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tome 1, Chapitre 101 « Vers la lumière » tome 1, Chapitre 101

J’unis ma force à la sienne, comme lorsque nous avons fui le gouffre. La barque, avec une lenteur déconcertante, quitte enfin le recoin où elle s’était échouée et racle la paroi en direction des marches. Quand nous arrivons à moins d’un mètre, Charles passe un bras autour de ma taille.

— Maintenant ! s’écrie-t-il.

Avant que j’aie le temps de comprendre, il saute vers l’escalier en m’entraînant avec lui. Nous atterrissons sur les premières marches, celles qui sont noyées sous les eaux. Après avoir plusieurs fois dérapé, nous parvenons à nous hisser au sec. Nous tombons assis comme deux morceaux de linge échappés d’une lessiveuse. Alors, seulement, nous levons les yeux vers l’issue qui nous mènera à la liberté. Je suis à peine surprise d’apercevoir une grille de fer rouillé. Charles ne semble pas s’en émouvoir. Il me prend la main pour me tirer vers la lumière du jour. Nous gravissons chaque marche comme s’il s’agissait de la paroi du mont Everest. Une fois au sommet, le jeune homme pousse la grille. Contre toute attente, elle n'est pas verrouillée et pivote en grinçant.

Après cette éternité passée sous terre, notre retour à l’air libre s'apparente à une nouvelle naissance. Faibles, trempés, nous plissons les paupières sous l’assaut d’une lumière grisâtre qui nous agresse aussi violemment qu’un soleil d’été. Une fois que nos yeux se sont réhabitués au jour, nous pouvons examiner l'endroit : l’accès à la rivière souterraine ressemble à une petite chapelle de pierre, à moitié dissimulée par les frondaisons d’un bosquet.

À notre gauche nous découvrons une grande étendue d’eau stagnante. De l’autre côté, se trouve une prairie couverte d’herbe rase, ponctuée d’arbrisseaux malingres. Nous devons toujours être en plein cœur des marais, loin de toute civilisation. À force de regarder autour de moi, je finis par apercevoir une rangée d’arbres, bien trop régulière pour être le fruit du hasard. Elle doit longer un chemin ou un cours d’eau. Dans les deux cas, il nous suffira de la suivre pour tomber tôt ou tard sur une implantation humaine.

Sans tarder, nous nous mettons en route. Ce nouveau périple devrait nous sembler simple après tout ce que nous avons traversé, mais nous sommes à bout de force. Franchir cette terre meuble et broussailleuse, qui se dérobe sous nos pas, tient du calvaire. À présent que nous progressons dans la lumière et que je peux voir Charles en détail, je remarque le sang dilué qui macule sa chemise et les cernes profonds sous ses yeux. Je ne dois pas présenter un meilleur visage. Si nous nous arrêtons pour nous reposer, nous risquons de ne pas pouvoir repartir.

En observant le ciel, je vois qu’il n'est pas aussi couvert que les jours précédents. J’ignore l’heure qu’il peut bien être : sous terre, j’ai perdu toute notion du temps. Il semble même faire un peu plus chaud, sans doute parce que nous avons quitté ces souterrains gorgés d’humidité.

Pendant un court instant, les nuages s’écartent pour laisser passer un mince rayon de soleil. C’est peu de chose, mais dans le regard que nous échangeons, brille une nouvelle résolution.

— Nous sommes aux environs de midi, à vue de nez, murmure Charles d’une voix rauque. Nous pouvons croiser quelqu’un qui rentre chez lui pour le déjeuner. Le tout est de rejoindre une route.

Ce qui signifie que nous devons poursuivre notre chemin vers cette ligne d’arbres, sans mot dire pour préserver nos forces.

Au fur et à mesure que nous avançons, les arbres semblent reculer. Le temps s’est refroidi ; un vent glacé traverse nos vêtements trop légers pour une journée d'automne. Une brève averse finit de geler notre sang. La blessure de Charles s’est remise à saigner. Ce n’est pas une hémorragie importante, mais je ne peux m’empêcher de m’inquiéter pour lui. Des quintes de toux me secouent, de plus en plus rapprochées ; je suis obligée de m’arrêter pour reprendre mon souffle. L’eau fétide du lac a dû stagner dans mes bronches. Ma cheville fragilisée se tord dans les creux du terrain inégal. Nous avons besoin d’un abri, de repos, de soins médicaux, de nourriture… mais ils ne viendront pas à nous.

Alors que nos forces s’amenuisent dangereusement, nous gagnons une terre plus ferme, mais envahie par une végétation dense et râblée qui nous griffe la peau et accroche nos vêtements. Nous parvenons à trouver une sente, sans doute laissée par un gros animal, cerf ou sanglier, qui nous permet de progresser plus facilement. Enfin, devant nous, un talus s’élève en pente douce vers la rangée d’arbres. Au-delà, il n’y a pas de route, mais la civilisation s’impose sous la forme d’un champ labouré, longé par un chemin empierré.

Un signe encourageant, certes, mais nous ne pouvons relâcher notre effort. Cela doit bien faire deux heures que nous avançons – à l’estimation de Charles, bien plus fiable que la mienne. Il est fort possible que nous n’ayons fait que la moitié, le tiers, voire le quart du trajet. Au moins avons-nous l’espoir de déboucher quelque part. Jamais la campagne ne m’a semblé aussi vide et désolée, malgré le soleil qui joue à cache-cache avec les nuages. Mes pieds, mes chevilles, mes genoux me brûlent, mes jambes flageolent à chaque pas. Même si Charles m’offre le support de son bras, je ne le sens pas plus vaillant que moi. Seule son obstination lui permet de poursuivre son chemin.

Outre l’épuisement, la faim et surtout, la soif commencent à nous rattraper. Mon pied accroche une ornière ; je tombe à quatre pattes, trop éreintée pour me redresser. Charles m'aide à me relever et me conduit jusqu’au talus, où nous nous asseyons dans l’herbe boueuse. Quelqu’un finira bien par passer. Le jeune homme s’adosse à l’un des arbres. Je me pelotonne contre lui, la tête posée sur ses genoux. En dépit d’un reste de panique qui me fait voir des ennemis partout, nous ne nous sommes pas sentis autant en sécurité depuis longtemps. Quand le sommeil nous rattrape, nous n’essayons plus de lutter. Nous nous laissons aller, sous l’aura chaleureuse du soleil qui nous sert de couverture.


Texte publié par Beatrix, 6 février 2023 à 21h51
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