour mieux entendre :

« Je n’ai fait que la partie informatique. Le plus difficile, c’était d’obtenir l’accord des pays membres de Rhapsody Blue concernant l’échange de données entre États. C’est Denzel qui m’a conseillé de me limiter aux infos les plus basiques, de type passeport, car c’est moins intrusif… C’est lui, aussi, qui a proposé de faire passer mon projet comme une mesure de sécurité.

— Évidemment. Nous savons que vous n’êtes pas assez retors pour ça, commenta Angélica à voix basse et en levant sa coupe vers lui. »

Keitaro lui répondit par un sourire incertain. Ses yeux dérivèrent sur Denzel, occupé à trinquer plus loin, hors de portée d’oreilles.

« C’était un compliment », précisa-t-elle pour dissiper le malaise.

Le Japonais ne saisissait que le premier degré, elle l’avait presque oublié. Cette fois encore, elle aurait mieux fait de tenir sa langue. En quête de soutien, son regard se reporta sur Varun, qui comprit le message et prit la parole à son tour :

« Nous avons donc quatorze noms et dates de naissance, c’est bien ça ?

— Pas seulement, rectifia Keitaro avec son accent épouvantable. Nous possédons l'intégralité des données de la moitié d’entre eux, poursuivit la voix robotique de son téléphone. Car il y a un Japonais ou un Américain dans chaque duo, ce qui veut dire que nous avons accès à leurs dossiers complets. Pour leurs jumeaux de code, il faudra enquêter pour les retrouver… Eux ou leur famille, s’ils sont déjà morts. »

Pourvu que les noms des sept inconnus ne soient pas trop communs, songeait Angélica. Heureusement qu’ils possédaient aussi leurs dates de naissance pour confirmer leur identité.

« Sept cas, je m’attendais à plus, intervint Charlotte, l’air déçu.

— N’oubliez pas qu’une majorité d’enfants n’est pas encore enregistrée, répondit Emilio. Et que nous n’avons accès qu’aux Rhapso-codes présents dans les bases de données américaines et japonaises. Pour confronter celles des quatorze autres pays entre elles, il faudrait demander à leurs gouvernements de procéder eux-mêmes à la recherche… »

… ce qui n’est pas une option pour Denzel, acheva Angélica, dans sa tête. Ni pour le président Palmer. Aucune prise de risque. Aucune requête sortant de l’ordinaire. Ils ont bien trop la trouille qu’on découvre et dévoile leur petit secret…

Le silence qui tomba entre eux lui confirma que le reste de son équipe en était bien conscient. Angélica en profita pour avaler une gorgée de champagne. À ce rythme, la route semblait longue vers une éventuelle réussite. Obtiendrait-elle un jour une réponse au sujet de Gabriel ? Depuis la séance d’hypnose menée sur Catalina, elle ressentait une frustration grandissante. L’espoir avait ressurgi en elle avec l’éclat d’une bombe. Il était redevenu le moteur de sa curiosité. Hélas, un mur de précautions se dressait entre son équipe et leur objectif… Si seulement l’Agence se montrait moins craintive, ils pourraient avancer plus vite ! Qu’elle puisse savoir à quoi s’en tenir.

« Quand partez-vous pour l’Uruguay ? demanda Charlotte en se tournant vers elle.

— Lundi prochain, deux jours après Noël, répondit Angélica, ravie de changer de sujet. J'irai avec Varun et Catalina. Emilio sera déjà sur place. »

Le but de ce voyage était de rendre visite à la famille de Marisol, l’adolescente qui possédait – de son vivant – le même Rhapso-code que sa fille. Grâce à l’intervention de Keitaro, Angélica avait obtenu l’accord de Denzel pour rencontrer les parents de la défunte, ainsi que leur adresse exacte. Pour une fois, Requin Perfide s’était montré étonnamment souple. Était-ce parce qu’il avait abandonné toute attente concernant Catalina ? Ou bien était-il curieux ? En lui délivrant cette permission, il avait seulement émis le souhait qu’elle soit accompagnée par quelques-uns de ses collègues. Et rappelé qu’ils ne devaient, sous aucun prétexte, parler de leur mission, ou du motif réel de leur visite.

« Je rentre demain en Uruguay, confirma Emilio, pour fêter Noël avec ma femme et mon fils. Et vous, Charlotte, vous retournez en France ? Puisque l’Agence ferme 10 jours…

— Eh oui ! Je prends l’avion dès ce soir, avec mon mari, pour rejoindre ma famille. Et vous, Keitaro, vous ne rentrez pas ? Au Japon aussi, on fête Noël. Non ?

— Euh… oui. Enfin, surtout le Nouvel An. Mais j’ai plein de travail ici avec les nouveaux cas. Et quelques idées d’amélioration pour mon programme. J’aimerais profiter des vacances pour mettre ça en place.

