NdA : à la suite des retours sur ce chapitre, j'ai réécrit cette scène et la fin du 35 a changé - il s'agit de la partie qui se trouve sous le trait continu. Pour celles et ceux qui n'ont pas encore lu ce chapitre, n'en tenez pas compte !
Je regarde Noual avec incompréhension.
— Navré ? Mais de quoi ?
Le jeune homme passe une main sur sa nuque, comme à chaque fois qu’il se sent embarrassé.
— Vous n’étiez là que pour vous occuper des obsèques de votre cousine. Jamais vous n’auriez dû subir tout cela. Vous devez trouver ce lieu horrible.
Je me laisse tomber sur le lit en ôtant les épingles de mes cheveux mouillés. Les mèches dégoulinent dans mon cou et s’y collent comme des algues gluantes. Je réprime un frisson.
— Attendez…
Noual va me chercher l’une des serviettes à côté du lavabo. Avec un soupir de soulagement, je la place sur mes épaules. Il faudrait sans doute que je me change, mais pour le moment, c’est mieux que rien. Je m’aperçois que je n’ai pas répondu à la remarque du jeune homme. Mes dents agacent un instant ma lèvre inférieure avant que je trouve quoi lui dire.
— C’est vrai, c'est un lieu horrible. Je n’ai qu’une envie, en partir au plus vite. J’ai découvert que ma cousine était une collaboratrice, et peut-être aussi une meurtrière… je cours après un corps… et une autre personne est morte.
Je me reproche aussitôt d’évoquer le décès de sa tante avec si peu de considération. Je baisse la tête, embarrassée :
— Je… je suis désolée. Je vous prie d’accepter mes condoléances.
— Ne vous en faites pas. Je comprends votre vision des choses.
Je sens les commissures de mes lèvres se relever en un sourire tremblant :
— Je ne mérite pas autant d’indulgence…
Noual s’est détourné pour regarder par la fenêtre, qui ne dévoile qu’un rideau d’eau grisâtre. Mes yeux s’attardent sur le dos musclé qui se dessine sous la chemise encore humide, avant que la confusion ne me rattrape. D’une main lasse, je repousse les mèches mouillées de mon visage.
— Tout n’est pas si affreux au Palluet. Il y a monsieur Célestin… et vous. Vous vous êtes montrés tellement aimable envers moi.
Mon regard se perd au-delà du papier défraîchi, vers l’horreur stagnante du marais, mais aussi les mystères qui bouillonnent sous sa surface.
— C’est naturel, marmonne Noual en haussant les épaules. En tout cas, vous êtes sacrément entêtée ! Et vous ne manquez pas de cran pour…
Je saisis l’infime hésitation qu’il marque pour glisser :
— Pour une femme ou pour une citadine ?
Il affiche une expression blessée avant de poursuivre :
— … pour quelqu’un qui débarque dans une situation plus sordide que vous pouvez l’imaginer !
Ces paroles me rendent pensive : après tout, Charles Noual vit au cœur du marais. Peut-être qu’il en sait plus que Célestin sur ce qui se trame dans les profondeurs de ce monde fétide. Je rassemble mon courage pour lui poser la question qui me taraude depuis un moment :
— Et vous, que savez-vous de la disparition des Allemands ?
Sa robuste silhouette semble s’affaisser : est-ce que j’aurais abordé un sujet sensible ?
— Vous savez ce qui s’est passé, n’est-ce pas ? C’est pour cela que vous n’êtes pas revenu au village ni à Sainte-Marguerite ?
Ses poings se crispent, se relâchent… Il baisse la tête. Quelques mèches rebelles retombent sur son front, adoucissant ses traits carrés.
— Mademoiselle Chaveau…
Il hésite un instant, puis attrape la chaise du bureau et s’assoit à califourchon dessus, les bras appuyés sur le dossier.
