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tome 1, Chapitre 67 « Un campement sous terre » tome 1, Chapitre 67

Finalement, c’est Charles qui pique du nez, même si je suis certaine qu’il prétendra le contraire. Les coudes sur les genoux, il pourrait tout aussi bien s’abîmer dans la contemplation d’un sol qu’il ne voit pas. Du moins, c’est ce que je distingue de sa silhouette, à peine visible dans la lumière de la lanterne, baissée au maximum et recouverte par sa veste. Je pourrai secouer mon compagnon pour le réveiller, mais je refuse qu’une nouvelle fois, il se sacrifie pour moi. S’il peut fermer les yeux une dizaine de minutes, ce sera déjà ça de pris.

Le temps s’écoule, goutte à goutte, tandis que mon regard erre sur les illusions qui peuplent l’obscurité. Il est étrange de songer que si aucun homme n’avait jamais mis le pied dans cet endroit, il serait resté plongé dans le noir absolu, de toute éternité. Une fois encore, je me demande ce que je fais là, même si je suis parfaitement consciente que c’est ma propre volonté qui m’a conduite dans ce lieu improbable.

J’envie Charles de pouvoir se laisser aller ; même si je le voulais, je ne parviendrai pas à fermer l’œil. Je guette la moindre lueur ; mes oreilles demeurent à l'affût des bruits les plus tenus. Plusieurs fois, je me tends malgré moi, pour découvrir qu’il s’agit d’une fausse alerte. Les sons les plus anodins semblent résonner à l’infini dans le réseau de cavernes.

Au bout d’un long moment, je décide qu’il est temps de repartir. Je m’apprête à secouer Charles, quand il se redresse de lui-même, comme s’il avait pu lire mes pensées. Je le sens plus que je ne le vois se tourner vers moi.

— Vous êtes prête à y aller ? Vous avez pu vous reposer ?

Je n’en suis pas si sûre ; malgré tout, je réponds avec autant d’assurance que possible :

— Cela va mieux, merci.

— Bien.

Charles se lève et reste aux aguets pendant un instant avant de dévoiler la lanterne.

— Venez. Nous ignorons combien de temps nous devrons encore marcher. Au moins, nous savons que c’est une route fréquentée et qu’elle mène forcément quelque part.

Est-ce que je dois m’en sentir soulagée ou, au contraire, m’en inquiéter ? Je ne sais ce qui est le pire, entre se perdre dans l’obscurité et se retrouver face à des individus hostiles, comme ceux auxquels nous avons réussi à échapper.

Nous reprenons notre voyage silencieux, en plaçant un pied devant l’autre, comme des automates. Le froid humide s’insinue toujours davantage dans l’étoffe de mes vêtements, le cuir de mes chaussures. La faim et la fatigue grignotent ce qui subsiste de mes forces.

Puisant dans le peu d’énergie qu’il me reste, j’allonge le pas pour m’avancer à la hauteur de Charles :

— Savez-vous quelle heure il est ?

— Vous voulez vérifier ?

Il tourne la lanterne dans ma direction pour que je puisse examiner l’écran de mon bracelet-montre. Nous approchons de sept heures du soir.

— Alors ?

— Il est moins tard que je le pensais, mais nous n’avons rien mangé depuis le petit déjeuner. Il faudrait faire une pause pour nous restaurer et dormir un peu.

— Dormir ? Ici ?

Même si je ne les vois pas, j’imagine que les sourcils de Charles se sont haussés d’étonnement. Je me rattrape maladroitement :

— Pas ici même ! Mais dès que nous serons dans un lieu adéquat !

— Encore faut-il en trouver un… Il serait trop dangereux de s’endormir à découvert.

Je ne peux que me ranger à sa remarque.

— Nous allons continuer, reprend-il. Rien ne dit que nous n’aurons pas de bonnes surprises.

— Je l'espère...

Mon ton doit vraiment lui sembler désolé, car il passe un bras autour de mes épaules.

— Je vous soutiendrai si c’est nécessaire.

Je me dégage, mi-offusquée, mi-attendrie.

— Ça ira, je peux marcher !

Au bout d’une demi-heure, la chance nous sourit un peu. Nous nous retrouvons dans une nouvelle salle qui donne sur plusieurs boyaux. Derrière une volée de stalactites et de stalagmites, une petite source sourde du mur pour alimenter une mare peu profonde. Un âtre encore empli de cendre, entouré de tables et chaises, occupe le centre de l’espace principal.

Charles parcourt la pièce en examinant chaque recoin. Il me fait signe de le rejoindre, et s'engouffre dans l’un des embranchements : ce n'est qu'un cul-de-sac, au fond duquel ont été entassés divers matériaux.

— Nous pourrions nous installer ici, ça a l’air assez discret. En restant en arrière du tas de bois, nous pourrions passer inaperçus même s’il y a de la visite. Si vous ne ronflez pas trop fort, bien entendu.

— Je ne ronfle pas !

En dépit de ma protestation, un doute me saisit soudain :

— Quand j’ai dormi chez vous… est-ce que j’ai ronflé ?

Il ne peut s’empêcher de rire, un son qui me réchauffe le cœur.

— Je préfère me taire. En attendant, que diriez-vous de monter notre camp ?

— Dans ce trou ?

— Au moins, nous serons dissimulés à la vue des intrus.

Il marque une pause avant de poursuivre :

— Nous pouvons en profiter pour dîner, mais je crains que nous soyons obligés de manger froid. Avez-vous pensé à prendre des couverts ?

— Deux cuillères. Je ne voulais pas trop me charger.

— C’est parfait. J’ai mon couteau sur moi. Cela nous suffira bien.

Il s’autorise un petit sourire :

— Au cas où vous n’en auriez pas emporté, il nous restait toujours ma cuillère en bois. Je vous l’aurais prêtée sans problème.

Je me demande s’il s’agit d’un témoignage de confiance exceptionnel, en langage Noual.

C’est sans doute le repas le plus insolite que j’ai jamais connu. Charles ouvre la boîte de haricots à l’aide de son couteau et me la tend. Contre toute attente, je ne trouve pas cela si mauvais – peut-être parce que je suis affamée. Pendant ce temps, il coupe quelques tranches du pain qui commence à souffrir de l’humidité du lieu. Après avoir passé à mon compagnon la seconde moitié de la boîte, je débouche la gourde pour avaler quelques gorgées d’eau. Nous terminons notre dîner par des biscuits avant de nous installer pour la nuit.

Charles fabrique une sorte de paillasse de bois pour nous isoler du sol, tout en m’expliquant, d'un ton gêné, qu’il a cru voir ce qui ressemblait à des latrines derrière un mur de stalactites.

Il doit être environ neuf heures du soir, et je me sens aussi épuisée que si j’avais enchaîné les nuits blanches. Après avoir éteint la lanterne, nous nous allongeons côte à côte, non sans hésitation. Le froid humide de la caverne dissipe rapidement notre réserve. Avec une seule couverture, nous sommes obligés de nous serrer l’un contre l’autre ; ou plutôt, compte tenu de notre différence de corpulence, c’est moi qui me blottis contre lui. Il m’a tourné le dos pour ne pas me placer dans une situation embarrassante. La chaleur de son corps m’offre un peu de réconfort ; je crains de ne pas pouvoir lui rendre la pareille, mais j'apprécie sans doute plus que je ne le devrais cette proximité.


Texte publié par Beatrix, 22 avril 2022 à 01h14
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