— Vous ne vous arrêtez jamais, le taquina Angélica. »

Il lui rendit son sourire, sans répondre. Un sourire étrange et sans joie. Si l’on camouflait le bas de son visage, on aurait dit qu’il allait pleurer. Allons bon, avait-elle encore dit quelque chose de travers ? Loin de vouloir s’aventurer sur ce terrain aux allures glissantes, elle baissa les yeux sur sa coupe et se réfugia dans le silence. Elle l’avait suffisamment embarrassé pour ce soir, inutile d’en rajouter. Surtout qu’elle l’aimait bien, leur gentil chef d’équipe, malgré son air un peu coincé.

Ah, qu’elle avait hâte de partir ! Les cauchemars de Catalina se poursuivaient. Ils s’étaient même amplifiés depuis leur dernière séance d’hypnose au sein de l’Agence. Angélica savait qu’elle possédait sa part de responsabilité dans cette situation. Elle espérait que cette rencontre en Uruguay permettrait d’apaiser ces vilains rêves et de chasser, par la même occasion, son sentiment de culpabilité. Si cette tentative échouait, elle aurait bien du mal à se pardonner… et à se faire pardonner. Sa gorge se serra de nouveau lorsque les mots de sa fille aînée lui revinrent à l’esprit :

« C’est ta faute ! lui avait-elle reproché le week-end dernier. Si tu n’avais pas lu dans sa tête, elle irait bien ! »

Salomé avait toujours refusé l’hypnose, qu’elle considérait comme une forme de magie noire… Angélica n’avait jamais réussi à la convaincre du contraire. Et les mauvaises nuits de Catalina – avec qui sa grande partageait sa chambre – n’arrangeaient rien à ses préjugés. Avait-elle eu tort de céder à la curiosité en interrogeant sa cadette sur ses vies antérieures ? Elle le saurait bien assez tôt.

✲°˖✧*✧˖°✲

Après un Noël confortable passé en famille, Angélica rejoignit son collègue à l’aéroport de Tampa. Elle remarqua bientôt que l’absence de langue commune n’empêchait en rien de s’entendre comme larrons en foire : Varun abreuvait Catalina de grimaces, de mimes et tours de passe-passe, et sa fille s’écroulait de rire à chaque fois. Avec un trublion pareil à leurs côtés, le trajet lui parut bien plus court qu’à l’aller lorsqu’elle voyageait seule vers l’inconnu.

Quelques 17 heures plus tard, ils atterrirent, épuisés, à Montevideo.

« Déjà enregistrés en Uruguay ? leur demanda-t-on en espagnol, à la douane.

— Seulement moi, répondit Angélica.

— Papiers s’il vous plaît, pour monsieur et mademoiselle. Lequel de vous deux souhaite passer avec elle, au scanner ? »

Le cœur battant d’appréhension, Angélica lui présenta le sauf-conduit fourni par Denzel. Ce papier priait les autorités de laisser traverser Catalina sans Rhapso-scan, compte tenu du bug qu’elle avait déjà occasionné et sur lequel travaillait les créateurs du système. L’agent allait-il l’accepter ? Devraient-ils faire demi-tour, cette fois encore ? L’homme en tenue formelle saisit le document, le parcourut rapidement, s’attarda sur le sceau officiel de Rhapsody Blue USA et leur dit :

« Excusez-moi une seconde. »

Angélica se décomposa le voyant s’éloigner pour consulter l’un de ses collègues.

« Qu’a-t-il dit ? » demanda Varun, qui ne parlait pas espagnol.

Elle lui traduisit et tous deux retinrent leur souffle, les yeux braqués sur le douanier. Enfin, celui-ci revint, agitant le papier entre ses doigts :

« C’est bon. Pas besoin de Rhapso-scan pour la petite. »

Angélica soupira de soulagement. Elle sourit à sa fille en lui massant l’épaule pour la rassurer, puis hocha la tête en direction de Varun. Ils pouvaient passer !

✲°˖✧*✧˖°✲

Après une courte nuit à l’hôtel, le trio devait déjà reprendre la route. Le soleil était encore bas dans le ciel lorsqu’ils rejoignirent Emilio. Le chercheur les attendait devant les portes, au volant d’une voiture de location.

« C’est aujourd’hui qu’on va à Tralalilas ? demanda Catalina, les yeux tout bouffis de sommeil.

— Ca se prononce Tarariras, cariño[1]. »

Situé non loin de Colonia del Sacramento — vers l’intérieur des terres — le village ne comptait que quelques milliers d’habitants. C’était là que résidait la famille de Marisol, dans un lotissement périphérique. Si prêt de la ville où Angélica aimait autrefois passer ses week-ends, avec Gabriel… Celle, aussi, d’où on l’avait refoulée, avec sa mère et ses filles, quelques mois plutôt.

