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tome 1, Chapitre 14 « Dans l'antre de la mort » tome 1, Chapitre 14

Une fois à l’intérieur, je regarde autour de moi… Je ne m’attendais pas à cela. D’ailleurs, je ne sais pas très bien à quoi je m’attendais, ou si même je m’attendais à quelque chose. Il s’agit d’un simple hangar de planches, pas très grand et encombré de croix rouillées, de pierres brisées, de pots de fleurs ébréchés. Dans un coin, j’aperçois un établi chargé d’outils disparates. Alors, seulement, je remarque quelques cercueils de bois brut entassés dans un angle et couverts de poussière ; le malaise me saisit de nouveau. Le fossoyeur a ôté sa casquette, quand bien même il n’y a plus aucun défunt à respecter.

— C’était là, mam’zelle Chaveau…

Castanier me montre du doigt une bâche de toile grise. Au-dessous se trouve un objet volumineux, posé sur des tréteaux, dont la nature m’apparaît clairement. Cette forme longue, qui s’évase légèrement pour se resserrer jusqu’à son extrémité, parle d’elle-même.

— Vous voulez dire… qu’on a pris le corps… dans le cercueil ?

Le fossoyeur opine avec une gravité qui serait presque amusante sur son visage rougeaud, si les circonstances ne prenaient pas une tournure aussi sinistre. Son regard me fixe avec une candeur désarmante ; je me surprends à apprécier l’homme, sans doute parce qu’il ne cherche ni à me menacer ni à me rassurer. Il semble même solliciter mon aide, ce qui me confère un peu plus d’aplomb qu’à l’accoutumée.

— Vous avez trouvé la remise ouverte ?

— Non, elle était fermée, comme d’habitude…

— Comment avez-vous su… pour le corps ?

Castanier se gratte la tête ; sa détresse me touche, sans doute parce qu’il est le seul à en éprouver plus que moi. Après tout, ma cousine se trouvait sous sa responsabilité.

— J’suis venu ici c’t’après midi, tout était comme d’habitude, mais la bâche avait glissé, y’avait un bazar qui dépassait du cercueil… Un bout d’tissus… J’ai ouvert pour voir si tout allait bien, mais y’avait plus rien… J’suis allé voir le maire, y m’a dit d’vous l’dire !

Je baisse la tête et tente de réfléchir avec logique, comme dans ces histoires policières que ma mère aimait tant. La disparition n’a pas pu avoir lieu en pleine journée !

— Quand avez-vous vu… le corps pour la dernière fois ?

Il se gratte la nuque, cette fois, comme si cela pouvait activer sa cervelle.

— C’était y’a deux jours… Après qu’le docteur l’a vu et que j’l’ai mis dans la caisse… dans l’cercueil, j’veux dire. C’est la première fois qu’j’ai un mort qui s’ballade…

Si cette situation avait touché un étranger, je la trouverais peut-être cocasse. L’ambiance lugubre de l’endroit et les événements inquiétants qui se sont succédé la rendent menaçante. Je serre les poings, afin de m’enhardir pour ce qui va suivre. Une longue inspiration emplit mes narines d’une odeur de bois et de renfermé.

— Est-ce que je… peux voir à l’intérieur ?

Je ne peux empêcher ma voix de trembler sur les derniers mots, mais je doute que Castanier s’en aperçoive, vu son état de panique à peine contenue.

— Si vous voulez, vous vous trouv’rez rien, mam’zlle.

Comme pour prouver ses dires, il ôte la bâche qui tombe sur le sol dans un bruit d’ailes froissées.

Dessous, sans grande surprise, je découvre un simple cercueil de planches, identique à ceux qui ont été déposés à l’arrière de la remise. Je me demande si c’est lui qui les fabrique… Même si cela peut sembler cruel, je ne vois pas l’intérêt de le remplacer par une version plus coûteuse, taillée dans une essence précieuse et capitonnée de satin, si c’est pour que tout pourrisse sous terre. Pourtant, je n’ai pu me résoudre à laisser partir ma mère dans une caisse bois brut. En dépit de mes faibles finances, j’ai voulu lui offrir cet ultime témoignage d’amour qui existe plus pour adoucir la peine des vivants que pour assurer le repos du défunt.

Quand Castanier soulève le couvercle qu’il cale contre les tréteaux, je me recule en réprimant un frémissement. Sans raison, car le cercueil est bel et bien vide. Une image affreuse se forme dans mon esprit : celle d’un individu sans visage qui jette un corps décédé depuis plusieurs jours sur son épaule et l’emporté à travers les rues du village, ni vu ni connu.

Le cœur en bord des lèvres, je me penche pour observer l’intérieur. Un drap blanc usé tapisse le fond. Quelques cheveux noirs et longs demeurent pris dans les fibres du lin, unique preuve qu’Armance a bien reposé là. Je ne vois rien qui ne suscite plus de malaise que le fait d’avoir dormi dans le lit d’une morte.

Alors que je m’apprête à me redresser, quand quelque chose attire mon attention : un coin de papier jauni dépasse de sous l’étoffe.

Surmontant ma répugnance, je le saisis entre le pouce et l’index et le dégage petit à petit, pour découvrir une photographie. Pas plus grande que ma main et de mauvaise qualité, elle représente un paysage qui me rappelle le marécage environnant ; au milieu, dressé sur un îlot de terre, on peut distinguer un bâtiment qui ressemble à une petite chapelle archaïque. Une note au crayon figure au dos : Hahn, février 1944.

—  Z’avez trouvé quequ’chose ?

Le cœur battant, je me hâte de fourrer la photo dans ma poche. Cette nouvelle énigme dans l’énigme excite ma curiosité.

— Rien d’important, un simple morceau de papier.

Heureusement pour moi, le fossoyeur ne cherche pas à en savoir plus. Je lui adresse un sourire forcé :

— Merci, monsieur Castanier. Vous pouvez refermer le cercueil à présent.

Je me recule pour laisser l’homme remettre le couvercle en place. Au fond de ma poche, la photo me brûle les doigts. Quel est ce bâtiment ? À quoi correspondent les mots griffonnés ? Hahn sonne comme un nom allemand. Est-ce que tout cela a un rapport avec la guerre ?

Tout en tirant la bâche sur le cercueil, le fossoyeur me jette un coup d’œil.

— Vous la retrouv’rez pas, vous savez…

Cette remarque me rend perplexe.

— Pourquoi dites-vous cela ?

— C’était de mam’zelle Armance qu’on parle…

Sa remarque me fait frémir :

— Que voulez-vous dire par là ?

Il blêmit sous sa couperose :

— Parce que… On dit… on disait des choses sur elle, vous savez… Alors elle est peut-être pas si morte…

La remarque envoie un frisson le long de ma colonne vertébrale. Castanier n’évoque pas une erreur du docteur Laurent sur la condition, d’Armance, mais quelque chose de bien plus sombre…

Dans quel mauvais roman suis-je tombée ?


Texte publié par Beatrix, 25 mars 2021 à 23h51
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