— Il est possible que dans les jours qui viennent, vous entendiez… des rumeurs sur moi. Pas toujours flatteuses… Mais je ne veux pas que vous croyiez que j’ai pu commettre des actes condamnables. J'essayais juste de sauver des vies.
Je m’étonne de cette confession spontanée. De quoi cherche-t-il à se justifier ?
— Il y a des gens dans le coin qui ne m’apprécient pas, poursuit-il. Ou qui pensent que je n’ai pas ma place parmi eux. Il y a eu des racontars… Mais en tout cas, je peux vous assurer d'une chose. Quand les villageois se sont… occupés des Allemands… Je n’étais pas avec eux, je vous le jure.
Il repousse la mèche rebelle de son front ; ses yeux noisette se sont transformés en gouffres d’ombre, qui posent sur moi un regard insondable.
— Personne n’est venu me voir… Personne ne m’a demandé d’y participer… Ils savaient que je refuserais… et plus encore, que je tenterais de les dissuader. Mais pour moi, ce qu’ils ont commis, ce n’est pas un acte de résistance ni un crime ordinaire. J’ai entendu parler des travaux d’Imbach. Le marais n'était pour lui qu'un simple sujet d’étude… mais pour Armance, cela représentait bien plus que cela !
Je lui lance un coup d'oeil perplexe :
— Que voulez-vous dire par « bien plus que cela ? »
Au regard qu’il me lance, il a sans doute le sentiment de m’en avoir trop dit. Ou pas assez. Au final, il botte en touche :
— Que savez-vous de ce qu’il cherchait ?
Je me creuse la mémoire, à la recherche des informations transmises par le vétéran quand je lui avais montré la photo. Je n’en garde qu’une impression très vague ; malgré tout, quelques éléments entrent en résonance avec ce que j’ai vu devant l’autel… et les images de mes rêves.
Personne ne peut nier qu’il existe dans le marécage d’étranges vestiges. Même s’ils sont au cœur de bien des légendes, personne avant herr Imbach ne s’était donné la peine de se pencher leur origine réelle. Il faut dire qu’ils ne sont peut-être pas aussi abandonnés qu’on pourrait le croire…
— Des vestiges anciens ? Il s’était intéressé de près à la chapelle des marais, après tout. Monsieur Célestin m’a dit qu’il y avait d’autres édifices, mais… il suppose même qu’ils ne sont pas désertés pour autant. C’est cela que Imbach cherchait… Est-ce qu’il s’agit de lieux de culte ?
— C’est ce que pensait Armance.
L’entendre appeler ma cousine par son prénom me crispe. Se connaissaient-ils donc si bien ? Sans doute assez pour qu’il puisse faire une comparaison entre nous deux. Même si la silhouette d’Armance, à travers les propos de ceux qui l’ont côtoyée, me paraît de plus en plus sombre, je ne suis toujours pas certaine d’en sortir gagnante.
— Et vous ?
Noual secoue la tête :
— Je n’ai aucune évidence. Juste des suppositions. Une chose est sûre, c’est que s'il existe, ce culte est quelque chose de très ancien, plus ancien même que le christianisme. Cette Madeleine du Marais, elle n’a jamais été une sainte…
Un frisson parcourt mon dos, tandis que je songe aux offrandes dans la coupelle. Les paroles du mutilé de guerre résonnent de nouveau à mes oreilles, en écho à celles de Noual.
Certaines croyances anciennes sont encore bien vivantes… Et c’est sans doute ce qu’herr Imbach a négligé dans cette histoire.
À présent que j’y repense, c’est une évidence. Les images de mon rêve, avec cette gigantesque créature qui dressait sa tête écailleuse au-dessus des ruines et des eaux stagnantes, dansent devant mes yeux.
— Monsieur Célestin m’a parlé d’un serpent géant, qui vivrait au sein des marais…
— Un serpent serait peut-être moins effrayant que la réalité des choses, répond le jeune homme d’un ton sombre. Vous pouvez en être sûre.
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