« Vos ceintures sont bien attachées ? Allons-y ! »

« VrrrrRRRRRR… »

Emilio mit le moteur en marche et les voilà partis. La voiture s’engagea plein ouest, le soleil ascendant dans leur dos, sur une route qui traversait la capitale de part en part. Les yeux plissés par la lumière rasante, Angélica admirait le scintillement des rayons sur le bitume encore humide des pluies de la nuit. C’était l’été en Uruguay ; ils avaient gagné quelques degrés par rapport à la Floride, ce qui n’était pas pour lui déplaire.

« Je peux ouvrir la fenêtre ?

— Bien sûr, allez-y ! »

Ils cheminèrent un moment les narines au vent, jusqu’à ce que le paysage se ruralise et qu’une puissante odeur de fumier s’invite dans leur véhicule. Ils se mirent à rire en fronçant le nez et remontèrent bien vite les quatre vitres.

« Quel est le plan, déjà ? demanda Angélica après une demi-heure de voyage, lorsqu’elle fut un peu plus réveillée.

— Nous avons rendez-vous à 10 h 30, répondit Varun. N’est-ce pas Emilio ?

— C’est bien ça. J’ai répété à la famille ce que vous m’aviez dit : nous sommes des représentants d’une association de prévention du suicide et souhaitons rassembler des témoignages pour améliorer notre action. Votre idée était excellente, Varun. Ils m’ont cru sans problème. J’espère seulement qu’ils se laisseront bluffer jusqu’au bout…

— Et s’ils s’aperçoivent que Varun ne parle pas espagnol ? remarqua Angélica.

— Il n’a pas besoin de parler ni de comprendre. Hein, Varun ? Vous observez, vous prenez des notes.

— Vous serez notre petit stagiaire international ?

— Non, ça ne conviendra pas, protesta le détective. J’aurai peut-être aussi des questions à poser. Ou besoin de communiquer avec vous. »

Il fouilla dans sa poche et en sortit une boîte en plastique blanc.

« Tadam ! Regardez ce que Keitaro m’a offert : une oreillette traductrice ! La même que la sienne. Et je préfère le titre d’observateur étranger, si ça ne vous dérange pas trop.

— Dommage, j’aimais bien l’idée du stagiaire, commenta Angélica, déçue.

— Trop tard, j’ai déjà créé nos cartes de membres pour tous les trois. Tenez, prenez-les avec vous.

— Anaïs Gómez, membre associative de l’APSJU, l’Association de Prévention du Suicide des Jeunes en Uruguay, traduisit Angélica en lisant la carte qu’on lui tendait. Aucune faute d’espagnol. Bravo ! Et donc, je m’appelle Anaïs ?

— Je trouvais ça plutôt sexy, commenta Varun depuis le siège avant. Ça ne vous plaît pas ? »

L’Argentine soupira, faisant voler une de ses mèches de cheveux. Elle laissa quand même percer un sourire pour montrer son amusement. Puis, dans un élan de curiosité, elle se pencha sur la carte du conducteur.

« Eduardo Pereira…

— C’est ainsi que je me suis présenté en téléphonant à la famille, précisa Emilio. Je l’ai inventé à la volée. Ça fait un peu telenovelas[2], vous ne trouvez pas ?

— Si, complètement. À votre tour, Varun, c’est quoi votre nouveau nom ?

— Shahid Kapoor. Un des meilleurs acteurs et danseurs de Bollywood.

— Vous êtes sérieux ? Et s’ils cherchent votre nom sur internet ?

— Mes parents étaient peut-être de grands fans ? Par contre, je vous laisserai vous charger des présentations en espagnol… Ces oreillettes ne fonctionnent malheureusement que dans un sens.

— Je m’en occupe, proposa Emilio. Il faut juste que je mémorise vos alias… »

L’Uruguayen répéta leurs noms en boucle pendant quelques minutes, les yeux rivés sur la route. Pendant ce temps, Angélica caressait les cheveux fins de Catalina endormie sur ses genoux. Elle surprit un regard attendri de Varun.

« Pour la demoiselle, ce sera plus délicat. Nous pourrions prétendre que les centres de loisirs sont fermés pendant les fêtes, et que vous n’avez trouvé personne pour la garder aujourd’hui… ou quelque chose comme ça.

— Ce n’est pas un peu bancal ?

— Un peu. Mais si vous avez une meilleure idée, je suis prêt à l’entendre.

— Ça commence à faire beaucoup de mensonges… »

Varun haussa les épaules.

« On le savait avant de venir. Et puis on ne fait rien de mal. Au pire, ils nous jettent dehors…

— Et s’ils appellent la police ?

