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Le chant du coq de tante Behtan tira Zelos des limbes du sommeil. Avec difficulté, le garçon ouvrit un œil, puis deux, avant de traîner ses jambes hors du lit. Le parquet froid craqua pour ses seules oreilles sous la plante de ses pieds. Il se frotta les paupières, avant de lisser les draps et le lourd édredon à leur place, puis poussa un soupir.

— ‘Mex…

De l’autre côté du lit, il n’y avait que la touffe de cheveux noire qui dépassait.

— ‘Mex, debout…

— Mmmmmh, grogna son frère.

Avec mauvaise humeur, Zemex émergea de sous la couette bariolée, un air encore plus mal réveillé que son jumeau sur le visage. Pour se réveiller, il se dirigea vers la petite coiffeuse usée pour s’asperger le visage d’eau à la bassine d’étain posée là par tante Bethan. Ses grands yeux bleus furent un peu moins vitreux.

— Zemex ! appela la voix de tante Bethan depuis la cuisine.

Le garçon roula des yeux.

— J’arrive ! Pourquoi ce genre de trucs doivent toujours démarrer aussi tôt ?

Zelos haussa des épaules.

— C’est comme ça.

Zemex entreprit de lasser son mantalon avec application au-dessus de sa chemise avec plus de lenteur, encore engourdi de sommeil. La tunique qu’avait préparé tante Behtan était plus épaisse, parfaite pour les temps hivernaux. Zemex passa un doigt sur l’encolure : elle était brodée de signes compliqués dont les entrelacs étaient censés le protéger. Il posa les yeux sur la mallette encore ouverte : Zelos avait exactement la même, tunique dans des teintes tirant vers le bleu. Zemex dut s’y reprendre à plusieurs fois pour enrouler les bandes molletières autour de ses jambes, avant de descendre jusqu’à la cuisine.

Tante Behtan était debout depuis un bon bout de temps, au vu de tous les flacons de potions et les pots d’onguents qu’elle avait préparé. Une appétissante odeur de brioche fraîche attisa les narines du garçon, qui s’attabla derrière un bol de lait chaud.

— Bonjour toi ! le salua sa tante en lissant une mèche rebelle de ses cheveux. Bien dormi ?

— Moui.

— Je t’avait dit qu’une veillée à écouter le grand-père et ses histoires qui n’en finissent pas étaient une mauvaise idée… soupira Zelos.

Zemex lui tira la langue. D’un coup de baguette, tante Bethan coupa un morceau de brioche et décapsula un pot de confiture de coings à la cannelle qui glissa tout seul devant son neveu avec une préparation de cheveux d’ange au lait. Elle s’en retourna derrière son chaudron, resserra son tablier autour de ses hanches généreuses et réagença rapidement la pince maintenant ses cheveux roux en hauteur.

— Dis que je suis ennuyeux !

Son grand corps ramassé sur sa canne, l’aïeul entra à son tour dans la petite cuisine. Deux grands yeux bleus vifs, des restes de reflets auburns dans sa chevelure et sa barbe grises, il y avait toujours quelque chose de noble chez lui que l’âge n’avait pas effacé. Il regarda toutes les préparations de sa fille, le sourcil haut.

— Par Sylvestre, as-tu au moins dormi, cette nuit ?

— Parce que tu crois que je peux le laisser aller seul, en forêt, sans aucune préparation ?

— Il n’a pas le choix. Les Saturnales*1 ont commencé cette nuit et il doit revenir avant la fin de Yule*2. On ne peut pas attendre que tu aies enfin fini de le couver.

Bethan se pinça les lèvres mais ne répondit rien. Elle savait que son père avait raison. Elle se contenta de touiller son chaudron d’un air absent Secouant la tête de désaprobation, grand-père Valos attrapa la cafetière et se versa un grand bol de breuvage noir. Zemex picora la brioche plus pour avoir quelque chose dans le ventre. En songes, il remplissait une nouvelle fois la mallette de sa chambre. Il fallait qu’il vérifie avant de partir. Il ne fallait surtout rien oublier.

Quand ce fut le moment de partir, son grand-père lui remit une carte, et sa tante une panoplie de potions agencées astucieusement dans un sac à dos rempli de vivres. Près du traîneau, les chiens s’agitèrent, mais Zemex détourna le regard. C’était un chemin qu’il devait parcourir seul. Les yeux de tante Bethan étaient mouillés de pleurs retenus.

— Tu en es sûr ?

— Il sait ce qu’il doit faire.

Son grand-père lui donna une accolade bourrue.

— Reste en vie.

— Bien sûr qu’il restera en vie, je suis là, soupira Zelos.

La remarque fit sourire Zemex. Il referma sa cape et avança vers la forêt : le jour commençait à peine à peindre le voile de la nuit de ses doigts colorés.

La lumière déclinait au fur et à mesure de son avancée, ce qui voulait dire que Zemex avait marché une journée de plus entre les pins et autres conifères de la forêt. Il espérait que la carte de son grand-père n’était pas datée, ou qu’il ait bien réussi à la lire : Zelos avait toujours été plus doué que lui à ça. Lui, il était bon dans l’action, Zelos dans la réflexion. Penser à son jumeau fit repartir les braises de sa motivation. Il devait réussir. Le Tombeau de la sorcière n’était plus très loin.

