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tome 1, Chapitre 63 « Kwatee » tome 1, Chapitre 63

— Ces mots ne sont pas les miens, ils ne l’ont jamais été, ils ont toujours été les leurs et je n’ai fait que les rapporter.

Qui sommes-nous, nous qui sommes réunis en ce moment même dans le Temps du Rêve ? Le savons-nous nous-mêmes ?

Sommes-nous des dieux ? Des immortels ?

Mes yeux se perdent dans la contemplation de ce ciel merveilleux, ce ciel que nos ancêtres observaient jadis, avant que la nuit ne fût engloutie dans un jour éternel pour certains, une obscurité sans fin pour d’autres.

Tout à la fois source d’émerveillements et de terreur, la nuit est le lieu de tous les possibles, comme cela se produit maintenant.

Est-ce un humain vêtu d’une peau de loup ? Ou bien, un loup vêtu d’une peau d’humain ?

Nul ne le sait désormais, et nul ne le saura à l’avenir. Un ange l’a guéri, une sorcière lui a offert une nouvelle vie et leur fille est amoureuse de lui.

Lucifer le porteur de lumière, celui qui éclaira les ténèbres pour faire éclater la vérité ; un homme sage enfermé dans un costume que les hommes et les femmes, au gré de leurs histoires, ont façonné. Assis, en tailleur, le sourire aux lèvres, ses yeux sont de feu et ses dents d’argent.

Est-il loup ? Est-il humain ?

Me reviennent maintenant les mots d’Akonandi lorsque, quittant la piste de danse, ses prunelles croisèrent celles d’un lycan. Au même instant, Gamayun découvrait une créature au regard chancelant, le flanc déchiqueté, parce qu’elle avait manqué à son serment, sa sœur Ndjamulji rencontrait un oiseau étrange, qui ne la quitterait plus jamais.

Dans le futur, dans le passé, dans le rêve, ou encore des mondes obscurs, nous avons tous cheminé.

Un instant mes yeux s’égarent sur la silhouette écarlate de Fukasan, une couverture jetée sur les épaules. Je l’admire.

Non pour sa beauté ou sa plastique, fut-elle perfection ! cela ne serait que pure spéculation. Mais pour la pureté de ses convictions, son abnégation. Sous ma plume se dessinait l’ombre d’un ange qui, au creux de sa paume, la recueillait puis la cachait dans son sein. Soustraite aux flots des âmes, il voyagea avec elle jusqu’au Temps du Rêve. Là-bas, il la confiait à cet homme, sur l’épaule duquel sa tête repose, tandis qu’il s’en allait me rejoindre. Sans doute le plus mystérieux d’entre nous, je de vine ses yeux, derrière ses verres, qui me rappellent tant cette déesse mère qui s’épanouit dans le ciel.

Tous nous cherchons, chacun d’entre nous dans le mystère de nos cœurs, à en percer le mystère. Grand, sec, vêtu d’un poncho, un large sombrero. Lorsque j’en décrivais les premiers contours, je pensais à un personnage de western, de ces films qui avaient bercé mon adolescence en déliquescence. Mais ce n’est qu’apparence. Humain, il l’était. Autrefois, avant qu’il ne rencontre son jumeau, Shalim.

Et maintenant qu’il appartient au Temps du Rêve, qu’il arpente le Songe et les Ténèbres, qu’est-il devenu ? Le sait-il lui-même ? Le savons-nous nous-même ?

Et moi ? Moi dont la plume que je tiens entre mes doigts couche ces mots en cet instant même. Est-ce que je sais qui est Shahar, l’être qui marche dans les Rêves ?

Non ! Je l’ignore, je l’ignore, car la fin n’est pas encore écrite et d’aucun d’entre nous ne le saura. Pas même d’elle ! elle, dont je tais encore le nom, mais dont nous sentons tous la présence en notre sein.

Elle nous appelle, comme nous l’appelons. Cependant, encore une fois, ne nous trompons, car ce ne sont pas nos voix qui portent, mais celles des rêveurs.

En ce cas, que sommes-nous donc alors ? Sinon leurs échos.

Lit-il mes pensées, devine-t-il le trouble qu’il nous inspire à tous ? Je le pense.

Toutefois, ne l’a-t-il point lui aussi ressenti ? N’en a-t-il point fait l’expérience jusque dans sa chair, lorsque s’éveillant au cœur du rêve, il nous découvrit, il se découvrit ; l’ange lui murmurant à l’oreille l’origine de son mystère ?

Il sourit. Debout, il pointe son index vers l’horizon.

Nous devinons, nous savons, nous frissonnons, le temps amorce sa boucle. Akonandi la sorcière s’est levée la première, suivit de ses presque filles : Ndjamulji, l’Antienne, dont la chevelure de braises crépite dans l’atmosphère et Gamayun, la Porteuse d’âme.

Je la vois qui hésite, ces traits se crispent, mais son compagnon la rassure. Pourtant, elle demeure assise, les mains refermées autour d’un pendentif. Agenouillée, sa presque-mère entrouvre ses mains, puis lui murmure quelques mots à l’oreille. Les yeux baissés, je la devine qui contemple le camé.

Je le sais, car je l’ai écrit, comme leur chemin à tous, le mien compris. Je sais ce qu’elle y découvre, je sais ce que ressent son cœur, je sais qu’elle a trouvé sa place parmi nous.

Face à face, les deux sœurs étendent leurs mains au-dessus des flammes ; il manque un point cardinal. Le regard trouble, le regard double, Ninaiyume, le premier rêveur s’est avancé. Les bras tendus, il les a appelés et ils sont venus. Sur ses poignets, deux oiseaux se sont posés, deux corbeaux aux yeux noirs et blancs.

Maintenant que je nous vois réunis, je comprends ce qui nous relie. Nous que les rêves avaient rapprochés, nous portons tous sa flamme, la marque de Ninaiyume, le premier Rêveur.

Nous a-t-il créées à partir du Songe ?

Je ne le pense pas. Pour certains, nous l’avons rencontré : moi, Lucifer, Akonandi, Fukasan. D’autres sont ses enfants : Ndjamulji, Gamayun et elle, dont je tais encore le nom. Enfin, il y a Shahar, l’Arpenteur, et son frère Shalim. Parce qu’il l’avait vu dans le futur, parce que, comme lui, il est enfant des rêves de l’humanité.

Spectateur silencieux, témoin muet, je les regarde : Shahar face à Akonandi. Elle canalisera la magie recueillie par Shalim, tandis qu’elle se déversera en lui, Fukasan face à Ninaiyume, le commencement et l’achèvement.

De son vagin, Akonandi a sorti un long fuseau qu’elle élève en direction de la voûte céleste. De sa gorge, Ninaiyume a fait jaillir un écheveau. Silencieux, tous nous retenons notre souffle. L’un file quand l’autre pique, l’un noue quand l’autre verse.

Et moi, Kwatee, je regarde. Je couche sous les traits de ma plume le printemps d’une enfant, née d’un ange et d’une sorcière, qui ne sera pas l’instrument d’une vengeance, mais le catalyseur d’une renaissance.

Sous mes doigts, inscrit sur la couverture de mon ouvrage, en lettres de feu : L’Incendie.


Texte publié par Diogene, 11 juin 2021 à 21h42
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