— Angélica… Tout ira bien, insista l’Indien. Faites-moi confiance. C’est mon métier… »

Lèvres portées vers l’avant en une moue contrariée, elle reporta son regard vers la fenêtre et resta silencieuse un moment, perdue dans ses pensées. Le paysage ici n’était pas si différent de la campagne où elle vivait, enfant. De petites maisons blanches sans étage et aux toits sans relief. Et cette ferme-là, sur le bas-côté de la route… On aurait dit celle de ses grands-parents, où elle passait plus de temps que dans l’appartement étriqué de ses parents. Elle se rappelait de ses soirées dans le jardin, sous le ciel nocturne. Son grand-père sortait son vieux télescope et leur racontait les étoiles, à elle et leur petit voisin du même âge toujours fourré chez eux – quand ce n’était pas l’inverse.

Gabriel… Es-tu vraiment parti les rejoindre ? Es-tu redescendu des cieux ? Où es-tu, à présent ?

Pour meubler le silence, Emilio alluma la radio, à faible volume pour ne pas réveiller Catalina. Et quelques 150 km plus tard, ils parvinrent enfin à Tarariras.

Le conducteur gara la voiture sur un terrain vague proche de l’endroit indiqué par le GPS. Avant d’ouvrir la portière, Angélica observa les environs. La nature, ici, prenait plus de place que le béton. Une nature assez plate, laissant une large part au ciel qui s’étalait en grand conquérant au-dessus de leurs têtes. Pas un bruit, à part celui des oiseaux et d’un chien dans un jardin proche. Angélica sourit. Son cœur se gonfla d’impatience, tandis que sa nuque se raidissait sous l’effet de la nervosité.

« Allez cariño, réveille-toi, on est arrivés, murmura-t-elle à sa fille.

— Vous n’êtes jamais venue ici, pas vrai Angélica ? demanda l’indien en sortant du véhicule.

— Non. Mais j’ai séjourné plusieurs fois dans une ville plus au sud, proche de la mer. Colonia del Sacramento. C’est très mignon. Et tranquille… Vous connaissez, Emilio ?

— Oui, mais je n’y ai jamais mis les pieds.

— Vos séjours là-bas, c’était avant la naissance de la petite ?

— Tout à fait. Catalina n’a pas pu rentrer en Uruguay… comme vous le savez.

— Vous souvenez-vous de la date exacte ?

— Voyons… La dernière fois, ce devait être en été ? Quelques mois avant sa naissance. »

Varun hocha la tête d’un air très sérieux, puis claqua sa portière. Angélica se para d’un rictus moqueur.

« Vous pensez qu’on attrape une âme comme on attrape un rhume ? On se promène, enceinte, et hop ! Sur le chemin, un esprit lassé de tourner en rond nous repère et prend possession de notre fœtus ?

— Et pourquoi pas ? C’est ce que suggèrent nos études, non ? Les parents de Darshan avaient séjourné à Yokohama pendant la grossesse de madame… Les deux Américains vivaient proches l’un de l’autre…

— Vous oubliez le cas français, intra-familial.

— Qui dit intra-familial, dit souvent proximité géographique, fit remarquer le chercheur.

— Certes. Il n’empêche que je trouve l’idée très dérangeante… »

Elle se détourna en grimaçant. D’où venait son dégoût, au juste ? Probablement du fait que le phénomène, ainsi présenté, se rapprochait un peu trop du viol à son goût. Emilio rit de sa déconfiture. Varun rajouta son grain de sel :

« Chez moi, on considère que la réincarnation, c’est comme échanger un vieux vêtement contre un neuf… »

Angélica l’observa un instant, cherchant à savoir s’il la faisait marcher ou non. Apparemment, non.

« On devrait peut-être conseiller aux femmes enceintes d’éviter de s’approcher des prisons ? suggéra Emilio. Qui sait quel genre d’esprits errants rôde aux alentours… »

L’Indien acquiesça vivement, agitant l’index de sa main droite à la manière d’un donneur de leçons.

« Aaah ça suffit vous deux ! gronda Angélica. Vos histoires me filent la nausée. Quelle heure est-il ? On va être en retard… »

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Partie 2 (du chapitre 15)

TW : j'évoque le suicide ici, mais sans le décrire

Mardi 28 décembre 2032

Madame Rodriguez était une petite femme ronde aux cheveux frisés tirés en arrière. Ses vêtements amples et colorés dégageaient une faible odeur de tabac. Et dans sa main, elle tenait une canne sur laquelle elle s’appuyait. Tout en elle respirait le calme et la bienveillance. Angélica en avait rencontré des dizaines au profil similaire – à croire que la bonhomie des campagnes ne connaissait aucune frontière. Cette femme aurait pu être sa voisine, lorsqu’Angélica gambadait encore pieds nus dans les champs de ses grands-parents.

