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tome 1, Chapitre 77 « L'espoir d'une issue » tome 1, Chapitre 77

Le petit homme baisse la tête, en proie à la honte, ou peut-être juste à l’hésitation. Au bout d’un long moment, il relève les yeux. Ses joues flasques tremblent comme de la gelée.

— Vous ne direz rien à personne ? C’est promis ?

Charles se détend un peu ; sa silhouette paraît moins impressionnante. Je me relâche également. Sans m’en apercevoir, je m’étais crispée, gagnée par la tension ambiance.

— Nous ne dirons rien ! déclare solennellement Charles. Nous allons quitter le Palluet pour ne plus y revenir. D’ailleurs, rien ne m’y retient…

Castanier s’immobilise, perplexe :

— Mais… ton père…

Le jeune homme prend une profonde inspiration, avant de répondre :

— Tu ne sais pas ce qui est arrivé à la Garette ?

— La Garette ? répète le fossoyeur. Il s’est passé quoi ?

— La maison a entièrement brûlé. Quelqu’un y a mis le feu. Mon père… devait se trouver à l’intérieur.

Il n’a pas besoin de se forcer pour rendre ses paroles crédibles. Après tout, la douleur a été réelle, pendant un long, trop long moment, et même si Célestin est sain et sauf, elle stagne toujours au fond de sa poitrine.

Les yeux de Castanier s’élargissent, horrifiés.

— Elle a fait ça… marmonne-t-il.

Je n’ai aucun doute sur l’identité de cette « elle ». Même si les gens s’évertuent à voir en moi une sorcière, ce digne qualificatif conviendrait mieux à une femme coiffée d’un foulard pourpre. Une femme qui dissimule une sculpturale beauté sous ses oripeaux de paysanne. Une femme dont le cœur brisé s’est transformé en un chaos de feu et de glace.

Je pose la main sur le bras de Charles ; il comprend mon intention et reste silencieux, même si ses poings se crispent. Quand je reprends la parole, j’essaye de garder ma voix aussi douce et persuasive que possible :

— Pourquoi l’avez-vous suivi, monsieur Castanier ? Vous n’êtes pas quelqu’un de mauvais, j’en suis certaine. Vous n’avez tué personne.

C’est un espoir plus qu’une question. Il relève la tête et me répond en se tordant nerveusement les mains :

— C’est moi qu’ai tiré sur vot’voiture. Et sur celle de m’sieur le maire. Pas pour le tuer. Juste pour qu’il ait un accident. Mais il a lâché l’volant et la voiture s’est écrasée dans l’fossé.

Un goût de bile remonte dans ma gorge, mais je m’oblige à rester calme.

— Personne ne le sait. Et puis ce n’est pas comme si vous aviez cherché réellement à le tuer ! Vous ne vouliez faire de mal à personne !

— Non. C’est elle qui m’a forcé !

À côté de moi, Charles se retient de bouger, de parler. Est-ce que j’aurais autant de sang froid que lui, face au meurtrier de mon oncle – quand bien même le dit oncle ne l’estimait pas digne de sa famille ? Je n’en suis pas persuadée. Malgré tout, c’est un homme intelligent. Il comprend mon intention. Une fois que nous serons libres, il pourra faire comme il l’entend. Exiger la justice pour ceux qui ont été tués ou ont failli l’être, ou mettre autant de distance que possible entre lui et cet endroit maudit. Sa main vient prendre la mienne pour la serrer. Je réponds à son geste, avant de poursuivre :

— Nous le savons, monsieur Castanier…

Je conserve cette voix apaisante, emplie de douceur factice, en espérant que Castanier restera dupe aussi longtemps que nécessaire. La décision finale ne m’appartient pas, de toute façon.

— Vous ne voulez pas causer d’autres morts, n’est-ce pas ? Si vos amis nous retrouvent, que se passera-t-il, à votre avis ?

La façon dont le fossoyeur baisse la tête et se frotte le nez en dit long. Quand il se redresse, un soupir s’échappe de sa poitrine :

— Bon, c’est d’accord. J’vais vous dire par où passer.

Il s’approche de la fenêtre opposée au cimetière et tend le doigt à travers le fin treillage de pierre.

— Si vous allez par là, y’a un chemin qui va vers le canal. C’était juste un boyau, mais les anciens ont fait couler l’eau du lac dedans. Il rejoint la rivière après l’endroit avec l’plafond trop bas…

Je ne peux m’empêcher d’éprouver un peu de curiosité :

— Comment les bateaux sont-ils acheminés de nouveau vers le Palluet ?

— On les laisse filer sous l’plafond, ça n’est comme ça qu’sur vingt mètres… Ensuite, y’a comme un filet pour les récupérer, avant le canal. Si vous rejoignez la rivière, y’a une sortie un peu plus loin, une sorte de port. Après, la rivière fait comme une boucle, un peu avant la maison de ma’mzelle Armance. Y’a un autre canal là, avec comme une écluse pour retourner dans la boucle.

Oui, cela fait sens. Tout un réseau particulièrement complexe de routes aquatiques et souterraines, qui permettent de se mouvoir, ni vu ni connu, sous la campagne environnante.

Charles demeure silencieux, sans doute parce qu’il ne se fait pas confiance et qu’il craint de déverser sa colère sur le fossoyeur. Certes, son rôle dans l’affaire a été secondaire, mais il n’en reste pas moins le meurtrier de son oncle et le complice d’Éva. La peur n’excuse pas tout !

J’esquisse un sourire forcé.

— Conduisez-nous, monsieur Castanier. Je vous en prie…

Je ne reconnais pas ma voix… suppliante, enjôleuse, avec cette pointe de désespérance qui n’existe que dans le ton de ceux qui plaident pour leur vie. C’est alors que je la vois, comme reflétée dans les yeux de l’homme en face de moi.

Armance.

En cet instant, je dois lui ressembler plus que jamais. Je n’ose même pas regarder Charles. Quant à Castanier, je ne saurais dire s’il rougit ou blêmit, dans la pâle lueur qui nous environne.

Ses prunelles brillent comme celles d’un rongeur effrayé.

— J’vais vous conduire, murmure-t-il au bout d’un moment.

— Est-ce que nous pouvons vous faire confiance ?

L’intervention de Charles fait sursauter le fossoyeur. Il opine frénétiquement :

— Oui, oui, bien sûr !

Malgré son zèle, je demeure méfiante, comme Charles, sans nul doute.

— Attendez, souffle Castanier, j’vais voir s’ils sont là…

Avant que nous puissions réagir, il s’est lancé vers la sortie de la chapelle, non pas la porte latérale que nous avons empruntée, mais le portail principal. Sa silhouette disparaît dans la pénombre entre les bancs de pierre, puis il reparaît brièvement dans l’encadrure après avoir poussé le lourd battant. Nous voyons son bras de lever et gesticuler comme pour nous faire signe de le rejoindre. Après tout, nous n’avons pas grand-chose à perdre. J’attrape le poignet de Charles et je l’entraîne vers l’extérieur et, je l’espère, vers la liberté.


Texte publié par Beatrix, 12 mai 2022 à 01h23
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