Soudain, un crissement dans la neige hérissa sa méfiance. Il se retourna, pour trouver une immense silhouette de fourrure noire recouverte de neige blanche. Le cœur de Zemex s’arrêta de battre lorsqu’il croisa le regard rouge de la créature au milieu d’une masse de poils emmêlés.

Un Hiverrien. Cette créature qui rôdait dans la montagne pendant les longs mois neigeux d’hiver pour se repaître de la chair des voyageurs perdus, et qui peuplait tous les contes d”enfants pour les forcer à ne pas s’aventurer dehors.

Alors que Zemex cherchait quelque chose pour se défendre dans les poches de sa cape, la créature se pencha vers lui. Ses grands yeux d’un bleu presque blancs lui parurent anormalement humains.

Es-tu perdu ?

Zemex cligna des paupières.

— Tu me…

Oui, je te parle. Es-tu perdu ?

Zemex respira bruyamment. Devait-il lui faire confiance ? Les mythes n’évoquaient pas cette capacité… Zelos haussa les épaules.

— Je ne sais pas, mais il n’a pas l’air méchant.

Zemex choisit de croire en son instinct.

— Je… je cherche le Tombeau de la Sorcière… Il n’est visible qu’au solstice et je dois me dépêcher d’y parvenir…

Je peux t’aider. Mais en échange, tu me racontes ton histoire.

Le gamin fronça des sourcils. La blessure de son cœur pulsa de nouveau et ses doigts se serrèrent autour de sa malle.

— Qui vous dit que j’ai une histoire à raconter ?

Tous ceux qui cherchent le Tombeau de la sorcière ont une histoire à raconter.

L’Hiverrien lui tendit un énorme bras. Avec appréhension, Zemex y monta. Il devait tout faire pour ne pas échouer. Il n’avait qu’une seule chance.

Le parcours fut moins désagréable qu’il l’aurait pensé. Il avait buté sur les premiers mots, mais une fois commencée, son histoire se déroula toute seule. Quand il termina sur des pleurs, l’Hiverrien ne dit rien. Son silence avait quelque chose de réconfortant.

Il finit par le déposer au milieu d’arbres, dans une sorte de petite clairière.

C’est ici.

Zemex descendit prudemment, et regarda autour de lui.

— Mais il n’y a rien !

Pour l’instant.

Le garçon fronça des sourcils. Qu’aurait fait Zelos, lui ?

— Évidemment ! Il faut contrer le sort de dissimulation !

Aussitôt, il prononça toutes les incantations qu’il connaissait pour fissurer la protection invisible du lieu qu’il cherchait. Mais cela ne fonctionnait pas. Frustré, Zemex finit par lui lancer un regard de complet désespoir.

— Je ne vais pas y arriver…

S’il n’y a pas de sort qui existe, il faut en inventer. Zemex fit confiance à son instinct, qui depuis quelque mois avait pris la voix de son jumeau.

— Mais oui !

Zemex inspira et ferma les yeux pour chercher la concentration. Ce fut comme si les mots lui furent soufflés dans le creux de l’oreille. Puis il ouvrit les paupières et les clama :

Vers les cieux

Irisés

Se retrouvent des oiseaux

Immaculés

Baume de douceur radieux

Les jours se feront plus beaux

Et l'avenir s'éclairera sous le soleil des jours d’été.

Zemex se protégea les yeux alors qu’une vive lumière l’aveugla. Quand il put enfin observer autour de lui à nouveau, l’Hiverrien avait laissé place à une silhouette de jeune fille, en capeluche sombre et aux cheveux nattés. Elle lui sourit.

— Tu es arrivé à temps Zemex.

Devant eux, un monument de taille, surmonté d’une statue de femme armée d’une baguette pointée vers le ciel. Quand il dirigea de nouveau son regard vers lui, la jeune fille était devenue une femme mûre.

— Je… Vous…

— Oui. Je suis la Sorcière et voici ma tombe. Tu avais quelque chose à me demander, je crois, non ?

Zemex expira un souffle qui tremblota dans l’air en un nuage éphémère. Il haussa la mallette.

— Voici les affaires de Zelos. Je sais que vous pouvez accéder à n’importe quelle requête le jour du solstice… Alors voilà. Je sais qu’il n’est pas parti derrière le Voile. Je sais que c’est possible de le faire revenir.

La sorcière était devenue une vieille femme alors qu’elle s’avançait vers lui.

— Tu sais ce que ça va te coûter, n’est-ce pas ?

Zemex hocha la tête.

— Mon éternité ne vaut rien s’il ne la partage pas avec moi.

La sorcière assentit. Elle lui prit la valise, et assembla les affaires de Zelos sur la tombe. Quand la lumière du solstice perça les lourds nuages d’hiver et atterrit sur la pierre, la lumière fut si vive que Zemex plissa les yeux.

— Salut.

Assis sur la tombe, son frère en chair et en os. Comme il l’avait toujours connu, avec seulement quelques rides de plus. Plus cette apparition vaporeuse qui le suivait partout depuis sa mort. La sorcière, elle, avait disparu.

— T’es là…

— Ouaip. T’as réussi !

Il ouvrit les bras et Zelos s’y engouffra en riant.

*1D’après le documentaire Le Père Noël et ses ancêtres , c’est à peu près entre le 17 et le 24 décembre

*2D’après Google (oui, bon, la source est pas la même), c’est entre le 21 et le 1 janvier


Texte publié par Codan, 25 décembre 2020 à 16h08
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