« Hola, hola ! Bienvenidos ! Pasa, pasa », les accueillit-elle en espagnol.

Angélica et sa fille s’engagèrent les premières, suivies d’Emilio. Varun fermait la marche.

« Hola ! Excusez-nous de vous déranger pendant les fêtes. Votre sapin est magnifique ! »

Cette fois encore, Angélica se réjouit de ne pas correspondre au profil type de la Porteña[3] – arrogante et dédaigneuse. Même si elle avait déménagé à Buenos Aires, son éducation rurale lui permettait de jouer la carte de la sympathie en Uruguay. D’ailleurs, elle s’avança pour lui faire la bise comme le voulait la coutume, même avec les parfaits étrangers.

« N’est-ce pas ? s’exclama Mme Rodriguez, soudain rayonnante. J’ai laissé faire les garçons, ils s’en sont plutôt bien sortis ! Je vous en prie, entrez… Tiens, bonjour toi ! Comment tu t’appelles ?

— Catalina, répondit la petite en souriant de toutes ses dents. »

Angélica jeta un regard inquisiteur sur sa fille. À première vue, celle-ci ne semblait pas reconnaître ce qui devait être « sa mère dans une vie antérieure ». Absolument rien, dans son expression ou dans ses mots, ne changeait de d’habitude – contrairement aux expériences relatées dans le livre de Stevenson. Elle avait espéré un éclair de lucidité. Un « bonjour maman ! » sorti des tréfonds de la mémoire de sa fille. Ou bien un geste tendre, des bras tendus pour réclamer un câlin. Mais non, rien de tout cela. Déception…

« Je suis navrée, expliqua-t-elle à la maîtresse de maison, je n’ai pas réussi à la faire garder aujourd’hui…

— Ça n’a pas d’importance… Tu veux aller jouer avec les garçons, Catalina ? Ils sont dans leur chambre. Viens, je vais te les présenter. Asseyez-vous, je reviens tout de suite. »

À regret, Angélica laissa sa fille s’éloigner – elle aurait aimé l’observer tout au long de leur séjour ici. Elle obéit néanmoins et passa au salon avec les autres. La pièce à vivre, quoique spacieuse, ne contenait que des meubles bon marché. Quant à la déco, elle se résumait à quelques vases emplis de fleurs des champs, guirlandes de noël et panneaux muraux couverts de photos et dessins d’enfants. En examinant l’un de ces panneaux, Angélica reconnut Mme Rodriguez, ainsi que ses deux garçons âgés d’environ 5 et 9 ans. Elle distingua aussi leur père, grand et plutôt bel homme aux cheveux grisonnants. Les deux fils semblaient bien dans leur peau, comme l’attestaient l’expression de leurs visages et les thématiques de leurs dessins.

« Là ! s’exclama Varun en indiquant l’un des clichés aimantés sur le frigidaire. Ce doit être elle… Marisol. »

Angélica s’approcha et vit une adolescente un peu boulotte, aux lunettes rondes et aux cheveux frisés coupés court. Il s’agissait d’une photo de famille prise à l’occasion d’un anniversaire — un gâteau orné d’une quinzaine de bougies occupait le centre de la table. 15 ans… Quelques mois avant son suicide, calcula-t-elle en se remémorant son dossier. Un seul de ses frères se tenait près de l’ado, pas beaucoup plus âgé que Catalina. Le plus jeune n’était peut-être pas encore né ? Le bruit de canne de Mme Rodriguez sonna le glas de leur petite investigation. Avant qu’elle ne réapparaisse dans le salon, ils revinrent tous vers le sofa pour l’y attendre sagement.

Une fois le thé et les biscuits servis, les invités tendirent leurs fausses cartes de membre :

« Eduardo Pereira, c’est moi que vous avez eu au téléphone », expliqua Emilio en espagnol.

Le chercheur présenta ses collègues et rappela le but de leur visite. Même si leur hôte ne semblait ni surprise ni soupçonneuse, Angélica se sentait mal à l’aise. Elle réalisa qu’elle se triturait les doigts, et se força à poser ses paumes bien à plat sur ses genoux et à calmer sa respiration.

« Enchantée, réitéra Mme Rodriguez avec un sourire accueillant. Je vous en prie, servez-vous. »

Angélica saisit un biscuit et mordit dedans. Des alfajores à la confiture de lait, comme les faisait sa grand-mère. Croustillant dehors, fondant à l’intérieur… La nostalgie l’envahit dès la première bouchée.

« Même si les événements remontent à plusieurs années, reprit Emilio, de mauvais souvenirs pourraient resurgir. À tout moment, si vous souhaitez mettre fin à notre conversation, dites-le-nous sans hésiter.

— J’ai compris. Mais ça ira… Si je peux éviter à d’autres ados de finir comme Mari, je tiens à faire cet effort.

— Très bien. »

Mari… Marisol… Mariposa. Angélica se demanda encore une fois si le nom de papillon dont s’était dotée sa fille correspondait à un souvenir de vie antérieure ou à une simple coïncidence liée à ses jeux. Son ancien nom, telle une lointaine réminiscence, lui était peut-être parvenu déformé par l’expérience de la réincarnation ?

« Parlez-nous de votre fille, suggéra-t-elle à la mère. Comment était-elle ? »

L’interrogatoire commença et se poursuivit deux bonnes heures. Mme Rodriguez brossa le portrait d’une ado de 14 ans, mal dans son corps, mais passionnée par le chant lyrique. Comme il était impossible de dénicher des cours dans leur campagne reculée, elle s’entraînait seule dans sa chambre à l’aide de vidéos trouvées sur internet. Elle avait peu d’amies, même s’il lui arrivait de ramener des camarades à la maison. Parfois, sa mère les entendait chanter. Le rêve de Marisol était de se produire sur scène et devenir professionnelle. Elle attendait impatiemment de rentrer au lycée, à Montevideo, pour commencer à prendre des cours. Et puis un jour – d’après ce qu’avait raconté une des jeunes amies de Marisol à sa mère – elle se serait filmée en train de chanter, puis aurait mis en ligne sa vidéo. À partir de là, tout avait dégringolé.

« Elle ne nous a jamais parlé de cette vidéo ni des réactions qu’elle a suscitées dans son école, des moqueries et tout le reste. Simplement, elle n’avait pas l’air bien. Elle mangeait peu. Elle s’isolait et paraissait perdue dans ses pensées en permanence. Elle se désintéressait de tout. Je me souviens que Jorge, son père, la taquinait en lui demandant si elle était amoureuse ! Il était si loin de la vérité… Je ne sais pas si elle avait trop honte pour nous en parler. Ou si elle craignait qu’on ne la gronde pour avoir diffusé son image sur internet, car je lui ai toujours interdit de faire ce genre de choses. Finalement, elle a préféré gérer ses problèmes seule, et quitter ce monde, plutôt que de nous appeler au secours… »

Mme Rodriguez s’interrompit, des sanglots dans la voix. Elle tendit la main vers une boîte à mouchoir. Angélica l’observa d’un air désolé, tandis que son esprit prenait le large.

Le chant lyrique ? Il est vrai que Catalina passait son temps à fredonner lorsqu’elle dessinait ou s’occupait les mains. Mais de là à y voir une correspondance… Chantonner pendant une activité constituait un comportement classique des enfants de son âge. En tant que psychologue, elle le savait parfaitement et se reprocha son manque de discernement ; malgré son implication dans l’affaire, elle devait résister à la tentation de tout interpréter en faveur de la théorie qui l’arrangeait le plus.

« Excusez-moi, articula leur hôte en fourrant son mouchoir usagé dans une poche.

— Aucun problème, la rassura Angélica. Prenez votre temps. Nous savons que c’est difficile…

— Est-ce que… est-ce que vous aimeriez voir des photos ?

— Avec plaisir. »

Et voilà, même pas besoin de réclamer ! Malgré la peine qu’elle ressentait pour cette mère endeuillée, Angélica apprécia son offre : ces clichés révéleraient peut-être les similarités qu’elle espérait découvrir ? Et puisqu’elle le proposait si gentiment, pourquoi refuser ?

Pendant que leur hôte allait fouiller dans un tiroir, Catalina débarqua dans le salon, tout excitée. Elle tenait quelque chose dans sa main.

« Mamá, je l’ai retrouvé ! Mon rossignol… »

Angélica baissa les yeux sur l’objet que lui tendit sa fille : un pendentif en forme d’oiseau perché sur le rebord d’une cage ouverte. Une fine chaîne en argent permettait de le pendre à son cou.

« Catalina, enfin… Va reposer ça. Ce n’est pas à toi, gronda sa mère à voix basse.

— Attendez ! Que… Qu’est-ce qu’elle a dit ? intervint Mme Rodriguez, figée dans une position pas très gracieuse au-dessus d’un tiroir. Qu’as-tu dit, nena[4] ?

— Mon rossignol, répéta Catalina, penaude, en resserrant sa prise sur le bijou. »

Le visage de l’Uruguayenne se décomposa d’un coup. Elle s’appuya sur la commode pour conserver l'équilibre, mais s’emmêla les pieds, s’écroula en arrière et tomba sur son postérieur. Sa main droite se porta à sa bouche tandis qu’elle fixait Catalina avec de grands yeux ahuris.

« Qui êtes-vous ? »

Tous les regards se tournèrent vers l’enfant, puis sur l’objet qu’elle tenait. Au moment où Emilio se leva pour proposer son bras à Mme Rodriguez, Angélica sentit un pied cogner contre le sien sous la table basse. Varun…

« Je… Ahaha ! Excusez-nous, réagit-elle aussitôt. Catalina possède un bijou similaire… Je suis sûre qu’il est dans ta chambre, cariño. Rends celui-ci, ce n’est pas le tien. »

Sa fille gémit, l’air boudeur, tout en éloignant le pendentif de sa mère.

« Elle peut le garder, offrit Mme Rodriguez en s’appuyant sur Emilio pour se redresser.

— Mais voyons, c’est un objet précieux pour vous… n’est-ce pas ?

— Oui, mais je… préfère le lui laisser. Après tout, c’est elle qui l’a retrouvé… Et comme Mari, elle a perdu le sien. J'aimerais qu'elle l'emporte, si ça ne vous dérange pas.

— Dans ce cas, je vous remercie. Tu entends, Catalina ? Dis merci, toi aussi.

— Merci, madame…

— Mari… Elle l’aimait tellement, son rossignol ! Il n’y avait qu’elle pour l’appeler ainsi, mais les garçons le savent, ils ont dû le dire à Catalina. Moi j’ai toujours pensé qu’il ressemblait à un corbeau… Pardonnez ma réaction, je ne m’y attendais pas.

— Il n’y a pas de mal, je comprends. »

Angélica examina le bijou d’un peu plus près. Un rossignol ? L’oiseau en argent lui évoquait plutôt un pigeon bien en chair.

« Où l’as-tu trouvé, chiquita ?[4] lui demanda la mère des garçons.

— Dans les coquillages.

— Pardon… ? »

Catalina pointa le couloir du doigt. Tous la suivirent vers l’ancienne chambre de Marisol, aujourd’hui occupée par son frère cadet. Installés dans la pièce voisine, les garçons lâchèrent leurs jouets et se rapprochèrent.

« Mamá, dit l’aîné, Catalina a retrouvé le collier de Mari ! Elle a voulu voir la chambre d’Alberto… et puis elle a fouillé dans son bocal à coquillages. Dedans, elle a trouvé un papier plié… le collier était à l’intérieur ! C’est incroyable parce qu’elle n’a rien touché d’autre… et qu’elle répétait “il est où, il est où ? Petit rossignol !” »

Angélica posa son regard sur une sorte de bocal à poissons de forme arrondie, posé au bas d’une étagère. Il était rempli à ras bord de coquillages torsadés. Non loin, sur la moquette, reposait le papier froissé. Elle se pencha pour l’examiner, puis tendit le morceau de feuille quadrillée à la mère de Mari :

« On dirait qu’il y a quelque chose d’écrit derrière. »

Mme Rodriguez appuya sa canne contre le mur, retourna le papier et la parcourut en silence. Ses yeux s’embuèrent, ses lèvres tremblèrent. Elle se couvrit la partie basse du visage et renifla. Quand elle eut terminé, elle voulut leur lire à voix haute, mais sa voix flancha. Elle rendit le mot à Angélica qui s’en chargea :

« Petit rossignol, je te promets de tout faire pour réaliser mon rêve. Et ce jour-là seulement, je te laisserai de nouveau te pendre à mon cou. »

✲°˖✧*✧˖°✲

Ce soir-là, et pour les quelques nuits suivantes, Emilio les avait invités à dormir dans l’appartement qu’il partageait avec sa femme au cœur de Montevideo. Il proposa la chambre d’amis à Angélica et sa fille, et le canapé du salon à Varun. Lors du dîner, ils fêtèrent ensemble le succès de la journée, tout en couvrant Catalina de câlins, de questions, de sourires et de compliments divers. Celle-ci, sans vraiment comprendre pourquoi, semblait ravie d’être au centre de l’attention.

« C’était bien Tralalilas ! Dis, mamá, on pourra y retourner ?

— Je ne sais pas, querida. On verra… Il te plaît, ton collier ?

— Oui, beaucoup ! Il m’avait manqué, tu sais. C’était drôle de le retrouver là-bas. »

Angélica retint son souffle, comme tous les autres à table. Ils se croyaient remis du choc de l’après-midi, mais cette remarque leur prouva le contraire. Catalina n’avait jamais possédé un tel bijou, ce qu’elle avait confié en aparté à ses collègues.

« Peut-être que le rossignol avait envie de voyager, suggéra Angélica, brisant le silence.

— C’est tout de même incroyable, s’émerveilla Consuela, la femme du chercheur. Tu es incroyable, répéta-t-elle à Catalina directement. »

Celle-ci se fendit d’un immense sourire et laissa échapper un rire excité. D’une main, elle jouait avec son oiseau en argent.

« Tss, petit clown… Vous étiez au courant depuis le début, pour notre mission ? demanda Angélica en se tournant vers la femme d’Emilio.

— Pas depuis le début, mais assez vite, je crois.

— Au diable, cette charte de confidentialité, réagit le chercheur. Je ne cache rien à ma femme. Consuela sait garder un secret, j’ai toute confiance en elle pour ne pas divulguer l’information. »

Au temps pour Denzel. S’il l'apprenait  ! Angélica n’aurait jamais imaginé Emilio capable de déroger ainsi au règlement. Jusque-là, il lui avait paru si rigide, si protocolaire… Moins que Keitaro, mais tout de même.

Le repas terminé et la table débarrassée, Emilio et son épouse partirent se coucher assez vite. Angélica en profita pour mettre sa fille au lit – Catalina s’était endormie sur le canapé avant même de passer au dessert. Normal, il était déjà tard. Elle-même n’avait pas sommeil et choisit de tenir compagnie à Varun qui semblait d’humeur à prolonger la fête. Une bouteille de vin bien entamée trônait encore au milieu de la table. Chacun s’en resservit un verre, avant d’étaler devant eux les photos de Marisol, cédées par sa mère.

« Aucune ressemblance physique, pas vrai ? C’est étrange de se dire qu’autrefois…

— Non, vous vous trompez, rétorqua l’Indien. Catalina n’est pas la continuité de quelqu’un d’autre. Elle a sa propre personnalité. Les hindous, en tout cas, ne considèrent pas que l’ego se transmet lors de la réincarnation.

— Mais alors, pourquoi semble-t-elle conserver des souvenirs ? Ou des gestes, comme cette main sur son cou… Je ne peux pas m’empêcher de relier ça à la façon dont Marisol s’est… supprimée.

— Peut-être qu’ils sont stockés là, quelque part, dit-il en indiquant son cerveau. Peut-être qu’ils dorment, enfouis dans un tiroir poussiéreux, oubliés avec le temps, comme beaucoup de nos souvenirs d’enfance. Mais je ne pense pas qu’ils influencent qui nous sommes, ou ce que nous devenons. »

Angélica prit l’une des photos dans ses mains, l’examina plus attentivement, puis secoua la tête ; elle n’y trouva pas ce qu’elle cherchait. Varun avait sans doute raison. Cette jeune fille n’était pas Catalina. Il s’agissait de deux personnes distinctes, à l’histoire et au caractère différents. Leur destin n’était pas lié. Quelque part, elle en fut rassurée. Et en même temps, elle aimerait qu’il en soit autrement, si Gabriel s’était lui aussi réincarné.

« Alors, vous y croyez maintenant ? Pour de vrai ? demanda Varun.

— Je pense que oui. Impossible de rejeter ce que j’ai vu et entendu aujourd’hui… »

L’Indien la regarda d’un drôle d’air et lui sourit. Mal à l’aise, Angélica baissa les yeux. Elle saisit sa coupe du bout des doigts et but une gorgée pour dissimuler son embarras. Varun avait sans doute un peu trop bu, rien de plus. Lorsqu’elle reposa son verre, elle sentit la main de son collègue se poser sur la sienne. Avant qu’elle n’ait pu réagir, il s’était rapproché pour presser sa bouche contre ses lèvres.

Paralysée par la surprise, elle mit deux bonnes secondes à réagir. Quand elle retrouva le contrôle de son corps, elle s’écarta d’un mouvement vif et de sa main libre claqua le visage de son voisin. La coupe bascula, menaçant de répandre son liquide rouge sur la nappe immaculée ; Varun la saisit juste à temps, l’autre main sur sa joue écarlate.

« Ne refaites plus jamais ça. Je ne sais pas ce qui vous a pris…

— Je suis désolé. J’ai cru que… je ne sais pas. Que vous en aviez envie aussi. »

Angélica lui jeta un regard perplexe.

« Je ne comprends vraiment pas si ce qui vous a fait croire ça. Il n’y a qu’un seul homme dans ma vie, il s’appelle Gabriel. La place n’est pas à prendre et ne le sera jamais. Bonne nuit… »

Sur ces mots, elle se leva et tourna sèchement les talons pour rejoindre sa chambre. Varun n’essaya pas de la retenir.

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Notes de bas de page :

1. “Chéri ou chérie” en espagnol. Signifie également « tendresse » ou « affection ».

2. Feuilletons télévisés produits essentiellement dans les pays d'Amérique latine.

3. Habitante de Buenos Aires. Ce terme peut avoir une connotation négative dans la bouche des Uruguayens, qui distinguent l’Argentin de la capitale et celui de l’intérieur, jugé plus simple et sympathique.

4. Surnom affectueux fréquemment donné aux enfants en Uruguay.


Texte publié par Natsu, 5 avril 2021 à 11h06
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